La chute des Etats-Unis et les leçons pour nous, le 19 juillet 2018 – Retranscription

Retranscription de La chute des Etats-Unis et les leçons pour nous. Merci à Nicolas Bolle, Eric Muller et  Olivier Brouwer !

Bonjour nous sommes le jeudi 19 juillet 2018 et aujourd’hui ma petite allocution aura pour titre « La chute des États-Unis et les leçons pour nous ». Je ferai dans l’ordre.

D’abord la chute des États-Unis : la journée d’hier et les discussions qui ont continué, les gloses à propos de la réunion d’Helsinki et de la performance, de la prestation, de M. Trump dans ce cadre.

Dans ce cadre, il avait eu l’occasion de prononcer une phrase où il avait laissé entendre qu’il accordait une confiance absolue à M. Poutine sur le fait qu’il n’y avait pas eu d’ingérence de la part des Russes dans les affaires américaines et hier il a fait une intervention pour dire qu’il y avait eu malheureusement une erreur dans sa lecture de ses notes et qu’il aurait dû employer la forme négative plutôt que la forme affirmative et qu’évidemment c’est parce que dans le cadre de sa phrase ou il y a une double négation, les choses ne sont peut-être pas très faciles à manœuvrer.

Ce que nous dit la presse, c’est que ce sont ses conseillers affolés au retour dans l’avion « Air Force One » qui lui ont dit « il faut absolument que vous affirmiez avoir dit le contraire de ce que tout le monde a pu vous entendre dire ! » et on a trouvé comme seule astuce ce changement de phrases. Les commentateurs, les petits plaisantins s’en sont donné à cœur joie dans la journée : un monsieur a fait un tweet en disant : « S’il ne dépendait que de moi, il n’y aurait pas d’impeachment de M. Trump il n’y aura pas de récusation de M. Trump en tant que président » et Oups ! Excusez moi ! je relis mes notes ! En fait donc je voulais dire il y AURAIT impeachment de M. Trump il aurait sa récusation ».

D’autres plaisantins ont ajouté des tas petites blagues sur le « would » ou « would’nt » et il y a eu encore pire – si on peut dire – en fin de journée, lors d’une conférence de presse de Trump, quand on lui pose la question « Est-ce qu’il y a encore ingérence de la Russie dans les affaires américaines ? », il a répondu : « Non ». Et par la suite quand son porte-parole (Mme Sarah Huckabee Sanders) a été interrogé par la presse en lui demandant : « Est-ce qu’on a bien entendu quand il a dit qu’il n’y a plus d’ingérence ? », elle a essayé là aussi de sauver la mise en disant : « Oh non ! Quand il a dit ‘non’, c’était à la question qui lui avait été posée aussi ‘Est-ce qu’il allait encore répondre à des questions ?’ ». Bon la chute… la chute !

Un certain George Will considéré comme un des grands commentateurs américains, prix Pulitzer en 1977, considéré par le Wall Street Journal – qui comme je vous le rappelle n’est pas une publication d’extrême-gauche – comme « probablement notre plus grand journaliste actuel », M. Georges Will était interviewé longuement à la télévision à propos d’un article qu’il a publié dans la journée d’hier et qui dit : « Le naufrage lamentable d’un homme ». Il emploie des termes extrêmement durs, je dirais, pour un commentateur pundit, pour un ponte de la réflexion américaine – des termes quasiment injurieux à l’encontre de Trump.

Voilà où on en est : un délitement du soutien qui lui est apporté et ce cafouillage supplémentaire dans la journée d’hier, vont encore aggraver les choses.

Aggravant les choses aussi là sans doute du point de vue américain, les déclarations de l’ambassadeur de Russie aux États-Unis disant que des décisions très importantes avaient été prises lors de la rencontre entre Poutine et Trump dont on allait bientôt entendre parler. Le ministère de la Défense américain interrogé à ce sujet-là a dit qu’il n’était au courant de rien. Ce qui veut dire que si des grandes déclarations sont faites sur ces décisions qui ont été prises elles auront été prises unilatéralement par M. Poutine et pas par M. Trump, qui se contentera une fois de plus d’approuver ce qui a été dit.

Alors, le mot qu’on trouve – on voyait le mot treason : haute trahison dans la presse, essentiellement dans la journée de mardi – celui qu’on voit le plus, le mot qu’on voit le plus dans la presse américaine, curieusement, c’est un mot russe : c’est kompromat.

Il devient de plus en plus clair que la seule explication possible – à part la folie, mais il faudrait encore une folie extrêmement, je dirais, dirigée, dans une direction particulière – c’est qu’il y a des documents compromettants sur M. Trump – datant en particulier d’une visite qu’il a pu faire, à une époque, en Russie. Comme on le sait, cela fait partie des méthodes habituelles en Russie, de gestion de la politique – constituer des dossiers sur d’autres personnalités.

Vous allez me dire : cela se fait partout. Bien entendu cela se fait partout : il y a des dossiers partout sur tout le monde, mais ce n’est sans doute pas utilisé de manière aussi systématique que ça l’a été en Union soviétique et comme ça semble encore le cas en Russie.

Voilà où on en est. On est dans une situation de gens s’affligent, se consternent en public, mais il y a aussi – et j’y faisais allusion, je crois que c’était hier ou avant-hier – on voit de plus en plus apparaître, [parmi] les autorités américaines, deux types de personnes : un type de personnes qui fait des commentaires sur leur consternation, et puis des gens qui ne disent plus rien.

Qui ne dit plus rien, en particulier, M. [James] Mattis, le ministre de la défense américain qui, apparemment, est invisible depuis un certain temps, qu’on n’a pas vu en public et qui, en tout cas, n’a pas fait de déclarations. Est-ce que ça veut dire qu’il prépare une démission ? C’est une possibilité. Une autre possibilité, c’est qu’il se trouve parmi ces personnes qui considèrent qu’ils sont des remparts. Des remparts pour la survie du pays jusqu’à la disparition, la chute finale de M. Trump.

J’en ai parlé hier ou avant-hier, du rôle joué par M. Rod Rosenstein, le numéro deux du ministère de la Justice, qui semble, voilà, je disais, quand on lui parle de Trump, il semble regarder au plafond, c’est à dire ignorer entièrement les questions qui lui sont posées, et comme le faisait remarquer un commentateur hier dans la revue Wired [Garrett M. Graff], c’est probablement parce qu’il connaît, il connaît l’issue finale. M. Robert Mueller le tient au courant de manière constante du progrès de ses inculpations, des décisions qu’il prend, et donc, disait ce commentateur dont je mettrai le nom [en-dessous de la vidéo], il semble évident que M. Rosenstein se réserve pour la fin, c’est-à-dire qu’il sait qu’il a un rôle à jouer maintenant, simplement de permettre que cette enquête aille à son terme, et qu’on en connaisse les conclusions, les conclusions que lui connaît, et qui semblent le rassurer sur le sort des États-Unis.

Mais, même si M. Trump disparaît rapidement, on se rend compte du dégât qu’il aura causé à peu près dans tous les domaines : domaine du commerce national, des relations avec les pays qui sont considérés comme les alliés des États-Unis, dans le domaine de l’environnement bien entendu, où il a déjà provoqué des catastrophes. On pourra peut-être inverser la vapeur, mais le dégât aura déjà été considérable… Considérable !

S’il s’agit… s’il s’agit (je parle au conditionnel), d’une ingérence de la Russie et là, même si ça s’arrête maintenant, elle aura eu des conséquences énormes, énormes pour le monde occidental : la zizanie est partout entre les États-Unis et les gens, les pays qui étaient considérés comme leurs alliés.

Alors, je passe à la deuxième partie et aux conséquences pour nous, et vous allez peut-être être surpris de ma transition.

Ma transition, c’est la suivante : si vous regardez mes vidéos, et si vous regardez les vidéos les plus regardées, et celles où peut-être j’ai le plus d’impact parce que, voilà, je ne suis pas comme ça à regarder dans le tube, mais je suis en dialogue avec des personnalités, par exemple avec M. Woerth à l’époque, qui était ministre du budget si j’ai bon souvenir (prise de bec avec lui), d’autres interventions que j’ai faites au fil des années dans le cadre d’une émission qui s’appelait Ce soir ou jamais, une émission de Frédéric Taddéi. Cette émission se trouvait sur France 3. Elle s’est trouvée ensuite sur la 2, et puis elle a disparu.

Et alors-là, vous allez voir le lien avec ce que je viens de dire. La nouvelle, c’est que l’émission, une émission du type Ce soir ou jamais va être ressuscitée sur la chaîne de télévision RT. La chaîne de télévision RT, au cas où vous ignoreriez ce que c’est, c’est la chaîne officielle de la Russie. Elle émet dans beaucoup de pays et elle émet également en France, ce qui avait suscité un grand débat, parce qu’on pourrait considérer (sans doute à juste titre) qu’il s’agit essentiellement d’un organe de propagande pour le gouvernement russe, qui en ce moment est dirigé, bien entendu, par son président M. Poutine.

Si cette émission démarre dans ce cadre-là, il y a tous les gens qui regrettent l’impact qu’a eu une émission comme Ce soir ou jamais, où il était possible de discuter librement, à quatre ou cinq ou six invités, à bâtons rompus, de thèmes importants… C’est là que j’ai lancé le thème « le travail disparaît »… vous pourrez voir encore cette vidéo : c’est une vidéo qui est souvent reprise, qui est citée dans des articles comme étant une mise en garde contre la disparition du travail et de l’emploi.

Certains de mes collègues iront d’enthousiasme, en ne se posant pas de questions sur le sponsor et se rendront dans le cadre de la nouvelle émission Ce soir ou jamais.

Moi je n’irai pas, parce que je n’interviens pas dans le cadre d’organes de propagande d’un pays quelconque.

On peut me dire « Oui, quand vous allez à France Culture, en fait, c’est l’organe de propagande de la France ! » Non. J’ai la liberté de dire ce que je veux, sans que ce soit interprétable comme étant un cadre qui donne à mes paroles un sens tout à fait particulier, et il faut bien dire qu’il n’y a pas d’instructions qui sont données. Il y a parfois des commentaires très désagréables aux choses que je pense dans le secteur public : ça m’est déjà arrivé. On m’interrogeait sur mon livre sur Keynes, et le reporter a dit… la première question, vous vous en souvenez peut-être : « Est-ce que tous nos malheurs ne sont pas dus à Keynes ? ». Bon. Ce monsieur est un propagandiste ultralibéral, probablement un admirateur de Friedrich Hayek et de ces gens qui nous ont produit l’ultralibéralisme.

Voilà contre quoi je mets en garde. Et l’émission Ce soir ou jamais est une métaphore de l’ensemble.

Mes collègues qui iront à la nouvelle émission de Taddéi dans le cadre d’un organe de propagande russe se diront : « Il vaut mieux parler que ne pas parler du tout : ce cadre est un cadre positif puisqu’on peut discuter de différentes choses ! »

La question qu’il faut se poser, au niveau des gouvernements, c’est : pourquoi n’y a-t-il plus d’émissions comme celle-là dans le cadre de ce qui se présente encore comme une démocratie – au moins aux yeux du public ? Pourquoi est-ce qu’il faut recourir à des organes de propagande de pays autoritaires ?

Mon conseil au secteur public, au secteur audio-visuel public en France, ce serait : « Arrangez-vous, arrangez-vous pour qu’il y ait de nouveau des émissions comme celle-là. »

Pourquoi dans le secteur public ? Parce qu’on le sait bien : quand il s’agit de grands industriels qui sont propriétaires de chaînes de télévision, ils interfèrent, il y a des ingérences : […] il y a des gens à qui on interdit de parler, il y a des programmes qui sont retirés à la dernière minute parce qu’il y a des choses qu’on [y] dit qui dérangent. Je peux même vous signaler qu’il y a des maisons d’édition dans lesquelles il y a des différends, parce qu’il y a des livres dont on dit : « Il ne faudrait peut-être pas le publier de telle et telle manière », etc.

Nous sommes dans un… nous avons le choix, maintenant, entre le populisme soutenu par des puissances étrangères où on dit : « Tous pourris ! Ça ne peut pas continuer comme ça ! », et des gouvernements de type ultralibéral où la liberté, de fait, est en train de disparaître aussi, parce qu’on permet simplement à des industriels d’utiliser leur argent pour faire pression et pour empêcher qu’on dise les choses qui dérangent.

Je vous ai parlé tout à l’heure du monsieur. … non, du Wall Street Journal, qui dit… de ce M. George Will qui parle du naufrage de M. Trump, comme étant le plus grand journaliste américain… Le Financial Times dans son édition d’hier – qui n’est pas non plus un organe de presse d’extrême gauche – sans doute le plus grand éditorialiste, M. Martin Wolf, a fait un article hier sur la dérive de nos pays.

Il emploie le mot « ploutocratie » ; on peut employer « oligarchie » aussi. M. Martin Wolf a parlé pour ses parents, qui étaient des réfugiés d’Europe centrale, de l’espoir que représentaient à une époque les États-Unis. Il fait allusion, bien sûr aussi, à la chasse aux sorcières du maccarthysme.

Petite remarque en passant : l’assistant du procureur, de M. McCarthy, est un certain M. Roy Cohn, et ce M. Roy Cohn c’est le mentor, c’est le role model, la personne qu’admire le plus M. Trump.

Martin Wolf nous dit que nos pays sont dans une dérive – il n’emploie pas « ultralibérale », il parle de « ploutocratie » – et il montre que la concentration de la richesse est ce qui produit, en réaction à cela, le populisme. Et donc ce choix qui arrive aussi là, qui nous est offert maintenant : un ultralibéralisme qui est une oligarchie, où ce sont les gros industriels qui décident absolument de tout, et des populismes un peu fous, qui tombent facilement dans la xénophobie, parce que, faute d’instruments d’analyse, on retombe en général sur un étranger quelconque qui est probablement responsable des malheurs qui nous atteignent.

Et, je l’ai déjà souligné, et j’en ai parlé tout à l’heure à propos de cette intervention que j’avais faite chez Taddéi, à propos du travail qui disparaît, dans la mesure où nos pays refusent de mettre à plat cette question du travail et de l’emploi qui disparaît, ils alimentent (ceux qui refusent de mettre la question à plat) la xénophobie, puisque la question de l’immigration, de la libre circulation des personnes va se focaliser sur le fait que les personnes qui circulent comme cela sont potentiellement des concurrents, des rivaux, pour les quelques postes qui restent encore.

Depuis quelques jours, je fais des vidéos sur l’actualité affligeante de la chute des États-Unis qui se précipite depuis quelques jours. Aujourd’hui, j’ai voulu en tirer aussi quelques conséquences pour nous.

Si tout cela ne s’arrange pas, si dans nos pays on n’a plus que… (je vais ajouter une conclusion qui me vient comme ça… vous allez voir) [sourire]… si dans nos pays, on n’a plus que le choix entre l’ultralibéralisme délirant, le capitalisme sauvage et le populisme le plus fou, on se mettra à prêter attention au seul endroit, peut-être… et j’y fais allusion, j’y fais allusion, j’en parle dans Défense et illustration du genre humain, au seul pays qui a l’air de se diriger en ce moment vers une social-démocratie comme nous avons connu à l’époque qu’on appelait « les trente glorieuses », une époque où l’économie était dans une perspective keynésienne, c’est à dire de transition – comme le définissait Keynes – de transition vers le socialisme. Le seul pays qui a l’air d’être en transition, non pas vers le communisme de type soviétique – parce que ça, il en vient – [mais] vers un socialisme démocratique, c’est la Chine.

Je ne dis pas qu’elle y est déjà, elle n’y est pas encore, mais dans les déclarations qui sont faites à propos des objectifs à vingt ans, à quarante ans, pour fêter l’anniversaire de la création du Parti communiste chinois, ou l’anniversaire des cent ans de la Révolution chinoise, les étapes qui sont définies sont des étapes de transition vers le socialisme au sens que le mot avait avant que le mot « socialisme » soit utilisé pour décrire, renvoyer, faire référence simplement, à une version à visage humain de l’ultralibéralisme.

Il faut réfléchir à ça, il faut réfléchir à ça. Le problème, ce n’est pas tellement des querelles entre être pro-Russe ou pro-Américain. Souvent, dans les commentaires que vous me faites, vous dites : « Oui, mais voilà, vous êtes pro-Américain », et tout ce que vous m’offrez dans ce cas-là, c’est d’être pro-Russe ! Euh, non ! il faut situer les choses dans un cadre où l’on va, dans une perspective non utopique ou non utopiste, où on va vers quelque chose. Si on va vers quelque chose dont on a déjà connu une version esquissée, comme le socialisme, pourquoi pas ? Ça doit être ça, à mon sens, la voie vers laquelle nous diriger.

La Chine n’est pas encore une démocratie, il y a des choses, il y a des dérives sous forme d’hyper-surveillance qui nous inquiètent énormément ! Parce que, bon, se retrouver dans un régime qui s’appellerait « socialiste » et qui respecterait certains principes du socialisme mais où nous serions réduits au rang de termites, comme je le dis souvent, ça non plus, ça ne nous intéresse pas. Il faut faire très attention, mais il faut faire attention aussi à ce que la Chine n’apparaisse pas comme le seul espoir dans un monde où nous suivrions, dans la chute, les États-Unis de très près. On a parlé de la chute du mur de Berlin et de la chute du monde communiste il y a, voilà, il y a trente ans, il semble bien que nous soyons partis dans la même direction. Il faut que nous fassions extrêmement attention, il faut que nous regardions ce qui se passe aux États-Unis en ce moment, et il faut que nous en tirions les leçons, comme j’ai essayé de le faire ce matin.

Voilà. Allez, à bientôt !

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