Retranscription de Italie : Les marchés sont des lâches ! le 1 er juin 2018. Merci à Catherine Cappuyns !
Bonjour, nous sommes le vendredi 1er juin et je vais faire très vite parce que je sais que ma vidéo va télécharger très lentement dans cette chambre d’hôtel mais il faut que je vous parle quand même de la formation d’un gouvernement en Italie.
Je suppose que Monsieur Mattarella, le président de la République italienne n’a pas regardé mes petites vidéos. Je suppose aussi qu’il n’a pas entendu le dialogue que j’ai eu avec André Sapir, économiste belge que j’ai eu l’occasion de connaître à l’occasion de quand nous faisions partie tous les deux du Haut comité pour l’avenir du secteur financier en Belgique mais tout se passe comme si Monsieur Mattarella avait entendu ce que j’ai dit il y a quelques jours : qu’il avait fait un très très très mauvais calcul en refusant le gouvernement d’union de Cinque Stelle et de la Lega en Italie et en particulier de s’être braqué sur cette question de savoir si Monsieur Paolo Savona serait ministre ou non dans ce gouvernement.
Un gouvernement s’est mis en place qui est à peu de choses près celui qu’avait proposé Monsieur Giuseppe Conte pressenti comme Premier ministre malgré le fait qu’il soit quelqu’un de peu connu dans le milieu de la politique en Italie et on a simplement déplacé Monsieur Savona pour le mettre à un ministère de Relations avec l’Europe où à mon avis ses opinions sur la zone euro et sur l’Union européenne ne seront pas très différentes de celles qu’il aurait exprimées s’il avait été ministre de l’Economie et des Finances.
Les marchés. Les marchés sont des lâches, je l’ai dit souvent, ils volent au secours de la victoire. Ils sont du côté, bien entendu, des partis traditionnels de gouvernement, ils sont alignés sur l’idéologie ultralibérale qui dirige à Bruxelles et qui empêche que des gouvernements apparaissent dans différents pays de l’Union européenne pour dire des choses différentes de ce que voudraient les institutions de Bruxelles, les traités européens.
Le gouvernement finalement va être celui qui avait été prévu ou retenu durant le weekend, à la fin de la semaine dernière, et les marchés sont soulagés. Et on en avait déjà eu un signe. J’en ai parlé tout de suite quand j’en ai parlé à la radio en Belgique. J’ai dit : « Regardez ce qui se passe ce matin comme témoignage de la lâcheté des marchés ». Les marchés étaient rassurés. Il y avait le fameux « spread », l’écart de taux entre les taux [10 ans] de l’Allemagne et de l’Italie avait baissé d’un coup de quarante points de base, c’est-à-dire 0,4% à l’annonce que Monsieur Salvini et Monsieur Di Maio s’étaient rencontrés à nouveau et pourraient peut-être créer un gouvernement. Le calcul immédiat de Monsieur Mattarella : « On va refuser un gouvernement de ce type-là, les électeurs vont réfléchir et ils voteront pro-européen ». « Pro- » cette Europe-là, bien entendu, L’Europe ultralibérale. Ils vont voter de cette manière-là. Et là, j’ai dit : « Casse-cou, Monsieur Mattarella, ce n’est pas ça qui va se passer ! », et on voyait déjà dans les sondages, les deux partis, Cinque Stelle et la Lega avaient augmenté déjà dans les intentions de vote. Ils étaient à 49% dans les élections du 3 mars si j’ai bon souvenir et ils se retrouvaient déjà à 58% de votes au niveau des prévisions sur le [scrutin] qui pourrait avoir lieu. (J’ai parlé longtemps, hier soir, dans des conditions difficiles [rires] et ça s’entend sûrement).
Alors voilà : ce gouvernement s’est créé, les marchés sont rassurés, alors qu’il va y avoir un gouvernement populiste. Je vous dis : les marchés volent au secours de la victoire. Ils nous ont dit immédiatement qu’ils s’accommoderaient finalement d’un gouvernement comme celui-là plutôt qu’un gouvernement encore pire dans la direction de l’euroscepticisme que celui que l’on a.
Il faut saluer le geste de Monsieur Donald Tusk, président du Conseil européen, qui avait recadré Monsieur Oettinger, une commissaire européen qui n’en était pas à sa première horreur. Je ne sais pas comment ça marche : on a l’impression que les commissaires européens, c’est comme les conseillers de Monsieur Trump, ils peuvent dire n’importe quoi et on ne les déboulonne jamais. Ce Monsieur Oettinger, commissaire européen, s’était déjà fait remarquer par des remarques racistes qui avaient été rapportées par la presse. Cette fois-ci, qu’est-ce qu’il avait dit ? Il avait dit, oui, on a dit que dans le tweet qui avait circulé, émis par la personne qui l’avait interrogé, que ce n’était pas exactement ce qu’il avait dit mais la substance était la même, c’est : « les marchés vont apprendre aux Italiens comment ils doivent voter », ce qui rejoignait le propos de Monsieur Juncker à la tête de la zone auro : « La démocratie s’arrête aux limites que déterminent les traités européens », c’est-à-dire : les gens ont le droit de voter, continuent d’avoir le droit de voter, mais ça ne fait aucune différence au niveau des gouvernements qui vont être mis en place. Et là, on voit que ce n’est pas la même chose.
Pour terminer sur Monsieur Donald Tusk, qu’est-ce qu’il a dit en recadrant Monsieur Oettinger ? Il a dit : « Nous sommes là pour servir le public européen, nous ne sommes pas là pour lui donner des leçons ». Et ce Monsieur Oettinger est toujours là. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour que des gens comme ça partent. Vous savez, au niveau européen, il faut faire des pétitions d’un million de personnes au minimum pour qu’ils regardent ce qu’on dit et – vous vous souvenez de Gaston Lagaffe qui mettait ses dossiers au bout de son bureau et puis il en ajoutait un d’un côté et celui qui était au rang tombait automatiquement dans une [corbeille] à papier, dans une poubelle – c’est comme ça qu’on fait avec les pétitions au niveau européen.
Et donc l’Europe est en train d’apprendre quelque chose. Elle est en train d’apprendre qu’on peut finalement avoir un gouvernement – ce gouvernement sera peut-être catastrophique. Ce gouvernement, je n’approuve pas le contenu d’extrême-droite qu’il y a dedans mais la chose [contre] laquelle il fallait se rebeller, c’était ce fait qu’il y aurait un système, un mécanisme à cliquets qui fait qu’on peut avoir des gouvernements pro-ultralibéraux et si on ne les a pas, eh bien, les marchés s’arrangeront pour faire la même chose de toute manière dans les coulisses. Ça, on ne pouvait pas tolérer. Alors, ça va peut-être être une catastrophe, ce gouvernement populiste mais au moins, il y a une leçon qui a été donnée par les électeurs aux gens de la Troïka, c’est : « Vous ne pouvez pas faire n’importe quoi ! ».
Et c’est une leçon que peut-être rétrospectivement Monsieur Tsipras devrait …, à laquelle il devrait réfléchir. Parce que, vous vous souvenez, il y avait eu ce référendum en Grèce et apparemment il donnait raison à Monsieur Tsipras et à ces gens du parti Syriza et ils avaient été complètement décontenancés au point que Monsieur Tsipras avait ignoré le résultat du référendum parce qu’il avait jeté les bras au ciel, et il s’était couché.
Eh bien, Monsieur Tsipras, vous voyez, les marchés sont des lâches. Le spread de l’Italie est déjà retombé quasiment à zéro. Enfin, bon, ce n’est pas tout à fait pareil que l’Allemagne , mais il a perdu déjà, je crois, 100 points de base au moment où je parle, c’est-à-dire 1% entier, ce qui est énorme, à ce niveau-là, quand on en est à un tout petit pourcentage et vous voyez, il se couche. Et vous auriez peut-être, Monsieur Tsipras, vous auriez dû peut-être tenir compte de ce que disait le peuple grec : il avait dit non et vous avez peut-être eu tort de vous coucher parce que les marchés comme je l’ai dit tout à l’heure et comme ce sera le titre de ma petite vidéo, ils sont des lâches, ils vont dans le sens du vent.
On va voir. Il faut prier (rires) pour que ce gouvernement ne soit pas une catastrophe. Il faut prier pour que la xénophobie sous-jacente, le « flat rate », la taxe au niveau unique pour un ensemble de tout : les entreprises, les individus, à un niveau très très bas. Non, il faut de l’argent pour l’État parce que vous voyez bien, quand l’État est trop endetté, quand il doit emprunter et qu’il bronche, que l’État bouge, tout de suite les marchés lui imposent des taux à des niveaux plus élevés. Ce n’est pas tout à fait arbitraire bien sûr, c’est à partir d’un calcul de risque, calcul de risque surtout dans les cas comme ceux-là, de retour à la lire, de retour à la drachme en Grèce, qui se manifesterait effectivement par des dévaluations massives de fait et des pertes pour les marchés boursiers. S’ils sont lâches, s’ils sont stupides parfois et pas stupides d’autres fois, en tout cas ils sont calculateurs, ils savent exactement pourquoi ils prennent les décisions qui sont les leurs. Mais, ils vont dans le sens du vent. Ils ne sont pas courageux, ni téméraires ; ni courageux.
Voilà, je termine là-dessus. Il y aura encore des choses à dire, j’en suis certain. À bientôt !
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