M. Trump a de plus en plus chaud, le 26 juillet 2018 – Retranscription

Retranscription de M. Trump a de plus en plus chaud. Merci à Grégoire Pichard !

Bonjour, nous sommes le jeudi 26 juillet 2018 et comme je vous l’ai annoncé tout à l’heure, une double vidéo aujourd’hui, « a double bill » comme on fait dans le monde anglo-saxon : on peut aller au ciné et voir deux films à la suite l’un de l’autre. Le thème est commun : il fait chaud ; la première partie s’appelait : « Il fait très chaud [À qui la faute ?] » et c’était de savoir : anthropocène ou capitalocène ? Vous allez pouvoir voir ça ailleurs et j’annonçais la deuxième partie : « M. Trump a de plus en plus chaud ».

Pourquoi ? Il s’est passé une chose extraordinaire, une première dans la carrière de M. Trump, Président des États-Unis : il a fait hier machine arrière sur deux sujets.

Il recevait M. Jean-Claude Juncker, à la tête de la Commission européenne, à la Maison-Blanche et on s’attendait à ce qu’il fasse comme il fait d’habitude avec ses invités – sauf quand c’est avec M. Poutine, parce que là, il fait une exception : là c’est M. Poutine qui lui donne des grands coups de gourdin sur la tête sans qu’il ait l’air d’avoir mal – et comme vous le savez, d’habitude, c’est lui qui donne des grands coups de gourdin sur la tête des autres, qui essaie de les écrabouiller comme Mme Theresa May, Mme Angela Merkel, et ainsi de suite. Là, non : communiqué aussitôt : « On s’est mis d’accord. »

Ce n’est pas encore très clair sur quoi on s’est mis d’accord, il est question de soja, il est question de revoir les règles de l’Organisation mondiale du commerce mais enfin, voilà, « on s’est mis d’accord et on va faire baisser les tarifs douaniers, on va faire baisser les paiements qui sont faits pour l’importation de biens étrangers ».

Bon, c’est une première : il ne fait pas cela d’habitude, M. Trump, alors on s’est demandé ce qui n’allait pas bien et on l’a appris un peu plus tard puisqu’il y a eu une déclaration de son conseiller, M. John Bolton, indiquant que l’invitation adressée à M. Poutine de se rendre à Washington durant l’automne avait été repoussée au début de l’année prochaine pour que cela coïncide avec la fin de la chasse aux sorcières.

Vous vous en souvenez, M. Trump et M. Poutine s’étaient rencontrés à Helsinki récemment ; aux États-Unis, même parmi les soutiens habituels de M. Trump, cela avait été considéré comme une catastrophe absolue. On avait vu son attitude soumise, attendant l’approbation de M. Poutine lors de la conférence de presse qu’ils ont faite ensemble. M. Trump échangeant des regards apeurés : il y a pas mal d’arrêts sur images qui montraient cela. Il y a même eu le clin d’oeil que M. Trump adresse à Poutine en croyant que la caméra ne pourrait pas le saisir parce qu’il se mettait bien de profil, mais ses gros sourcils ont fait que l’on voyait très bien son clin d’oeil quand même.

Donc catastrophe ! Il revient d’Helsinki et tout le monde  s’est dit : « Qu’est-ce qu’il va faire ? » et là il utilise la technique classique de son enfance, de sa jeunesse : « double down », il en remet une couche. Quand on lui dit qu’il a absolument tort, il en remet une couche et vous verrez dans des livres comme Trump Revealed, comment on parle de son enfance, de son adolescence. C’était absolument typique de lui : quand tout le monde autour de lui disait : « Tu as tort, tu te trompes ! », sur des choses comme l’identité d’un joueur de baseball, il en rajoutait une couche, il n’admettait jamais, il ne voulait jamais admettre avoir tort, ne faisait jamais d’excuses. Et que se passait-il dans ce cas ? On le dit : tous ses copains riaient de lui. Et de là vient sans doute sa peur que l’on rie de lui. Vous avez dû voir dans ses déclarations, quand il déclare une guerre quelconque, dire : « Ils se tapent le cul par terre de rire, à Téhéran, à Pékin, etc. » Son argument principal, c’est : « Ils se moquent de nous ! Ils rient de nous ! », et sa réaction, toujours comme à l’époque : il en remet une couche. Donc, il revient d’Helsinki et ses conseillers, tout le monde, disent que c’est une désastre, il est le seul qui croit avoir réussi quelque chose et qu’est-ce qu’il annonce le lendemain ? Il annonce aussitôt qu’il invite M. Poutine à se rendre à Washington à l’automne.

Alors là : machine arrière et cette utilisation de l’expression « chasse aux sorcières ». Je suis en train de vous faire par ailleurs, par écrit, un gros chapitre dans mon bouquin qui s’appellera La chute de la météorite Trump. Il y aura un grand chapitre sur « Trump et la chasse au sorcières » et, là, je vous fais cela en feuilleton car cela renvoie à beaucoup de choses. Il faut que je vous parle du procès en sorcellerie à Salem : en 1692-1694 ; cela a marqué l’histoire des Etats-Unis. Il y a une pièce célèbre, The Crucible, d’Arthur Miller en 1954 où il utilise la chasse aux sorcières de Salem comme un symbole du maccarthysme qui se déroule à ce moment-là dans le pays. Arthur Miller lui-même a été interrogé par cette commission de McCarthy et vous l’avez vu, c’est le premier épisode de mon feuilleton : qui est le grand mentor, le grand exemple, le role model de M.  Trump ? C’est Roy Cohn, quelqu’un qui l’a énormément aidé dans sa carrière en étant son premier avocat et qui est M. Roy Cohn ? C’est l’âme damnée de McCarthy, c’est le secrétaire de McCarthy, c’est lui qui lui insuffle ses grandes idées. Et c’est cela qui sera la conclusion de mon enquête : quand M. Trump parle de chasse aux sorcières, il sait de quoi il parle. Ce qui a tué la carrière de son mentor, c’est l’utilisation de « chasse aux sorcières » dans le sillage de la pièce d’Arthur Miller. Et pourquoi donc M. Trump l’utilise de manière systématique ? Il essaie d’anesthésier l’opinion sur le fait que des accusations vont apparaître, comme sa haute trahison personnelle. Dès le départ, il s’est dit : « Je vais anesthésier le public en disant ‘chasse aux sorcières ! chasse aux sorcières ! chasse aux sorcières !’ et, au moment où on m’inculpera, eh bien le public sera convaincu qu’il s’agit simplement d’un montage, d’une « hystérie collective », comme on dit maintenant, et de choses de cet ordre-là. »

Pourquoi fait-il marche arrière tout à coup, dans sa rencontre avec Jean-Claude Juncker, dans cette invitation à Poutine ? Pourquoi cette idée que l’on fera cela plutôt l’année prochaine, après la fin de la chasse aux sorcières ? C’est parce que, d’abord, le travail de la commission de Robert Mueller avance ; il y a un reportage que je voyais hier – quand M. Trump répète « Il n’y a pas de collusion, les preuves n’existent pas, rien ne prouve qu’il y a collusion » – qui montre qu’il y a 82 Américains qui sont déjà en difficulté pour collusion et ils sont tous dans l’entourage de Trump. Il ne nous manque qu’une personne dans la collection, c’est Trump lui-même.

Mais pourquoi la journée d’hier ? Je crois, il me semble que M. Trump est déstabilisé par quelque chose d’assez anecdotique et finalement qui est plutôt marginal dans ce qui se passe : c’est cet enregistrement d’une conversation entre lui et Michael Cohen, qui était jusqu’à récemment son avocat. Cela circule maintenant et c’est une bande, un enregistrement qui montre qu’en tout cas dans un cas, M. Trump ment effrontément quand il dit qu’il n’avait jamais entendu parler de cette affaire de la centerfold, de la playmate de l’année, si mon souvenir est bon, 1999, Mme Karen McDougal [Playmate of the Month en décembre 1997 et Playmate of the Year en 1998]. Dans l’affaire de lui payer USD 150’000.- au départ pour que son témoignage apparaisse dans le National Enquirer, un tabloïd, la presse de caniveau comme on dit en Angleterre, « gutter press ». Finalement, on lui a payé 150’000.- et on n’a rien publié. Du coup, c’était une manière de la faire taire. Mais dans la conversation que l’on entend, c’est M. Trump qui a payé en réalité les USD 150’000.- et contrairement à ce que dit M. Giulani, son avocat, il ne tombe pas des nues, il n’est pas évident qu’il entende parler de cela pour la première fois. Au contraire, il a l’air de très, très bien connaître l’affaire. Pourquoi cela sort, cette histoire ? C’est parce que M. Michael Cohen a un avocat : il a un avocat qui s’appelle M. Lanny Davis, et celui-ci est déjà connu des Américains parce que M. Lanny Davis a défendu les Clinton à différentes époques mais il a défendu des tas de gens, dans des tas de contextes. Les Clinton ne sont qu’une partie de ses clients, il a en particulier défendu aussi le National Enquirer, ce fameux journal tabloïd, précisément dans cette histoire de Karen McDougal. C’est un avocat de type classique, c’est-à-dire qu’il défend les gens s’il considère que c’est une cause intéressante pour lui, probablement sur un plan financier et de sa réputation en général.

Mais ce Monsieur est caractérisé comme quelqu’un qui utilise la théorie, la stratégie de la guerre par inondation totale. À quoi cela fait allusion ? Cela fait peut-être allusion à deux choses historiquement bien connues.

Quand il y a eu une révolte des Pays-Bas contre le « joug espagnol », c’est-à-dire en fait la guerre de religion où les Pays-Bas, c’est-à-dire la Hollande, la Belgique et peut-être le Luxembourg actuels faisaient partie d’un pays qui était sous une sorte de dictature militaire espagnole, pas tellement sous Charles Quint mais sous le règne de son fils Philippe II. Les Pays-Bas se sont révoltés : il y avait, selon mon souvenir, dix-sept ou dix-neuf provinces – je vérifierai – et les dix provinces du nord ont pu obtenir leur indépendance [Les 17 provinces furent divisées par la trêve d’Anvers (1609) et formèrent deux masses : les sept provinces du nord prirent leur indépendance sous le nom de Provinces-Unies : Hollande, Zélande, Utrecht, Gueldre, Overijssel, Frise, Groningue (avec Drenthe)]. Celles du sud ne l’ont pas pu et c’est pour des raisons purement géographiques : c’est précisément parce que les provinces du nord, qui sont les Pays-Bas actuels, la Hollande essentiellement, se trouvent sous le niveau de la mer et l’on peut utiliser massivement la technique de faire sauter les écluses pour embourber les troupes du Duc d’Albe.

La stratégie a été également utilisée pendant la guerre de 1914: si un petit bout de Belgique n’a pas été envahi, c’est dans la zone délimitée par le delta de l’Yser. Là aussi, on a fait sauter les écluses et les troupes n’ont pas pu avancer.

Ce M. Lanny Davis semble être un avocat qui connaît son métier : il s’est adressé l’autre jour à la télévision en s’adressant aux électeurs qui se disent Républicains en disant : « Ne me croyez pas, je suis un Démocrate, mais croyez ce qu’entendent vos oreilles. » Il a aussi une stratégie que je trouve excellente, la preuve, c’est que je l’utilise toujours dans les cas où on me fait des procès ou des choses de cet ordre-là. « Dites-le rapidement, dites tout et dites-le vous-même », voilà le conseil qu’il donne à ses clients. C’est difficile pour M. Michael Cohen d’utiliser cela : il a plutôt utilisé la stratégie de l’anguille jusque-là ou celle qu’utilise M. Trump avec M. Giulani, qui consiste à mentir le plus possible et à en rajouter chaque fois une couche. Il dit : « Non : il faut dire la vérité, il faut la dire le plus vite possible pour montrer qu’on n’a pas quelque chose à cacher, il faut la dire toute et il faut la dire soi-même ». C’est-à-dire qu’il vaut mieux que ce soit le client qui parle, plutôt que l’avocat, parce qu’il y un truc qui s’appelle « la sincérité », même si on n’en parle plus beaucoup ces jours-ci, parce qu’on sait qu’on peut la remplacer par un procès et un paiement de dommages-intérêts si cela coûte moins cher que la sincérité, et qu’on obtient un prix Nobel d’Economie comme M. Coase si on défend ce point de vue-là [le concept est de Oliver Wendell Holmes (1841 – 1935)].

Voilà, j’ai le sentiment que ce qui commence à déstabiliser véritablement M. Trump, c’est le fait, d’abord,  que l’enquête de Mueller avance mais peut-être effectivement cet avocat M. Lanny Davis est en train de marquer des points. Alors, interrogé, M. Lanny Davis a dit qu’il n’y avait pas de croisade qui n’ait qu’un seul chevalier : « Je n’arriverai pas à faire tomber Trump tout seul », mais il ajoute aussitôt, comme le dit le reportage à ce sujet dans le [New York Times] : « Mais quand je suis dans la rue, il y a quand même pas mal de gens qui m’arrêtent et me disent ‘Vas-y, mon gars, vas-y, vas-y, tu vas l’avoir !’ »

C’était ma deuxième vidéo pour aujourd’hui et je crois que je vais arrêter là sur le thème « Il fait chaud », et c’était donc la seconde partie : il fait de plus en plus chaud pour M. Trump. À bientôt !

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