Retranscription de « Trump : Ce qui apparaît en surface n’est pas beau à voir ». Merci à Éric Muller, Grégoire Pichard et Olivier Brouwer ! Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le samedi 11 août 2018, et aujourd’hui, le titre de ma petite causerie sera : « Trump : Ce qui apparaît en surface n’est pas beau à voir ».
Je vous ai déjà parlé des personnes qui m’écrivent pour me dire : « Pourquoi cette obsession chez vous à propos de la personne de M. Trump ? », et là, j’ai déjà répondu : il est l’ennemi public N°1 de l’humanité parce qu’il aggrave de manière considérable le danger d’extinction de l’humanité. Il ne joue pas dans la même catégorie, il n’est pas dans la même ligue, il n’est pas dans la même division que Madame Hillary Clinton, dont j’avais souligné qu’elle est, en fait, l’obsession de la plupart des gens qui m’écrivent sur Trump, et qui me parlent après de manière infinie, infiniment longue, de grandes logorrhées, qui ne portent absolument pas sur Trump mais sur Hillary Clinton, et où il y a – je ne l’avais pas signalé jusqu’ici – où il y a quand même une part de sexisme, voilà, qui paraît quand même assez dominante.
Alors, maintenant, je ne vous parle pas de ces gens-là, qui m’écrivent pour me dire ça, je vous parle maintenant des gens qui m’écrivent pour me dire : « Pourquoi vous ne parlez plus de Trump ? », parce que on s’est un peu habitué au fait que j’opère ce qui pourrait apparaître comme un reportage sur les événements qui sont liés aux aventures, aux aventures rocambolesque de la météorite Trump – puisque le manuscrit du livre que je suis en train d’écrire s’appelle : La chute de la météorite Trump.
Alors, je voudrais souligner que je ne fais pas du reportage. En même temps, je ne vais pas faire une vidéo pour vous expliquer pourquoi je ne parle pas de certaines choses.
La personne qui m’écrit le plus récemment me dit : « Mais vous ne nous tenez pas au courant du procès de M. Paul Manafort en ce moment ».
Alors, première remarque, le procès de M. Paul Manafort n’est pas terminé, et donc que je me réservais d’en parler au moment où il y aurait un verdict, puisque c’est une accusation devant un jury, un jury de douze personnes qui vont rendre un [jugement] unanime, et c’est en principe lundi que ça devrait se passer. En principe, parce qu’il y a toujours la possibilité de prolonger les choses si de nouveaux éléments apparaissent dans les dépositions, les témoignages et ainsi de suite. Et c’est vrai que ce procès a lieu depuis un certain temps, mais je me réservais de vous en dire les conclusions lorsqu’elles apparaîtraient. Je ne voulais pas faire un reportage au jour le jour, parce que je ne suis pas un reporter de l’actualité américaine. Ce que j’essaye de faire, c’est une réflexion, une réflexion du type de celles qu’on trouve dans mon livre La crise du capitalisme américain, où j’annonçais la crise des subprimes.
Mais je vais quand même vous dire quelque chose à propos de ce procès, parce que ce qui apparaît est assez paradoxal, et ça répond un petit peu à ces objections qui me sont faites : « Vous êtes dans un camp contre un autre ! ». Eh bien non, parce que ce qui apparaît dans ce procès de M. Paul Manafort, même s’il n’est pas terminé, c’est la corruption généralisée. C’est une certaine justification, je dirais, de ce « Tous pourris ! » qu’il ne faut pas utiliser parce que c’est pas vrai. Ce n’est jamais vrai, comment dire, les propos à l’emporte-pièce : « Ils sont tous… » de telle et telle manière. Ce n’est pas vrai : il y a des gens honnêtes parmi les parlementaires, il y a des gens honnêtes au gouvernement, même si, comment dire, ceux qui donnent un mauvais nom à un certain nombre de choses sont souvent assez nombreux, et en tout cas font des choses qui sont de l’ordre du très spectaculaire.
Mais ce qui apparaît dans ce procès de M. Manafort – donc, qui n’a pas un rapport immédiat avec Trump, puisque, dans une logique très américaine qui est quand même assez éloignée du droit comme on le professe dans nos pays d’Europe occidentale – le procès qui lui est fait a essentiellement pour but de faire pression sur lui pour qu’il se déclare coupable par rapport à d’autres accusations qui pourraient être portées sur lui et qui, elles, auraient un rapport avec l’enquête qui a lieu sur une collusion éventuelle de l’équipe Trump avec la Russie.
Mais ce qui apparaît est assez consternant.
On voit d’abord ce M. Manafort qui a effectivement triché de manière tout à fait considérable sur ses déclarations d’impôts aux États-Unis – et c’est de ça qu’il est accusé essentiellement – mais on voit aussi la manière dont il a fait de l’argent, l’argent sur lequel il aurait dû payer les impôts, c’est à dire en étant le conseiller de dictateurs à peu près partout dans le monde.
Témoigne contre lui un certain Rick Gates, qui a été son assistant et qui, en échange d’un traitement, comment dire, amiable, amical vis-à-vis de lui de la part de la Justice américaine, est prêt à déposer contre son patron sous peine à ce moment-là de sanctions abominables s’il trahissait la promesse qu’il a faite en échange d’être traité de manière amicale. Ce M. Rick Gates confirme toutes les accusations contre M. Manafort mais au passage on découvre qu’il a lui-même puisé dans la caisse pour pouvoir se payer une relation illicite par ailleurs. Les comptables qui passent à la barre et qui disent: « Oui, on a triché sous les ordres de M. Manafort » et quand on les presse un petit peu, il y a une dame en particulier qui dit : « Ecoutez, c’est pour ça qu’on est payés, non ? ». C’est-à-dire qu’on voit apparaître des avocats véreux, des comptables véreux, des politiciens véreux, des gens qui tirent parti de l’argent sale essentiellement, parce que l’argent qu’aura touché au fil des années ce M. Manafort, ce sera essentiellement de l’argent sale, qu’il vienne d’ici ou d’ailleurs : c’est l’argent de la corruption, ce sont des parties, des parts de pots-de-vin qui ont été versés ici et là.
Et ce qui apparaît en plus, quand on voit apparaître des noms, c’est que, dans le même business que M. Manafort, d’obtenir d’un oligarque ukrainien à tendance pro-russe [Viktor Fedorovitch Ianoukovytch] de l’argent, il y a aussi un certain M. Tad Devine et ce M. Tad Devine, c’est le directeur de campagne ou en tout cas un très, très grand soutien de la campagne de M. Bernie Sanders, le héraut de la gauche américaine, de la gauche du Parti démocrate, le grand adversaire de Mme Hillary Clinton. Quand la discussion démarre là-dessus, on découvre bien entendu aussi des propos extrêmement amicaux envers l’Union soviétique de [la part de] M. Bernie Sanders dans son passé, c’est-à-dire que plus l’on creuse, plus l’on trouve des saloperies de tous les côtés, reliées absolument à tout le monde.
Il est dommage que ma vidéo aujourd’hui soutienne un petit peu cette vision du « Tous pourris ! » à un certain niveau, de la même manière que c’était avec un peu d’hésitation quand même que j’avais parlé au départ de ce rapport extraordinaire fait par l’équipe de l’École polytechnique de Zurich autour de M. Battiston, quand ils nous avaient montré que le « 200 familles dirigent le monde », une grande rengaine de la réflexion conspirationniste, complotiste, était vérifié par une analyse de type mathématique irréprochable à ce niveau-là [rires].
Malheureusement… j’en parle parfois et l’autre jour, j’ai dit, en parlant de la Révolution française, que, malgré des erreurs qui avaient été faites, malgré le fait que les révolutions dans leur ensemble n’ont pas un très bon track record, comme on dit en américain, c’est-à-dire, quand on regarde, que ça n’a pas donné grand-chose la plupart du temps, j’ai quand même personnellement de la sympathie pour Robespierre, son Discours sur les subsistances et son plaidoyer en faveur de la gratuité pour l’indispensable, que j’ai une énorme admiration pour une personne comme Saint-Just, qui est quand même arrivé à gagner sur des champs de bataille, à être un grand philosophe – même si c’est dans des manuscrits qui sont restés longtemps inédits – un grand penseur. Tous ces gens motivés par une énorme générosité.
Et c’est ça peut-être, la leçon de ma petite allocution aujourd’hui, c’est à quel point la ligne est difficile [à tenir] entre l’honnêteté et la malhonnêteté quand on vient, comme M. Roger Stone, comme M. Paul Manafort, comme M. Lee Atwater, quand on vient d’un milieu un petit peu défavorisé, et qu’on essaie quand même de gagner une place à la lumière du soleil, et que l’ascenseur social ne fonctionne pas aussi bien qu’on vous l’a raconté, et qu’on est obligé de faire pas mal de saloperies pour devenir quelqu’un qui apparaît sous les projecteurs, et qu’en même temps, quand on a des idées extrêmement généreuses, la ligne, là aussi, est très difficile à tenir entre l’application sans concession de ces idées extrêmement généreuses, et la manière dont la réalité humaine, la réalité du monde, de manière générale, résiste à vos tentatives. Et c’est pour ça que ça fait peut-être plaisir de voir qu’il y au sens de Hegel, une ruse de la Raison qu’il y a peut-être quelque chose de l’ordre, non pas de la Providence – parce que cela demanderait qu’il y ait véritablement un chef d’orchestre en arrière plan (il y en a peut-être un mais je n’en suis pas convaincu) – mais qu’il y a quand même quelque chose qui donne du sens à l’activité des êtres humains, plutôt au niveau des structures, plutôt au niveau des choses qui sont de l’ordre du collectif que de l’action individuelle.
Il y a des choses qui se passent, il y a des choses qui avancent, il y a une espèce qui a son histoire et cette histoire, chez nous, animal humain, est un peu du même ordre quand même que celle de tous les autres animaux dont nous n’avons pas la preuve qu’ils aient une conscience comme la nôtre, qui projette en avant, qui anticipe les comportements. Mais qu’il y a quand même chez tous, il y a une histoire, une évolution de l’espèce. Alors cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, qu’il ne faut pas réfléchir. Je crois que cela fait quand même partie des atouts, quand même, de l’être humain, le fait que nous puissions nous asseoir autour d’une table, réfléchir, mettre les choses sur le papier et dire : « Voilà, nous allons les faire ! ». Malgré ce que je dis toujours sur le fait que nous soyons des animaux qui n’avons pas nécessairement un aussi grand contrôle, une aussi grande maîtrise, sur nos comportements que nous nous l’imaginons.
Tout cela est à la fois très pessimiste et très optimiste et, en terminant, je vais souligner la partie optimiste. C’est que nous avons quand même la possibilité, non seulement de réfléchir, mais de mettre en actions, mettre en actes, les conclusions auxquelles nous arrivons. Il ne faut pas se laisser décourager par le fait de voir que la quasi-totalité de nos contemporains et de tous nos ancêtres, ont pris des diagonales par rapport à l’éthique, par rapport à la vérité, par rapport aux comportements qui seraient véritablement honnêtes. Mais ceci dit, il faut insister sur le fait qu’il y a des personnes qui sont bien pires que les autres et qu’il est important pour nous d’essayer de faire tout ce que nous pouvons, même si c’est de manière très éloignée, en étant très très loin des leviers de pouvoir, d’essayer d’infléchir les choses dans la bonne direction. Nous avons des exemples : on a appelé Robespierre « L’incorruptible ». J’insiste sur le fait que, si on l’a fait, c’est qu’on ne peut pas appliquer le titre à tout le monde, et qu’il est possible, même dans un univers où la corruption semble être le chemin privilégié, il y a quand même moyen de ne pas l’être. Il y a moyen d’essayer de réaliser les idées généreuses. À toutes les époques, il y a des gens qui ont essayé de le faire et rien ne s’oppose à ce qu’on soit du bon côté de ce point de vue-là.
Voilà ! Allez, à bientôt !
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