Paru dans le Guardian le 11 juillet 2018 : America’s new revolutionaries show how the left can win. Ouvert aux commentaires.
Même en surface, c’est exaltant. Le renversement de l’un des Démocrates les mieux installés et les plus haut placés au Congrès par une Socialiste démocrate de 28 ans ayant un programme radical et un dixième de son financement, voilà, direz-vous, qui ne manque pas d’intérêt.
Mais depuis qu’Alexandria Ocasio-Cortez a battu Joe Crowley aux primaires démocrates dans le 14e district de New York (ce qui signifie qu’elle entrera presque certainement au Congrès en novembre), j’ai interviewé certaines des personnes qui ont allumé la mèche qui a provoqué cette détonation. Ce qui est apparu, c’est à quel point leur mouvement était marginal et improbable lorsqu’il a commencé, et à quelle vitesse il prend de l’ampleur.
Une révolution a commencé en Amérique, et il est temps que nous comprenions ce qu’elle signifie.
Alors que l’effort pour trouver et diriger des candidats insurgés est né de la campagne de Bernie Sanders en 2016, la poignée de jeunes qui ont lancé ce mouvement se sont battus sans aide. Ils n’avaient ni ressources, ni de base politique. Ni Sanders ni les autres membres de la vieille garde n’étaient prêts à les aider ou à soutenir les candidats qu’ils trouvaient.
D’une certaine manière, ce petit groupe, le Brand New Congress, qui s’est transformé en Démocrates de la Justice (Justice Democrats), s’est marginalisé. Il ne voulait rien avoir à faire avec une gauche traditionnelle qu’il considérait comme obsédée par le positionnement politicien. Il voulait échapper à l’ombre portée de gens qui semblaient coincés dans les années 1980, qui ne prenaient pas au sérieux les questions environnementales ou qui ne comprenaient pas la nécessité de s’attaquer au racisme structurel et à l’inégalité entre les sexes, ni la nécessité de recruter des « millenials » [la génération Y, des années 2000] piégés dans des mauvais logements et galérant dans des non-emplois misérables. On se moquait d’eux, on les ignorait et on les rejetait comme des idéalistes bien intentionnés mais sans espoir. L’un d’entre eux m’a raconté comment un Démocrate plus âgé lui a littéralement tapoté la tête.
Au début, ça a été chaotique. La plupart des bénévoles qu’ils ont recrutés n’avaient peu ou pas d’expérience. Certains se sont avérés merveilleux, d’autres moins. Leur objectif initial était de trouver 400 candidats pour défier les Démocrates et les Républicains en place. Ils recherchaient des barmen, des ouvriers d’usine, des petits commerçants, des organisateurs communautaires, des enseignants, des infirmières – idéalement des personnes qui n’avaient jamais occupé une fonction publique auparavant. Alors que les candidats Démocrates sont généralement choisis en fonction de la masse d’argent qu’ils pourront collecter en campagne, les Démocrates de la Justice ont cherché des gens qui ne pouvaient pas être séduits par les grands bailleurs de fonds. Ils pensaient que si les gens qu’ils rencontraient avaient servi leur communauté au lieu d’eux-mêmes, ils ne se vendraient probablement pas une fois élus.
Ils ont trouvé beaucoup de recrues potentielles brillantes mais, sans le soutien du courant dominant, ils n’avaient pas la crédibilité nécessaire pour convaincre des centaines de personnes d’abandonner leur vie présente pour une cause improbable. Ils ont réussi à persuader quelques dizaines de personnes, dont Ocasio-Cortez. Ils lui ont téléphoné, l’ont invitée à dîner et lui ont demandé d’assister à une réunion dans le Kentucky avec d’autres candidats potentiels, dans l’espoir qu’ils s’émuleraient mutuellement pour se présenter aux élections. Elle a pris son temps et a visité le 14e district avant d’accepter.
Elle était, comme nous l’avons vu, une candidate fantastique : déterminée, infatigable, brillante pour expliquer simplement et de manière directe, des questions complexes. Alexandra Rojas, directrice des campagnes des Démocrates de la Justice, m’a commenté : « Elle a une façon de rendre simples, évidentes et pragmatiques les questions que les autres considèrent comme radicales ». Tous ceux à qui j’ai parlé m’ont fait remarquer sa grâce et sa stabilité, et comment elle a calmement absorbé les épisodes dramatiques survenus dans le sillage de sa candidature. Des militants locaux extraordinaires ont combiné le travail de terrain traditionnel avec les grandes tactiques d’organisation développées pendant la campagne Sanders : utiliser des réseaux foisonnants de volontaires pour effectuer les tâches habituellement réservées aux membres permanents du staff.
Aussi remarquable soit elle, il y en a d’autres comme elle. Cori Bush au Missouri, Jess King en Pennsylvanie et Kerri Evelyn Harris au Delaware ne sont que quelques-unes des personnes qui se battent maintenant pour des nominations ou des sièges démocrates tout en renonçant à beaucoup d’argent et en comptant bien davantage sur l’enthousiasme des communautés qu’ils espèrent servir.
Les Démocrates de la Justice ne s’attendent pas à ce que tous ces candidats gagnent, mais espèrent quelques victoires spectaculaires aux élections du Congrès en 2018 et 2020, non seulement en remplaçant les Démocrates vendus aux grandes firmes , mais aussi en retournant quelques districts Républicains (voir, par exemple, les campagnes de Brent Welder et James Thompson au Kansas). Dès que ces gens prennent place au Congrès, Saikat Chakrabarti, l’un des principaux organisateurs, me dit que le but est de « légiférer à mort, comme le font les Républicains…. en proposant les idées les plus audacieuses et les plus grandes dès le premier jour ». D’ici 2022, profitant de l’élan acquis grâce à quelques victoires stratégiques, ils espèrent pouvoir présenter une liste complète de candidats nouveaux ou redynamisés. L’objectif est de créer un Parti démocrate populiste dans le bon sens du terme [Le lien ici parle de « populisme progressiste » dans le Wisconsin], qui neutralise la démagogie brutale de Trump et s’adresse aux gens de tout le spectre politique qui ont été aliénés par la corruption et la dérive de la politique dominante.
Grâce en partie à la décision désastreuse de la Cour suprême dite « Citizens United », qui a supprimé tout plafonnement des financements des partis politiques par les lobbyistes, la politique américaine est dominée par des milliardaires et des entreprises, qui achètent les candidats et les politiques qu’ils veulent. Ils ne peuvent pas être battus au niveau des finances, mais ils peuvent être mis hors-jeu, en recrutant des gens incorruptibles qui peuvent baser leur parole sur autre chose que l’argent. Finalement, les Démocrates de la Justice espèrent qu’il y aura assez de personnes fortes et sources d’inspiration au Congrès pour renverser la décision « Citizens United » et purger la corruption institutionnelle de la politique américaine.
Jusqu’à présent, le parti démocrate a réagi de deux manières distinctes. Certaines personnalités de haut niveau, comme Nancy Pelosi et Tammy Duckworth, rejettent l’importance de ce qu’Ocasio-Cortez a accompli. D’autres, comme Kirsten Gillibrand, ont soudainement changé de position en réponse à sa victoire, faisant écho à son appel, par exemple, pour l’abolition de l’Agence de l’immigration et des douanes, l’agence qui a séparé les enfants de leurs parents à la frontière mexicaine. Les deux réactions sont des formes d’auto-préservation, mais si davantage de candidats révolutionnaires remportent leur course électorale, la deuxième sorte de réponse deviendra davantage la règle.
En comprenant comment le grand renversement de New York s’est produit, nous pouvons commencer à comprendre ce que ce mouvement d’outsiders pourrait réaliser. Il pourrait encore changer le monde.
George Monbiot
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