Retranscription de Les derniers r** quittent le navire (I) et (II), le 19 août 2018. Ouvert aux commentaires.
(I)
Bonjour, nous sommes le dimanche 19 août 2018 et hier j’ai bien travaillé. Vous avez dû voir, j’ai fait trois longs billets sur Mme Omarosa Manigault-Newman, toute une retranscription d’une émission de télévision de M. John Brennan avec Mme Rachel Maddow – je ne vous ai mis que des extraits parce que tout n’était pas aussi pertinent par rapport à ce que j’avais envie de dire par la suite, qui était en fait une réflexion sur le retrait de l’autorisation de l’accréditation secret-défense de M. John Brennan et la réaction d’un militaire, de l’amiral McRaven à cela. Eh bien, un long article dans la presse américaine hier sur le fait que l’ensemble de la communauté liée à la police et aux renseignements aux États-Unis est en train de se soulever avec une belle unanimité contre M. Trump. Il a déjà irrité ce monde passablement, mais maintenant c’est le branle-bas de combat du côté de ces gens-là, et à peine voilé chez Brennan et chez McRaven, un conseil donné à tous ces gens disant : « Ne vous inquiétez pas, lâchez-le. Le moment, c’est maintenant. Ne faites plus la moindre concession. »
Je ne savais pas comment j’allais appeler ma vidéo ce matin. Je ne sais toujours pas, je vais inventer un titre par la suite. J’avais envisagé « Le dénouement », et puis le dénouement – oui, on est dans le dénouement – mais il peut encore durer un moment, parce que voilà, il y a toute la structure autour. On est au mois d’août et on ne peut pas savoir exactement ce qui va se passer. C’est un processus « critique », comme disent les physiciens. On sait que ça va lâcher, on sait que ça va craquer, mais on ne peut pas faire de prédiction précise parce que cela dépend d’un grain de sable, littéralement, parce que l’image souvent donnée, c’est celle d’un tas de sable fait par les enfants. Ils jettent des pelletées et on ne sait pas quelle est la pelletée qui va faire s’effondrer le tas tout entier. Ça dépendra d’un grain de sable qui rendra l’âme, qui tombera et qui entraînera les autres dans sa chute. Pareil pour ceci. Donc on ne peut pas dire « dénouement », alors que ça va durer peut-être encore des mois.
Dans l’expression « les derniers rats quittent le navire », là je trouve que ce n’est pas gentil pour certaines des personnes qui seraient des rats dans cette histoire. Je sais : l’expression est une expression consacrée. On dit les rats quittent le navire, mais ce n’est quand même pas très aimable pour certaines des personnes qui sont impliquées et qui seraient visées indirectement.
Alors, comment je vais commencer ce que je vais vous dire ? Je vais commencer par vous parler d’un film. Je cherchais dans ma collection, et je me dis : « Tiens, je vais commencer à regarder les choses le soir avec des films de Woody Allen dont j’ai oublié totalement de quoi ils parlaient.
J’ai regardé comme ça Le sortilège du scorpion de jade. Très amusant. Considéré comme nul par les critiques, et encore pire peut-être celui que j’ai regardé avant-hier qui s’appelle Anything else. « Anything else », c’est « Tout le reste ».
Alors d’où vient le titre dufilm ? C’est dans ce film que Woody Allen est un comedian qu’on traduit maintenant malheureusement par « comédien », parce qu’il y a un mot qui existe, c’est le mot « chansonnier ». Il conseille un jeune qui se lance dans cette profession et le titre du film vient d’une anecdote, enfin d’une blague, que raconte Woody Allen. Voilà, il est dans un taxi et il engage la conversation avec le taximan, et il lui dit : « Mais vous savez, quand on pense à nos petits soucis à l’intérieur de la vie telle qu’elle est sur une planète : nous sommes un grain de sable parmi des milliards de personnes. Et puis si on prend un peu de recul encore, notre planète est dans un système solaire avec d’autres planètes et puis tout autour il y a ces myriades d’étoiles. Alors qu’est-ce que ça signifie vraiment de penser à la vie ou à la mort dans un cadre comme celui-là ? » Il y a le taximan qui a l’air un peu pensif, il dit : « Yes, it’s like anything else. » « Oui ben c’est comme tout le reste. » Alors pourquoi la blague est drôle – enfin certains ne la trouveront pas drôle [rires] – ? C’est parce que justement, ce que Woody Allen essaie de faire, c’est de placer les choses en perspective à l’intérieur d’un facteur d’échelle. Que sont nos petits soucis à l’échelle de la planète et puis de la planète par rapport au système solaire et puis du système solaire par rapport à l’ensemble des étoiles ? Et le type lui dit « Oui c’est comme tout le reste. » Et « tout le reste », c’est les traites à payer, c’est avoir mal aux pieds quand on marche trop longtemps, c’est les enfants qui braillent, etc., c’est-à-dire tout ramener à une échelle absolument minuscule.
Et ça c’est la chose je dirais qui ne passe pas entre certains d’entre vous et moi ces jours-ci. J’en ai parlé de ce facteur d’échelle, à propos de ces gens qui me disent : « Oui mais Mme Hillary Clinton a fait des saloperies aussi. » Et je dis : « Oui mais enfin ce n’est pas – comme je l’ai dit l’autre jour – dans la même division, ce n’est pas la même échelle que ce que M. Trump est en train de faire, par exemple de remettre en question toutes les lois sur l’environnement : on n’est pas dans le même ordre de grandeur. »
J’y pensais ce matin parce que j’ai reçu un mail d’une personne qui me dit : « Reprenez votre casquette d’anthropologue : il se passe des tas de choses passionnantes aux États-Unis. » Et qu’est-ce que ça veut dire, c’est qu’il se passe des tas de choses passionnantes aux États-Unis mais qui ne sont pas celles dont je parle, et que, si je remettais ma casquette d’anthropologue, je verrais que les choses passionnantes aux États-Unis ne sont pas celles dont je parle. Ça me rappelle un peu la personne qui tout au début de mon blog – je ne parlais que de la crise des subprimes -, et quand soudain j’ai fait un billet sur une question d’anthropologie, et qui m’a répondu très vertement : « Occupez-vous plutôt des choses que vous connaissez » et à qui j’ai répondu : « Mais Madame, mon vrai métier c’est ça. »
Mais là c’est autre chose, c’est cette idée que si j’étais resté dans mon rôle d’anthropologue je parlerais d’autres choses qui sont passionnantes aux États-Unis et qui, bien entendu, sont sûrement très passionnantes – mais j’ai dû en parler d’ailleurs en d’autres occasions – mais qui dans le contexte actuel ne sont pas du même ordre de grandeur, elles ne sont pas justement à l’échelle. Ce que j’ai essayé de faire en prédisant la crise des subprimes c’est de montrer qu’il y avait un phénomène qui était en train d’acquérir un autre ordre de grandeur que celui qu’on pouvait imaginer. Et là aussi, à l’époque bien entendu, j’étais entouré de gens qui disaient : « Oui mais enfin, que des pauvres ne puissent pas rembourser leurs traites, ça crève les yeux, c’est évident, c’est des platitudes. Pourquoi vous ne parlez pas des choses intéressantes en ce moment aux États-Unis ? » Par exemple, je ne sais pas, les déclarations de M. Greenspan à la tête de la Federal Reserve qui expliquait qu’on était en vitesse de croisière et qu’il n’y aurait plus jamais d’accident à l’intérieur de la finance. C’est peut-être ça dont j’aurais dû parler ! J’en ai parlé après quand quand il s’est ridiculisé.
Non, le rôle de l’anthropologue, c’est précisément de voir ces ordres de grandeur, de voir ces facteurs d’échelle, et de pouvoir voir ce qui est important. Et quand je dis que la télé-réalité, c’est une mine à ciel ouvert, c’est pour comprendre comment fonctionne l’être humain. Et il y a sûrement des tas d’anthropologues, de sociologues qui doivent dire : « Non, c’est du divertissement de bas étage, etc., ça n’intéresse que des gens qui ne sont pas intéressants », et ainsi de suite.
Non, précisément, le rôle de l’anthropologue c’est de voir ce qui se passe dans son espèce et d’en parler, et de voir les facteurs d’échelle, de voir les ordres de grandeur, et de savoir ce qui est – parce que cette personne emploie aussi l’expression politique de caniveau … Non, ce qui est la politique de caniveau en 2005, ce n’est pas nécessairement la politique de caniveau en 2018, justement parce qu’il y a des changements d’échelle, il y a des ordres de grandeur différents qui apparaissent.
Alors, pourquoi j’avais été tenté de parler de derniers rats qui quittent le navire ? C’est parce qu’il y a un article très intéressant paru hier – est-ce que c’est dans le New-York Times ? Je crois que c’est le New-York Times – à propos de Monsieur Donald McGahn, conseiller juridique à la Maison Blanche. Mais avant de vous dire de quoi il s’agit, je vais vous dire pourquoi je pense aux ratx qui quittent le navire. C’est parce que les gens qui écrivent ça sont M. Michael Schmidt et Mme Maggie Haberman. Et Maggie Haberman, c’est une correspondante depuis des années et des années sur ce qui se passe à la Maison Blanche. Elle est extrêmement crainte de M. Trump. Quand il dit fake news et tout ça, il vise spécifiquement des gens comme Mme Haberman.
Et dans l’article – ce n’est pas dit tout au début, c’est dit au milieu, j’ai eu même un peu de mal après à essayer de retrouver cette phrase – il est dit que l’information qui est donnée dans l’article sur monsieur Donald McGahn, conseiller juridique à la Maison Blanche, est le résultat d’entretiens. Et puis il est dit « un certain nombre de personnes », etc., il y en a au moins une dizaine, de personnes qui ont travaillé en d’autres occasions à la Maison Blanche, et qui y travaillent en ce moment. C’est-à-dire que chacun est en train d’expliquer ce qui se passe, chacun est en réalité en train de se couvrir. Mme Omarosa Manigault-Newman a compris que dans ce monde-là il fallait enregistrer toutes les conversations pour pouvoir se défendre un jour d’avoir été associé à ce qui se passait.
De M. Michael Cohen, avocat de M.Trump jusqu’à récemment, on dit : « Mais pourquoi est-ce qu’un avocat enregistrait les conversations de son client ? Ça ne se fait pas du tout. » Oui mais son client c’était M. Trump. Tout le monde a compris que M. Trump parle de loyauté à tour de bras, reprochant aux gens de ne pas être loyaux vis-à-vis de lui, mais c’est une personne qui au cours de sa vie a montré que la loyauté, pour lui, ça ne comptait absolument pas, c’est la loyauté des autres qui compte pour lui. La sienne envers les autres, elle ne compte pour rien. M. Roy Cohn était son grand ami, c’était son mentor – je rappelle que Roy Cohn était l’âme damnée de McCarthy à l’époque de la commission McCarthy, devenu avocat de Trump -, le jour où on a compris que M. Roy Cohn était en train de mourir du SIDA, M. Trump n’en n’a plus parlé et a même fait semblant qu’il ne savait pas de qui il s’agissait. La loyauté c’est bon, mais c’est la loyauté des autres, pas la sienne propre.
(II)
Alors, qu’apprend-on dans cet article du New York Times de Michael Schmidt et Maggie Haberman, qui est paru hier ? Non seulement le fait que l’article est possible, parce qu’il y a un grand nombre de gens à la Maison-Blanche ou qui ont été à la Maison-Blanche, qui vendent la mèche et qui permettent donc aux deux auteurs de mentionner, on devine, une dizaine de personnes corroborant les mêmes informations.
De quoi s’agit-il ? Eh bien, que ce monsieur McGahn a passé déjà trente heures de conversations avec la commission Mueller, qui enquête, donc, sur une collusion éventuelle de l’équipe Trump avec la Russie. Alors, trente heures, c’est beaucoup, ça révèle que ce monsieur a été en contact constant [avec la commission Mueller] et qu’il a dit tout ce qu’il savait. C’est la personne avec qui Trump avait eu un échange très dur quand on avait appris – avec un peu de retard, d’ailleurs – nous, l’opinion publique, le fait que c’était au moment où M. Trump avait essayé de déboulonner M. Mueller, de le révoquer à la tête de sa commission, c’est M. McGahn qui avait mis sa démission dans la balance et qui avait empêché Trump de le faire. Donc, en fait et a posteriori, on découvre que ce M. Donald McGahn roulait pour la commission Mueller dès le départ.
M. Trump ne va pas pouvoir dire que c’est un Démocrate : c’est un Républicain affirmé qui a d’ailleurs joué déjà un rôle très important dans deux choses qui sont sur l’agenda, qui sont dans le programme du Parti républicain. C’est le renversement de la réglementation sur les choses d’ordre bancaire, et l’autre chose sur laquelle il a travaillé énormément, c’est le remplacement de juges considérés de gauche par des juges considérés de droite. Donc, c’est un fidèle au niveau de ses prises de positions, mais que dit la presse ? Il s’est mis au service de l’institution de la Présidence, et pas au service du Président. Il a compris la chose suivante : M. Trump a dit à ses avocats… parce que M. McGahn est associé à la Maison Blanche, par ailleurs M. Trump a des avocats, en particulier M. Ty Cobb et M. John Dowd qui sont ses avocats à proprement parler [Cobb jusqu’en mai 2018 et Dowd jusqu’en mars 2018]. Et ces avocats ont joué le jeu de croire M. Trump quand il leur a dit : « Il n’y a pas de collusion entre moi et mon équipe avec la Russie. » Et ces deux personnes ont donc joué cette carte à fond, avec les difficultés que l’on voit maintenant, et on a pris M. McGahn dans le rôle de fusible, c’est-à-dire d’être la personne exposée dans les relations avec le monde extérieur. Et ça, donc, ce M. McGahn l’a compris, il l’a compris apparemment très rapidement et qu’est-ce qu’il a fait ? Eh bien, il a commencé à travailler en liaison étroite avec la commission Mueller.
C’est à dire qu’on a un phénomène du même type que ceux qu’on a pu observer : M. Michael Cohen enregistrant toutes les conversations qu’il a avec M. Trump parce qu’il ne lui fait pas confiance, parce que la loyauté, comme je l’ai dit dans la vidéo précédente, c’est un truc qui va seulement dans une direction pour lui ; comme a fait Mme Omarosa Manigault-Newman dès le départ aussi, qui a compris qu’il fallait tout enregistrer. Et M. McGahn, avec le recul, il n’a même pas eu besoin d’enregistrements : il est allé raconter le jour-même – je dis ça entre guillemets – mais il a tenu au courant en direct la commission Mueller sur ce qui était en train de se passer.
C’est peut-être moins important sur la question de la collusion, parce qu’il n’a pas un rapport immédiat avec ça, mais en tout cas, il a toujours eu un rapport immédiat avec la possibilité d’une inculpation de Trump pour obstruction ou entrave à la justice. Pourquoi ? Eh bien, comme vous le savez, c’est propre à notre droit : notre droit fait la distinction que fait Saint Paul entre deux volontés chez nous, celle de la chair, qui est automatique, qui fait les choses automatiquement, et celle de l’esprit, qui peut délibérer et qui peut décider d’avoir des intentions, de faire les choses selon des intentions alors que, vous le savez, par exemple dans un crime passionnel, on considère que la délibération ne joue aucun rôle, c’est le corps uniquement, la chair, qui joue et qui prend des décisions indépendamment de ce que notre esprit peut faire. Donc, il est très important aux yeux de la Loi, de savoir s’il y a eu intention ou non. Et dans le cas de la « collusion » – plus spécialement de la « conspiration », qui est le terme technique – il est important, pour savoir si il y a conspiration, si il y a eu corrupt intent, « intention corrompue » (je traduis littéralement), c’est à dire l’intention de nuire.
Et là, ce monsieur McGahn a été certainement témoin, voilà, de toutes les réflexions de M. Trump sur pourquoi virer M. James Comey à la tête du FBI, pourquoi faire ceci ou cela. Parfois c’est en surface, parfois on ne doit même pas creuser, comme l’autre jour, quand la Maison-Blanche, Mme Sarah Huckabee Sanders fait une déclaration au nom de la Maison-Blanche en disant que M. Brennan a été révoqué pour telle et telle raison, d’avoir parlé à la presse de manière inconsidérée, etc., et puis que quelques heures plus tard, interrogé par le Wall Street Journal, le Président dit : « Oui, non, c’est tous des salopards qui sont impliqués dans cette chasse aux sorcières ! c’est de leur faute ! c’est des ordures ! on va les virer ! etc. » Donc voilà.
On est dans une série, Michael Cohen, Mme Manigault-Newman, M. McGahn, c’est-à-dire des gens qui ont compris tout de suite à qui ils avaient à faire et que s’ils voulaient collaborer avec ce personnage, mais pouvoir s’en sortir par la suite, il fallait tout étayer, il fallait tout dire, il fallait que tout le monde sache à l’extérieur ce qui se passait au moment-même, soit par des enregistrements qu’on pourrait montrer ensuite, soit, comme là, en communiquant directement avec les gens qui enquêtent sur Trump.
Et donc, bon, l’étau se resserre, la nasse se referme petit à petit. Les gens autour de Trump se sont protégés, et ils se protègent encore ! Ceux qui donnent à M. Schmidt et Mme Haberman toute l’information sur ce que McGahn a fait, et qu’on ne saurait pas si eux ne divulguaient pas cette information-là, c’est aussi des gens, sans doute, qui se défendent, qui se protègent, qui permettront ensuite à ces journalistes de dire : « Mais non, à cette époque-là déjà, telle et telle personne à l’intérieur de la Maison Blanche me disait ceci ou cela. »
Et il ne serait pas tellement étonnant que parmi les gens qui font des fuites, on trouve des gens très très proches de Trump. Comme dans les « mhm mhm » qui quittent le navire, il n’est pas impossible qu’il y ait des gens de sa famille, de sa famille immédiate ou par alliance. Je parle de ce que la presse appelle Jarvanka, un mélange de Jared [Kushner, le gendre] et Ivanka [Trump, fille de Donald et épouse de Jared]. Il ne serait pas étonnant que, par la suite, ces gens s’en tirent en ayant fait la preuve que eux aussi avaient lâché le Président quand la folie l’a pris : quand il a fait ce basculement qui est propre aux pervers narcissiques, entre la névrose et la psychose.
Voilà ! Allez, j’arrête là.
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