La dynamique perverse du narcissisme des tyrans
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Erich Fromm, né en 1900 en Allemagne, mort en Suisse en 1980 après avoir passé de très nombreuses années aux Etats-Unis, était psychanalyste et sociologue. Il devint une figure respectée de la fameuse École de Francfort.
Fromm a publié en particulier en 1964 « Le coeur de l’homme. Son génie pour le Bien et pour le Mal », où il s’efforçait d’expliquer la personnalité d’Adolf Hitler et les raisons pour lesquelles le peuple allemand l’avait suivi. À cette fin, Fromm introduisit dans le vocabulaire psychanalytique, une nouvelle catégorie, celle de « perversion narcissique » (malignant narcissism).
Si j’évoque cet ouvrage, c’est qu’il est la principale référence à laquelle renvoient les contributeurs d’un livre publié en octobre 2017, intitulé The Dangerous Case of Donald Trump : le cas dangereux de Donald Trump, vingt-sept psychiatres et spécialistes de la santé mentale évaluent un président. Plusieurs articles de ce livre sont des allocutions présentées à l’Université de Yale en avril 2017, lors d’un colloque intitulé « A Duty to Warn », le devoir d’avertir : une règle adoptée en 1974 par 38 des 50 états américains, stipulant que si un médecin est conscient que l’un de ses patients constitue une menace pour autrui, il doit enfreindre la règle de confidentialité et doit avertir soit la police, soit directement la personne menacée.
Alors que la personnalité normale fait preuve d’un narcissisme modéré qui lui permet d’avoir un souci de soi lui permettant d’assurer sa propre survie, le pervers narcissique en a une représentation exagérée qui le conduit sur le rebord de la folie. Il peut aller jusqu’à confondre sa propre personne avec l’univers tout entier, et entrer en dépression au moindre démenti par les faits. Il n’y aurait là qu’une simple curiosité, s’il n’y avait des individus prêts à embrayer dans la mégalomanie d’un autre, permettant à celui-ci de gagner davantage de pouvoir, lequel pouvoir lui permet de modeler toujours plus le monde selon son souhait, confirmant ainsi son sentiment de toute-puissance. Fromm écrit : « grâce à son pouvoir César a su plier la réalité à ses folies narcissiques » et « ces personnalités publiques ont pu prévenir une flambée flagrante de leur psychose latente en récoltant les applaudissements et l’approbation de millions de gens », et il ajoutait : « Paradoxalement, c’est cet élément de folie dans de tels dirigeants qui contribue aussi à leur succès. Il leur procure une certitude et une imperméabilité au doute, susceptibles de subjuguer l’individu moyen. »
Hitler s’explique ainsi : il « est l’exemple même [d’] une personne extrêmement narcissique qui, sans doute, aurait pu souffrir d’une psychose manifeste s’il n’avait réussi à convaincre des millions de personnes de croire à son image de soi-même […] et à transformer même la réalité de telle manière qu’elle semblait prouver à ses partisans qu’elle était correcte. »
Qui constituera les troupes d’un pervers narcissique accédant au pouvoir ? Les candidats à un narcissisme collectif prêts à se rallier derrière l’idée d’un peuple élu, de son drapeau, de ses slogans (« Make America Great Again ! »), de son idéal de rejet des autres, autrement dit tous ceux dont la propre personne est insuffisante à constituer le support d’un sain narcissisme individuel. Fromm écrit : « Pour ceux qui sont pauvres économiquement et culturellement, la fierté narcissique de groupe est la seule source de satisfaction » et, en particulier, « la classe moyenne basse […] privée de tout espoir réaliste de voir évoluer sa situation (car ses membres sont les survivants d’un monde d’autrefois à l’agonie). »
Il existerait donc un cycle pervers conduisant à la catastrophe lorsqu’un narcissisme individuel et un narcissisme collectif s’alimentent l’un l’autre.
Est-il possible d’éviter l’apparition périodique de telles dynamiques toxiques ?
Fromm en 1964 était pessimiste : « À partir de la Renaissance, ces deux grandes forces contradictoires : le narcissisme collectif et l’humanisme, se sont chacune développées de leur côté. Malheureusement le développement du narcissisme collectif a pratiquement éradiqué l’humanisme. »
Ne nous contentons donc pas de sourire devant l’apparition d’un nouveau tyran : une mobilisation pour un retour en force de l’humanisme est une question de vie ou de mort.
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