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Le Monde : Le Brexit et « la débâcle du Royaume-Uni »
L’Écho : Le Royaume-Uni victime du Brexit
Nous nous sommes fait à l’accession au pouvoir de régimes autoritaires en Hongrie et en Pologne en nous rassurant que ces nations ne sont que les marches de l’Europe. Malgré son immédiate dérive xénophobe, le gouvernement populiste en Italie est instantanément devenu la nouvelle norme : les marchés sont pragmatiques bien davantage qu’omniscients.
Mais c’est au cœur du noyau idéologique de l’Occident : aux États-Unis et au Royaume-Uni, que la décomposition s’opère ces jours-ci avec la plus grande vigueur et à un rythme allant en s’accélérant. Si les citoyens les plus éclairés de ces deux nations décrivent la voie où elles sont engagées de « tragi-comédie », de « farce tragique », nous qui les observons en extériorité y lisons une authentique tragédie. Notre propre sort est hélas bien trop lié à elles sur les plans commercial et militaire pour que nous sortions indemnes de leur décadence.
Illustrons cela par quelques chiffres et faits sur la débâcle présente du Royaume-Uni.
Selon une analyse du Centre for European Reform, depuis le vote fatidique du 23 juin 2016 où le Brexit l’emporta par 51,9%, l’économie britannique s’est réduite de 2,1% Le syndicat patronal du secteur automobile cite le chiffre de 860.000 emplois menacés, dont plusieurs milliers chez Airbus en raison des casse-tête douaniers à venir.
Les fonds ministériels dédiés à l’innovation numérique sont réaffectés à une reconstitution du système qui précéda l’adhésion à l’Union européenne.
Selon les partisans du désengagement, un « dividende Brexit » d’un montant de 350 millions de livres (400M €) serait libéré chaque semaine, somme qui viendrait alimenter le financement du NHS, le service national de santé. C’est au contraire 440 millions (500M €) que le Brexit coûte chaque semaine à l’État. Theresa May, Premier ministre, n’en a pas moins annoncé qu’une rallonge de 20 milliards (23MM €) au financement du NHS serait « partiellement financée par le dividende Brexit », provoquant un tollé. Le chiffre gouvernemental est d’une perte post-Brexit annuelle de 15 milliards de livres (17MM €).
Rien d’étonnant alors qu’une manifestation à Londres le 23 juin, réclamant un nouveau referendum, ait rassemblé 100.000 manifestants. Un sondage relatif à l’opportunité d’un second referendum donne 48% en sa faveur, 25% contre, 18% d’indécis et 9% d’abstentions. Les suffrages qui seraient recueillis seraient de 47% en faveur du Brexit contre 53% pour un maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne.
Devient aussi de jour en jour plus évident que le Brexit débouchera sur une reconfiguration du Royaume-Uni. Une clause, rarement évoquée, du Good Friday Agreement qui mit fin à la guerre civile en Irlande du Nord en 1998 prévoit en effet que le ministre en charge de la région peut appeler à un vote de réunification « s’il lui paraît probable » qu’une majorité se dégage en faveur d’une Irlande unifiée. Or plusieurs facteurs poussent désormais en ce sens. Ainsi, l’évolution démographique qui fait qu’à partir de 2021, la population « catholique » de l’Ulster sera plus importante que sa population « protestante ». Renversement de la situation historique, le PIB par habitant est désormais double en République d’Irlande de ce qu’il est dans le Nord. Autre renversement : le Nord qui apparaissait plus progressiste que la République d’Irlande en permettant le divorce et l’avortement, est désormais à la traîne du fait de l’interdiction toujours en vigueur du mariage pour tous.
Paradoxalement, deux ans après le vote du Brexit, le Royaume-Uni n’a jamais été un partenaire aussi fiable de l’Union européenne et s’en rapproche plutôt qu’il ne s’en écarte, mais c’est dans le cadre du front uni qui s’est constitué pour contrer les effets déstructurants de la déliquescence d’États-Unis en proie à un cauchemar et d’un Royaume-Uni victime d’un effondrement majeur.
Notre regard étant fixé sur les arbres que sont la guerre commerciale qui se déchaîne ou le casse-tête des migrants, nous sommes aveugles à la forêt qu’est un Occident en voie de rapide décomposition.
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