Retranscription de Les choses se précipitent… ce n’est pas moi qui le dis, le 23 août 2018. Merci à Olivier Brouwer, Eric Muller, et au Retranscripteur Masqué ! Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le jeudi 23 août 2018, et aujourd’hui ma petite causerie s’intitulera : « Les choses se précipitent, et ce n’est pas moi qui le dis ».
Avant-hier, le 21, c’était mardi, deux événements ont eu lieu simultanément aux États-Unis, qui ont un impact sur l’avenir de M. Donald Trump comme Président. Le verdict du jury du procès de M. Paul Manafort, qui fut à une époque son directeur de campagne électorale pour la présidentielle, et le fait que M. Michael Cohen, son ancien avocat, a plaidé coupable d’un certain nombre de chefs d’accusation, et en particulier, d’avoir commis des infractions au financement des campagnes électorales sur injonction de M. Trump.
Alors, je vous ai parlé longuement de tout ça, vous pouvez le voir. Il y a une vidéo consacrée au verdict du procès de M. Paul Manafort et une autre consacrée au plea deal, il n’y a pas vraiment d’expression en français pour ça, l’accord passé entre M. Michael Cohen et le tribunal qui le jugeait, en échange d’un traitement favorable. Le traitement favorable, je vous le rappelle, c’est que pour les 65 ans de prison que les inculpations impliquent, il ne devra passer qu’une période qui est calculée de l’ordre de quatre à cinq ans en prison. On avait souligné qu’il n’y a pas à proprement parler de « collaboration » : il a plaidé coupable, mais sans promettre des informations supplémentaires, ce qui a paru un petit peu bizarre, d’autant plus que l’avocat de M. Michael Cohen, Lanny Davis, a promis de tous côtés que M. Michael Cohen allait faire de nouvelles déclarations qui pourraient être intéressantes pour la commission Mueller qui s’intéresse à la collusion éventuelle de l’équipe Trump avec la Russie, et sur d’autres sujets. Et en particulier, il avait fait allusion au fait qu’il existe en ce moment une plainte, non pas au niveau fédéral, mais au niveau de l’État de New York. Or ce sont des juridictions spéciales qui ne relèvent pas du pouvoir fédéral, et en particulier – la presse et les commentateurs le soulignent – que des condamnations au niveau des États individuels ne sont pas susceptibles de bénéficier d’un pardon présidentiel.
Alors, nouveau développement par rapport à une plainte, donc, qui a été déposée dans l’État de New-York contre la fondation charitable de M. Trump. C’est la procureur de l’État, Mme Barbara Underwood – j’ai l’impression que c’est un nom dont on reparlera et c’est pour ça que je le mentionne – qui, donc, inculpe cette fondation pour des activités illégales. La presse avait déjà mentionné le fait que des paiements qui n’ont rien à voir avec une fondation charitable avaient été déjà faits par cette fondation, comme payer l’inscription de boy-scout du fils, Barron Trump, les 100.000 dollars qui ont été utilisés pour déplacer une hampe d’un drapeau dans une des propriétés de M. Trump, et de s’acheter, bien entendu – on parle de M. Trump – un portrait de lui-même de deux mètres de haut.
Là, il s’agit de bien d’autre chose dans la plainte par Barbara Underwood, parce qu’il est question de paiements de cette fondation, là aussi dans le cadre de la campagne électorale de M. Trump, et là aussi, susceptibles, donc, d’infraction aux sommes qui peuvent être payées dans le financement des campagnes électorales. Et là, développement de la journée d’hier : M. Michael Cohen – à son incitation, souligne tout le monde – a reçu un subpoena, c’est à dire une citation à comparaître. Donc M. Michael Cohen est sur sa lancée : il veut non seulement vendre la mèche, spill the beans comme on dit en anglais, non seulement il veut le faire, mais il se précipite partout où il peut le faire et incite même les gens à l’appeler pour raconter des choses. Il y a sûrement un petit peu de la stratégie de son avocat, M. Lanny Davis, et je vous l’avais déjà signalé il y a pas mal de temps : quand M. Michael Cohen avait tenu à se présenter en public invitant à diner le révérend Al Sharpton, connu comme une personnalité noire d’extrême-gauche, pour manifester, je dirais, son renversement dans sa stratégie, au moins de changer sa persona, de changer l’image publique qui est la sienne.
Alors, pourquoi est-ce que cette chose en particulier, qui peut paraître relativement mineure, pourquoi est-ce qu’elle énerve tout particulièrement M. Trump ? Parce que, parmi les gens qui représentent cette fondation, il y a essentiellement, dans le comité de direction, son fils Éric, son fils Donald Jr. et sa fille Ivanka. Une condamnation dans ce cadre-là ne tomberait pas sous la juridiction de son pardon personnel, présidentiel, et comme tout le monde le sait, c’est particulièrement sur des questions de sa famille, de l’implication de sa famille que M. Trump perd son sang-froid. Je ne sais plus quand c’était exactement, mais je me souvenais d’une époque où il avait tempêté en disant : « Qu’on ne mêle surtout pas ma fille Ivanka à ces histoires ! » Or, malheureusement pour lui, sa fille Ivanka est liée, associée, à pas mal de choses quand même très proches de lui, en plus d’être une de ses conseillères à la Maison Blanche.
Si on s’en prend à ses enfants, son entourage a déjà laissé entendre que c’est ce genre de choses qui pourraient le conduire à une démission. Donc, cette précipitation de M. Michael Cohen à dire à Mme Barbara Underwood, attorney en chef de l’État de New-York : « Invitez-moi, invitez-moi, j’ai des choses à dire ! », ça fait partie de la campagne, sans doute, à laquelle l’incite son avocat, M. Lanny Davis.
Quoi encore ? M. Trump, disent des gens proches de lui – et là encore je souligne le fait qu’on a de plus en plus de communications de ce type-là, ce n’est pas vraiment des fuites mais des informations qui viennent vraiment de son dernier carré, des gens tout à fait autour de lui, qui communiquent avec la presse pour dire s’il est de bonne humeur ou s’il ne l’est pas, etc. – et pour la première fois, la nouvelle, c’est que… et on le voit d’ailleurs au niveau de ses tweets, qui ont baissé en volume et sont plutôt de l’ordre de l’humour noir que de l’attaque, par exemple quand il dit à propos de M. Michael Cohen, au lieu de l’appeler « une salope », « un salaud », « une crapule », etc., il a dit à propos de M. Michael Cohen : « Si vous avez besoin d’un avocat, n’hésitez pas, prenez M. Michael Cohen ! » sur le ton ironique, bien entendu, mais on est très très loin des insultes, des bordées d’injures qu’il envoie d’habitude aux gens qui le critiquent. Donc il est démoralisé. Alors, il y a des gens autour de lui qui disent : « Ça ne durera peut-être pas », mais en tout cas, c’est la première fois, c’est la première fois qu’il apparait démoralisé.
Dans le cas de M. Manafort, rien n’est dit à propos de Trump, je l’ai souligné quand j’ai parlé de ce verdict. C’était un jugement, c’était un procès qui visait essentiellement à miner le moral de M. Manafort en lui faisant refléter, déjà, miroiter, le fait qu’il y a déjà beaucoup d’années de prison qui sont accumulées maintenant sur ce cas-là. Il va y avoir un autre procès aussi, au niveau d’un État, je l’ai déjà dit, à propos du fait qu’il n’était pas accrédité comme représentant d’une puissance étrangère alors que son lobbying était essentiellement de cette nature-là. Donc, le système va encore essayer de l’affaiblir d’avantage, et puis il y aura, il y aura sans doute – et là, à ce moment-là, on arrive au niveau de la commission Mueller – une inculpation autour des liens qu’il a dû créer entre les intérêts russes et Trump. Et là, ce n’est pas de la spéculation, puisqu’on sait – ça n’a jamais été mis en doute – que M. Paul Manafort se trouvait, en juin 2016, parmi les personnes, une délégation où se trouvaient le fils, Donald Jr., et le gendre, Jared Kushner, d’une réunion qui avait eu lieu dans la Trump Tower, dans le building, le bâtiment de M. Trump, avec une représentation russe dont on sait, par les mails qui ont été échangés autour de ça, qu’il s’agissait de donner, de transmettre des informations dommageables à Mme Hillary Clinton.
Donc, M. Trump sait que M. Michael Cohen a encore beaucoup d’enregistrements de conversations avec lui. Ce n’est pas parce que M. Michael Cohen a dit qu’il allait les diffuser, c’est parce qu’ils ont été saisis chez lui sous formes diverses, sur des ordinateurs et aussi sur des téléphones portables, sur un nombre d’iPads également, etc. Beaucoup d’informations, d’enregistrements de conversations entre le président et M. Michael Cohen.
Donc il y a ça, il y a ce que M. Manafort pourrait dire, il y a tous les enregistrements que Mme Omarosa Manigault-Newman a enregistrés et dont on ne sait pas la nature, on ne sait pas combien il y en a, mais elle dit qu’il y en a à peu près 200. Là aussi, il y a sûrement des choses, vu les tensions qui sont montées entre M. Trump et elle, il y a sûrement des choses qui peuvent l’incriminer aussi.
Et puis cet évènement de la semaine dernière qui était aussi un coup pour la Maison-Blanche et pour Trump en particulier, la découverte que M. McGahn, le conseiller juridique de la Maison-Blanche – pas conseiller juridique de M. Trump en tant que personne mais de la Maison-Blanche – avait discuté avec la commission Mueller pendant 30 heures pour répondre à toutes les questions qui lui ont été posées.
Et dans ce qui apparaît, c’est que M. McGahn ne s’est pas véritablement porté volontaire à cela. Ce sont essentiellement des erreurs faites par les avocats de M. Trump, M. Ty Cobb et M. John Dowd, qui, par leur stratégie imprudente, ont acculé M. McGahn à devoir se défendre contre le statut de fusible dans lequel on l’avait mis.
Donc, pas étonnant que M. Trump ne soit pas de bonne humeur. Il n’y a pas que lui. Le Parti républicain, pour la première fois, commence à montrer des signes d’inquiétude. Il ne s’agit pas tellement de la base. Quand on fait des sondages parmi ceux qui se disent Républicains, il y a encore 90% de gens qui ont une excellente opinion de M. Trump. Mais ce qui se passe, c’est qu’il y a des élections le 8 novembre. Ça ne porte pas sur toutes les circonscriptions mais sur certaines, et si les personnes du Parti républicain qui sont sûres de repasser continuent d’assurer leur soutien complet à M. Trump – puisque, bien entendu, ils ont intérêt à être en accord avec leur base – dans le cas de ceux qui sont en difficulté dans les sondages, les instances du Parti républicain leur ont donné une consigne de soit s’exprimer clairement sur leur position – parce que là, dans ce cas-là, l’honnêteté, c’est-à-dire prendre du recul par rapport à M. Trump, pourrait payer – soit de ne rien dire du tout, ni dans un sens ni dans l’autre – comme disent les personnes qui les conseillent, parce qu’il pourrait encore se passer beaucoup de choses d’ici au 8 novembre.
On est dans une atmosphère, pour employer l’expression américaine, waiting for the second shoe to drop, attendre que la deuxième chaussure tombe. Alors, c’est quoi cette expression ? C’est une expression – je suis allé regarder de quand elle date – apparemment des années 1900. C’est une histoire qu’on raconte, c’est le type qui n’a pas su dormir dans l’hôtel parce qu’il était dans sa chambre, il a entendu une personne qui rentrait dans la chambre au-dessus, et il a entendu la godasse jetée violemment sur le sol, et il n’a pas pu dormir parce qu’il a attendu tout le reste de la nuit que la seconde godasse tombe, et voilà ! Donc une atmosphère où on sait qu’il va encore se passer des choses et où on préfère ne pas s’avancer.
Du côté des Démocrates, on fait la même chose. C’est-à-dire qu’il y a une consigne de leur côté de ne pas parler d’impeachment, de ne pas parler du côté des candidats de la possibilité, si une majorité démocrate apparaît dans les deux chambres, de lancer une procédure de récusation, de limogeage de M. Trump. « N’en parlons pas, on ne sait pas ce qui va encore se passer. Et ne lançons aucun mot d’ordre qui pourrait mobiliser la base de M. Trump. Faisons semblant qu’il ne se passe rien ». Et là, le calcul des Démocrates, il est finalement le même que celui des Républicains : « La seconde godasse va tomber, pas la peine d’en faire trop. Les choses roulent en ce moment dans notre sens. » Et l’état dépressif de M. Trump est sans doute la même chose, c’est-à-dire le sentiment qu’il va encore se passer des choses, il y a encore des choses qui vont sortir, ne serait-ce que du fait de toutes ces informations qui peuvent encore venir du côté de M. Michael Cohen, du côté de Mme Omarosa Manigault-Newman, du côté de M. McGahn, du côté de M. Manafort qui pourrait décider dorénavant de « penser à sa famille », comme dit M. Michael Cohen.
On en a su un peu plus à propos de cette déclaration de M. Michael Cohen, qu’il allait vendre la mèche en raison d’un souci pour sa famille et pour sa patrie. Les commentateurs sont allés voir de quoi il parlait exactement : dans beaucoup des documents falsifiés, ces éléments de fraude qui lui sont reprochés du côté des impôts, beaucoup de ces documents sont co-signés avec son épouse, et on a sans doute dû lui faire comprendre, parce que c’est le cas, ce qu’on peut observer, c’est que son épouse n’est mentionnée dans aucun de ces documents [judiciaires de sa reconnaissance de culpabilité], et cela fait sans doute partie de cet arrangement entre M. Michael Cohen et la justice : « Si je parle des choses dont vous aimeriez bien que je parle, que ma femme ne soit pas inquiétée. »
Et là, une dernière remarque pour finir. C’est sur cette procédure quand même un peu curieuse des plea bargains aux États-Unis, de ces discussions entre les accusés et la possibilité de dire des choses à propos d’autres personnes, et qui conduisent à des réductions de peine. Ce qui m’a frappé dans le procès de M. Manafort, c’est le fait que certains témoins disent la « vérité » – et je vais mettre la vérité entre guillemets parce que justement je vais revenir là-dessus – pour avoir une réduction de peine. Ça a été mentionné de manière militante par les deux camps. C’est sans doute le cas aux États-Unis dans la plupart des cas, c’est que les procureurs ont dit : « N’oubliez pas que ce témoin qui va venir a fait un plea bargain, c’est-à-dire qu’il s’est engagé à dire la vérité en sachant que, voilà, on ferait passer par exemple les cinq ans à soixante-cinq si on découvrait qu’il y a eu une erreur ou un mensonge délibéré dans ce que ce témoin – ou cette témoin – a pu dire ! »
Et en même temps, les avocats de la défense disent : « Regardez ! Faites attention à ce que va dire cette personne parce qu’elle a un plea bargain : elle a négocié une réduction de la sentence et donc elle a dit tout ce que les procureurs veulent qu’elle dise. Elle a menti délibérément pour obtenir cela ! » C’est-à-dire qu’il y a une ambiguïté fondamentale – quand on y réfléchit, c’est vrai – c’est que l’intérêt d’une personne qui fait une telle négociation, ça peut être de diminuer le risque pour lui ou elle, mais ça peut être aussi un encouragement à dire le faux. Je pensais, voilà, ces situations où la torture est utilisée dans les procès, comme ça a été historiquement chez nous, comme ça existe, malheureusement sans doute, encore ici ou ailleurs, et où c’est une arme à double tranchant. On peut dire : « La personne craint tellement qu’on la remette à la question qu’elle dit certainement la vérité », et les autres qui disent en face : « Non parce que quelqu’un, pour éviter ça, dira absolument n’importe quoi ! ».
Ça me paraît – la question a dû produire des débats à l’infini au sein de la justice américaine – elle me paraît très, très ambigüe. Elle pousse à mon avis dans les deux sens. L’intérêt de la justice, c’est d’obtenir des renseignements supplémentaires sur des choses qu’on ne connait pas. Mais le rapprochement que j’ai fait avec la torture montre que c’est quelque chose qui a sans doute une ambiguïté en tant que telle.
Voilà, c’est une remarque qui m’est venue parce qu’on parle beaucoup de ces plea bargains ces jours-ci, à la fois dans l’acceptation de M. Michael Cohen de plaider coupable, et dans le procès de M. Manafort où il y a eu pas mal de témoins qui sont des gens qui effectivement ont obtenu des réductions de peine en échange de produire une information supplémentaire.
Voilà, allez, à bientôt.
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