Retranscription de Verdict dans le procès de Paul Manafort, le 22 août 2018.
Bonjour, nous sommes le mercredi 22 août 2018 et je crois avoir appris une chose ces jours-ci, c’est de ne pas essayer de vous faire une vidéo avec absolument tout ce qui me passe par la tête à un moment donné, mais de traiter les sujets les uns après les autres, en particulier quand l’actualité est bien remplie et qu’il y a pas mal de choses à vous dire.
Je commence par une vidéo sur le verdict du procès de M. Paul Manafort. Il y a eu un autre événement dans la journée d’hier, important pour la future carrière de M. Trump, c’est le fait que son ancien avocat, M. Michael Cohen, a plaidé coupable, mais je traiterai de ça dans une autre vidéo.
Deux événements, donc, qui ont fait que la presse américaine titre : « Mauvaise journée pour M. Trump » , en faisant référence à la journée d’hier, mardi 21 août, deux événements qui ont des conséquences pour lui. Bien entendu, il s’est précipité, par tweet ou par la voix de son porte-parole sur les questions juridiques, M. Rudy Giuliani, pour dire : « Tout ça n’a aucun rapport avec moi. » Alors, dans le cas de ce qui s’est passé avec M. Cohen – dont je vous parlerai tout à l’heure -, c’est manifestement faux puisque parmi les choses que M. Michael Cohen reconnaît, c’est en particulier d’avoir agi sur les ordres de M. Trump pour deux paiements qui sont des infractions à la loi sur le financement des campagnes électorales. Mais comme je vous ai dit, je parle de ça tout à l’heure.
M. Trump a raison de dire que ce qui s’est passé dans le procès de M. Paul Manafort et dans le verdict n’a aucun rapport avec lui, parce qu’on parle d’autre chose, on parle des impôts, essentiellement, que M. Manafort aurait dû payer aux États-Unis et qu’il n’a pas payés, et de fausses informations qu’il a transmises à des banques en vue de l’obtention de prêts. Tout ça, effectivement, n’a aucun rapport avec M. Trump mais, vous le savez, si vous êtes allés au cinéma ou si vous avez lu des romans américains, il y a dans des cas comme celui que la justice américaine et en plus le FBI, la CIA, la NSA, essayent de régler dans le cas de M. Trump, on procède par cercles, par cercles se resserrant, c’est à dire que la procédure qui est utilisée, c’est que si on veut obtenir des informations importantes de quelqu’un qui connaît des choses importantes sur M. Trump, on commence par l’inculper sur des choses latérales, des choses qui ne sont pas centrales par rapport à cette affaire, et il est toujours très possible pour la plupart des gens malheureusement, à la surface de la terre, de commencer par mettre en évidence qu’ils n’ont pas payé leurs impôts d’une manière ou d’une autre, qu’ils ont triché là-dessus, et que c’est le premier moyen, pour la justice, de faire pression sur eux, en particulier d’essayer de les condamner sur des questions d’évasion fiscale et autres, à des peines de prison – on est aux États-Unis où on additionne tout ça – de 400 ans, et de leur dire : « Eh bien, écoutez. Maintenant, on vous propose un package, un paquet, un arrangement global. On peut discuter de votre condamnation à 400 ans de prison sur votre évasion fiscale et des choses que vous pourriez nous dire en rapport avec d’autres affaires qui nous intéressent, nous, ministère de la justice, etc. » C’est comme ça qu’ils procèdent, et effectivement, ce procès, ce premier procès de M. Manafort, n’avait aucun rapport avec M. Trump de manière directe.
Pourquoi est-ce qu’il y avait un rapport avec M. Trump éventuellement, ou eventually en anglais, c’est à dire « en fin de compte » ? C’est parce que M. Manafort a essentiellement gagné son argent en étant le représentant de gens liés de manière directe ou indirecte avec la Russie. Alors, je vais en dire un peu plus là-dessus, pour qu’on comprenne ce qui s’est passé.
18 chefs d’inculpation, d’accusation dans le cas de M. Manafort, le tribunal, le jury a décidé que, oui, il avait commis des infractions qui lui sont reprochées dans le cas de 8 sur 18. C’est une demi-victoire pour la justice, et en particulier pour M. Mueller à la tête de la commission qui enquête sur une collusion éventuelle, ou une conspiration éventuelle de l’équipe Trump avec la Russie.
8 sur 18, ça fait déjà pas mal d’années de condamnation à M. Manafort… Pourquoi est ce qu’il n’y a eu que 8 sur 18 ? C’est quand même la question qu’on se pose et là, la première chose qu’il faut signaler quand même, c’est l’hostilité du juge, M. Ellis, l’hostilité du juge au procès en tant que tel. Il a manifesté sa mauvaise humeur vis-à-vis de ce procès un petit peu de façade, puisqu’il s’agissait essentiellement d’inculper et de condamner M. Manafort sur des choses, en vue d’obtenir autre chose de lui ultérieurement. Il a manifesté sa mauvaise humeur, en particulier il y avait un ensemble de procureurs (un procureur représente la nation) qui étaient des gens mandatés par Mueller, et il leur a fait des remarques assez désagréables, euh, pas mal de fois, et en particulier il a interrompu les dépositions de plusieurs témoins, ce qui a irrité tout particulièrement les procureurs qui auraient voulu qu’on laisse parler ces gens sans les interrompre, sans essayer de les envoyer sur des voies de garage, ce qui est un petit peu la tactique utilisée par ce juge Ellis pour essayer d’attirer l’attention des jurés sur le fait que ce procès est un procès qui en cache un autre. Il a d’ailleurs, dans une déclaration faite à un jury (en réponse aux remarques, comment dire, acerbes des procureurs), il leur a enjoint d’ignorer le fait que ce procès était manifestement lié à d’autres choses, ce que les procureurs ont trouvé encore pire puisqu’ils considéraient que c’était une manière d’attirer l’attention des jurés sur le fait qu’il y avait peut-être des motivations d’ordre politique dans le fait que l’on avait inculpé M. Manafort. Parce que dans des cas comme ceux-là, et comme dans le cas de M. Cohen, on peut se demander pourquoi la justice n’intervient sur ces questions d’impôts pas payés uniquement quand il y a d’autres choses qui sont en jeu.
C’est-à-dire que, on laisse les gens tranquilles, on les laisse faire de l’évasion fiscale… Quand on regarde les chiffres – il y a des gens qui ont écrit des bouquins là-dessus – que Monsieur Untel, fonctionnaire au Ministère des finances, avait transmis 2300 dossiers au service des impôts IRA (Internal Revenue Administration) aux Etats-Unis. Quand un fonctionnaire zélé envoie 2300 dossiers de choses à inspecter par le service des impôts, ce qu’il se passe d’habitude, c’est qu’il y en a 20 qui sont traités et qu’on déplace la personne qui a transmis les 2300 dossiers, on la déplace vers un autre endroit de l’administration, comme l’entretien des jardins publics ou des choses de cet ordre-là. Voilà, des exemples sont nombreux – vous pouvez voir ça dans les bouquins des gens qui écrivent des bouquins sur l’évasion fiscale. Il y en a d’excellent, en particulier d’un M.Shaxson, je vous trouverai la référence exacte: Les Paradis fiscaux : Enquête sur les ravages de la finance néolibérale.
Donc, un procès de M. Manafort visant essentiellement à faire pression sur lui. Malgré le fait qu’on avait attiré l’attention – le juge en particulier – sur le fait qu’il s’agissait de le faire tomber pour faire pression sur lui sur d’autres choses par la suite, le jury a quand même décidé… Jury de six hommes et six femmes, à qui on a demandé s’ls voulaient qu’on divulgue leur identité, qui ont demandé qu’on ne le fasse pas ; le juge leur a quand même donné la permission de parler à la presse s’ils avaient l’occasion de le faire ou l’envie de le faire à titre personnel.
Alors, de quoi s’agissait-il ? Eh bien, là, il s’agissait du fait que ce monsieur, Paul Manafort, avait fait sa fortune – et des millions en nombre considérable – en étant le conseiller de différents dictateurs à la surface du monde, en particulier M. Mobutu Sese Seko au Zaïre, ou [Viktor Ianoukovytch] l’homme fort représentant le clan russe en Ukraine pendant la guerre civile, dont j’ai oublié le nom mais que je mentionnerai en-dessous de la vidéo et dans le texte par la suite (Révolution de Maïdan. Qu’est-ce qui s’est passé ? M. Manafort s’est habitué à avoir des millions. On parle de son fameux gilet à 15 000 dollars en peau d’autruche, et de dépenses de centaines de milliers de dollars en tapis d’Orient et des choses de cet ordre-là. Un train de vie extraordinaire, une propriété dans laquelle vous êtes accueillis par un parterre de fleurs tout à fait considérable dessinant l’initiale « M » à son nom, voilà. Donc, quelqu’un qui, conseillant des despotes – et avec un certain succès jusqu’à un certain moment – a gagné des millions de dollars qui sont de l’argent sale recyclé d’une manière ou d’une autre, ou de l’argent volé carrément dans les caisses de différents États.
Qu’est-ce qui s’est passé ? Et qu’est-ce qui permet vraiment de le coincer tout à fait ? C’est qu’au moment particulier où sa source de dollars importante lui venant d’Ukraine – après la guerre civile qui change le régime et met en place à Kiev un régime d’inspiration plus ukrainienne qu’auparavant – sa source se tarit, et qu’est-ce qu’il fait pour maintenir son train de vie auquel apparemment il tient ? Il emprunte. Il emprunte des sommes, eh bien, du même ordre, sur des demandes qui sont bidon, en présentant des dossiers et en faisant du trafic d’influence. Sur ce point-là, quand dans un procès précédent on avait demandé à M. Manafort : « Qu’est-ce que c’est que cette firme qui fait des relations publiques, de la communication ? » Le juge lui avait demandé : « Est-ce qu’on ne pourrait pas appeler ça plutôt du trafic d’influence ? » , et ça avait eu un certain retentissement, ça avait fait un certain bruit quand M. Manafort, je dirais très honnêtement, avait dit : « Oui, on pourrait appeler ça du trafic d’influence. »
Donc il perd la source ukrainienne et il commence à emprunter aux États-Unis, et là, il fait la chose suivante : il obtient vingt millions de dollars d’une petite banque, et d’après ce que disent les employés de rangs subalternes de cette banque qui viennent témoigner, c’est en échange d’une promesse d’un poste important au directeur de la banque dans l’administration de M. Trump quand M. Trump accédera au pouvoir. En particulier, il propose au gars, carrément, d’être ministre des finances, l’autre, plus modestement, voudrait être ambassadeur à Paris, Berlin, etc., ou bien secrétaire d’État à l’armée. Voilà, ça ce serait sa préférence.
Et alors, pourquoi est-ce que le jury, finalement, n’est pas d’accord avec les 18 chefs d’inculpation ? C’est parce qu’il y a des choses, effectivement, qui sont, je dirais, pas douteuses, mais qui permettent d’hésiter par rapport aux chefs d’inculpation. Par exemple, on compte beaucoup sur la parole de l’assistant, du secrétaire de M. Manafort, qui s’appelle Rik Gates, et le témoignage de ce monsieur qui vient à la barre est très convainquant, si ce n’est qu’on découvre à cette occasion qu’il a lui-même détourné une partie des sommes pour financer une liaison illicite à Londres et en particulier dans un bel appartement qu’il peut louer grâce à l’argent de M. Manafort. Donc, témoignage de Rick Gates assez convainquant sur la plupart des choses, mais ce n’est pas un homme entièrement fiable puisque par ailleurs, il a triché dans le dos de son patron.
Autre chose : quand les procureurs essayent d’insister sur le fait que les prêts obtenus par M.Manafort auprès de cette banque, c’est à partir de trafic d’influence, c’est en promettant un poste important dans l’administration au directeur de la banque, les jurés, dans les réactions qu’on a vues au moment même, ont l’air d’acquiescer quand les avocats de Manafort disent : « Après tout, c’est la liberté de ce directeur de banque de faire ce qu’il veut avec l’argent qui se trouve dans la banque. » Alors les procureurs disent « Non, l’argent qui se trouve dans la banque – et ça ils ont raison – c’est pas l’argent du directeur. » Mais là, vous voyez, il y a aussi une hésitation possible, et je ne suis finalement pas surpris que, sur ces 18 chefs d’inculpation, le jury n’ait pas suivi dans à peu près tout.
Je crois que vous confondez « prise de pouvoir » où la séduction par l’intelligence ou la perversité est un choix stratégique…