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La rencontre TRUMP – KIM JONG-UN à Singapour, le 12 juin 2018, vue du Japon
Ne regardant quasiment plus jamais la télévision depuis deux ans, ce matin-là, j’eus tout de même la curiosité d’appuyer sur le bouton magique…
Évidemment, la majorité des chaînes de télévision japonaises retransmettaient en direct la rencontre… qui revêtait un caractère, sinon historique, du moins inédit, et d’un enjeu certain pour le Japon… Mais ce qu’on vit surtout, et sans fin, en boucle, tel un ruban de Möbius, se ramenait aux images d’un grand vide, celles de la vacuité du cirque médiatique, à la hauteur du cirque de ces deux grands histrions de la Terreur, grands malades, pervers narcissiques…
Après une tension extrême devenue insoutenable, depuis la veille (et l’arrivée des deux autocrates à Singapour), moment d’apothéose de cette société du spectacle, et société du spectral : l’arrivée des deux hommes à l’hôtel du rendez-vous, sortant de leur voiture respective, était montrée au moins 30 fois d’affilée ( !), un replay continu, en boucle – qui sera ensuite rediffusé, encore et encore, comme si l’on n’avait pas vu… De fait, il n’y avait rien à voir, si ce n’est deux hommes, bien connus, sortant d’une voiture, avec leur mine la plus grave possible.
Comme le dit Annie Le Brun : un trop plein d’images se neutralisant en insignifiance, ne montrant RIEN.
Et pour les commenter, une insignifiance bavarde proche de la logorrhée. Si bien que cet abus des images et cet abus des mots ne recouvrent plus que les simulacres d’un présentisme excité – gouverné par les leurres et « la tyrannie du temps réel », autant dire virtuel. Bien sûr aussi quelques journalistes ou « spécialistes » compétents mais, même sur la chaîne publique NHK (qui adhère désormais à ce spectacle médiatique), toujours accompagnés d’« analyses » sans fin et propos les plus indigents, sur comment ils allaient se saluer, ce qu’ils allaient se dire, ce qu’ils allaient manger ensemble au déjeuner… assortis d’innombrables petits cartons et dessins explicatifs, montrant par exemple la différence de taille entre les deux hommes (1,67 m / 1,90 m)… et puis dès qu’on les aperçut, les mêmes exclamations : « il est arrivé ! », « ah le voilà ! » (on a vu sa tête ! c’est vrai qu’ils sont tellement beaux et excitants tous les deux ! ça égaye !)… chacun des invités sur les différents plateaux de télé ayant beaucoup à dire… pour à la fin ne rien dire.
Sans oublier tous les minutieux petits détails techniques, d’une précision essentielle, dont sont tellement friands les médias japonais – comme une sorte d’amusement passionné : déjà la veille, le plan détaillé des deux hôtels, le parcours des deux hommes, etc. ; puis le détail décortiqué, à la loupe, des deux cortèges présidentiels : nombre exact, types, marques des voitures et motos escortant les deux hommes ; les horaires à la minute près (!) du moindre fait et geste : T. sorti de l’hôtel à 9 :01…. à 9:14…. 9:53…, etc.
Bien sûr aussi, quand le menu du déjeuner a été connu : l’énoncé de la liste précise de tous les plats faisait déjà saliver toutes les bouches, s’exclamant presque en choeur : « Oh ! ça a l’air bon ! », « Häagen-Dazs !? Eh !? »… Tellement capital et plaisant de savoir ce que mangent deux porcs quand ils se rencontrent (leur rencontre, fût-elle historique, n’enlevant rien à l’abjection des deux hommes)…
Certes, depuis longtemps, la politique est aussi un spectacle, et s’accompagne d’un décorum aussi rutilant que soigné, et il serait vain de vouloir la libérer des mensonges de ses mises en scène ; mais qu’à la télévision, en de telles circonstances, dites historiques (et proclamées telles avant même l’événement – les médias raffolant d’« écrire l’Histoire » avant même qu’elle n’ait lieu – diktat de la vitesse oblige), et au nom de l’information dite capitale, tant de gens (journalistes compris) puissent PAPOTER, BADINER, PLAISANTER de la sorte, sur de tels personnages (aussi puissants qu’obscènes, étant avant tout des maîtres en terreur), en se concentrant, et en concentrant l’attention du public sur la représentation et le théâtre des apparences, ne cessera jamais de me sidérer… (une des raisons pour lesquelles je n’allume plus la télé.)
Evidemment, la rencontre en soi, longtemps inimaginable, avait tout de l’inédit, le dialogue soudain valant mieux que les provocations, gamineries, insultes et tweets idiots d’un débile mental – « petit homme-fusée », « voyou », « petit gros », « psychopathe », etc. -, ou qu’une tension croissante et belliqueuse… Maintenant, et concrètement, tout reste à suivre et à voir.
Et de fait, le Japon attend beaucoup des suites de ce rendez-vous, surtout concernant le sort des jeunes citoyens japonais kidnappés par les services secrets nord-coréens (entre 1977 et 1983) pour former des espions à la langue et la culture japonaises : car outre la « gentille petite fille de 13 ans » citée, devant les médias américains, par Trump, rehaussé dans ses habits de héraut du Bien et gardien de l’innocence, il y aurait 17 personnes enlevées dont les familles sont toujours sans nouvelles depuis des décennies… Trump ayant fait savoir au cours de la conférence de presse après le sommet que le sort de ces Japonais kidnappés avait été évoqué, mais ne figurait pas dans l’accord signé.
Rappelons que quelques jours plus tôt, au sommet du G7, outre les palinodies et la volte-face pathétique du gorille Trump, son petit caniche, le 1er ministre Abe (apparemment inconscient ou insouciant du degré extrême de plastification du Japon ![1]), s’est joint à lui pour refuser de signer une nouvelle charte contre la pollution plastique des océans. Et vive la planète ! c’est vrai qu’il n’y a pas encore assez de déchets…
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[1] Au Japon, il n’y a pas de législation nationale interdisant les plastiques à usage unique ; et les consommateurs et commerçants japonais utilisent trop de plastique, l’obsession de l’emballage impeccable faisant que presque tout au Japon est emballé, même les fruits à l’unité, et parfois avec plusieurs couches. Et outre le plastique, on peut évoquer d’autres gaspillages absolument insensés, et des plus communs, comme par exemple l’usage des baguette en bois jetables – grandes oubliées du recyclage… or, 20 milliards de paires de baguettes sont jetées chaque année ( !), un chiffre assourdissant quand le pays fait abattre des arbres dans de nombreux pays voisins.
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