Retranscription de 5Stelle et la Lega pourraient gagner leur pari, le 22 mai 2018. Merci à Catherine Cappuyns ! Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le mardi 22 mai 2018 et je vous avais dit vendredi que je reviendrais quand il y aurait un gouvernement en Italie. On n’a pas encore de gouvernement, on n’a même pas encore confirmation par le Président de la République Monsieur Sergio Mattarella, qui va confirmer le nom qui lui a été proposé, celui de Giuseppe Conte comme Premier ministre. Alors, tout le monde est d’accord sur le fait que c’est quelqu’un de pas très connu, qu’il est là simplement parce que Monsieur Di Maio à la tête de Cinque Stelle et Monsieur Salvini à la tête de la Lega auraient tous les deux voulu être premier ministre et comme cela, ce n’est pas possible, on a trouvé quelqu’un d’autre. Alors on a pris un militant, un militant de Cinque Stelle, un professeur de droit public qui a l’air de réussir en affaires puisqu’on mentionne le fait qu’il se déplace dans une limousine avec un chauffeur.
C’est quelqu’un surtout, quand on regarde son curriculum vitae, qui est très proche du Vatican. Ça, c’est intéressant en soi, bien entendu. C’est un peu inattendu pour un gouvernement dit populiste, mais c’est une personnalité relativement connue dans le domaine du droit. On lui cherche un peu des poux du côté du New York Times en disant qu’on ne trouve pas de référence dans les archives de l’université de New York du fait qu’il dise être passé par là : c’est le syndrome du « I understand you’re an Oxford man, Mister Gatsby », dit Tom Buchanan dans The Great Gatsby de Fitzgerald. Tom Buchanan qui est un millionnaire, qui a gagné de l’argent comme ça, sans faire de grandes études, mais il sait que Gatsby vient de la classe ouvrière, que quand il prétend être passé par Oxford, c’est du bidon et il le tarabuste à ce sujet. Voilà !
Donc Giuseppe Conte, « porte-parole du gouvernement » devenu Premier ministre par le fait que les deux candidats principaux ne veulent pas concéder à l’autre d’avoir cette place prééminente. Il faut encore évidemment que Monsieur Mattarella accepte cette nomination de Monsieur Conte. On saura ça sans doute aujourd’hui dans la journée [ce fut effectivement le cas].
On a su aussi le programme de gouvernement et là, en gros, la presse financière insiste sur le fait qu’il n’est plus question de sortir de l’euro, il n’est plus question d’exiger que les 250 milliards du Trésor italien qui se trouvent « en pension », comme on dit dans les milieux financiers, à la maison (rires), à la Banque centrale européenne – qu’on mette une croix dessus, il n’est pas question de ça. Et la presse financière semble se rassurer de ça. À ce propos-là, il y a eu quelques points de base, c’est-à-dire des centièmes de pourcent sur les taux d’intérêt de l’Italie qui ont monté récemment, il y a eu quelques pertes sur les marchés boursiers avant que ça ne retombe sur ses pattes.
Ce qu’on observe, c’est que les marchés boursiers sont des lâches. Ils sont des lâches : s’il y a un truc, on peut pousser la Grèce en disant : « Ça va tomber ! », on pousse, on pousse, on pousse et puis voilà, il faut la sauver. L’Italie, c’est un peu autre chose : c’est le numéro trois dans la zone euro, c’est un peu l’histoire de : si vous devez 1.000 euros à votre banque, c’est votre problème mais si vous devez un million, c’est son problème à elle. Les problèmes sur le marché obligataire italien, c’est des problèmes pour le système financier tout entier. Voilà.
Et là, il y a une excellente remarque qui est faite par Monsieur Wolfgang Münchau. Monsieur Wolfgang Münchau, si vous ne connaissez pas ce nom-là, c’est un des grands éditorialistes avec Martin Wolf du Financial Times. Le Financial Times, ce n’est peut-être pas nécessairement le goût de tout le monde, en général c’est aligné effectivement sur les marchés mais il y a un excellent article de Monsieur Wolfgang Münchau qui dit : si l’Italie devient véritablement populiste et de gauche dans les faits, c’est un problème pour les marchés financiers. Il fait la remarque à propos du fait qu’on aurait enlevé l’idée de se retirer de la zone euro du programme mais qu’en réalité, dit-il, ça ne fait aucune différence. Ça ne fait aucune différence. Il dit qu’il est bien possible même que Monsieur Salvini espère que les marchés financiers attaquent son gouvernement. Parce que, dans ce cas-là, ça provoquerait une crise telle (éventuellement : s’ils essaient de faire ce qu’ils ont fait à la Grèce) qu’elle permettrait au gouvernement italien de dire : « Eh bien, dans ce cas-là, ce n’est pas nous qui avons choisi de sortir de la zone euro, nous sommes obligés de créer une monnaie parallèle ! ». Souvenez-vous, c’est une chose que moi, je recommande de temps en temps – chut, il ne faut plus en parler ! – mais qui avait été proposée aussi par Varoufakis en Grèce. Si l’Italie dit : « Poussez-nous donc, poussez-nous donc en dehors du système financier, et là, on se tournera vers le peuple qui nous a élu (à 49% des voix, ce qui n’est quand même pas mal au total), et on dira : eh bien, écoutez, les marchés financiers sont contre nous, on crée une autre monnaie qu’on appellera le je ne sais pas quoi (le « IOU », comme on dit en américain = « Je vous dois quelque chose »), et on vous paiera, vous et les fonctionnaires, tout le monde, avec cette monnaie-là en attendant que les marchés financiers nous laissent tranquilles mais vous voyez bien, on ne peut pas rester dans l’euro, il faut en sortir ! »
Et là, Monsieur Münchau, il ajoute encore autre chose, il fait allusion à des choses que des gens comme moi racontent depuis un certain nombre d’années : que ce ne serait pas si grave, nécessairement, de sortir de ce système, qu’il y a même moyen de faire autrement. C’est l’objection qu’on me fait souvent dans les conférences que je fais : on me parle de ma proposition d’interdire la spéculation. Et alors on me dit le truc classique, le truc « centriste », comme dit Monsieur Münchau : « Oui, mais les gens, les banquiers vont partir. Les chefs d’entreprise aussi. Il n’y aura plus d’emplois etc. » Et là, je réponds la chose suivante, je dis : « Est-ce que vous croyez vraiment que de faire revenir quarante pourcent de l’argent qui circule dans l’économie, de le faire sortir de la spéculation et de le remettre dans l’économie, est-ce que vous croyez quand même que ça n’aurait pas valeur d’exemple, que ça marcherait au lieu de ne pas marcher et que, au lieu de dire : « Ça fait fuir les banquiers », on pourrait dire : « Les autres seront obligés de faire pareil parce que ça marchera » ?
Même chose – on peut faire le même raisonnement – pour les banques publiques : quand on oblige les banques publiques à se conduire comme des gougnafiers, c’est-à-dire comme des banques privées bien entendu ça ne marche pas, bien entendu ça ne marche pas. Mais ce que dit Monsieur Münchau dans les colonnes du Financial Times : « Il y a un système comme celui proposé par Monsieur Di Maio et Monsieur Salvini avec une réinjection d’argent dans l’économie, ça pourrait marcher, ça pourrait non seulement marcher mais ça pourrait devenir encore beaucoup plus embarrassant pour les autres parce que ça marcherait mieux qu’ailleurs ! ».
C’est ça qu’il faut répondre, toujours : « Il faut essayer ! ». C’est une question de rapport de forces, une fois de plus, il n’est pas dit que ça ne marcherait pas.
Alors, il y a des tas de choses : un de ces partis, bien entendu, c’est un parti d’extrême-droite et il y a des choses d’extrême-droite dans ce programme de gouvernement et ça, ce n’est pas ma tasse de thé, vous le savez bien, et je trouve même que c’est extrêmement dangereux. Mais, comme dit Münchau, les libéraux – il ne le dit pas comme ça – mais les libéraux en réalité, ils font dans leur culotte parce qu’ils savent que leur truc est fragile. Et il termine en disant : « Un système qui ne permet pas aux gens de vivre normalement bien qu’il l’ait promis, c’est un système qui finira par disparaître ».
Alors, ce qu’on vous dira aussi, on dira : « Oui, mais si on augmente les salaires, ça va faire partir l’inflation parce que tout va devenir beaucoup plus cher ! ». Et alors là, j’ajoute quelque chose que vous pouvez voir dans mes bouquins déjà depuis une dizaine d’années : augmenter les salaires, ça ne fait pas nécessairement monter les prix, ça ne fait monter les prix que si on ne touche pas aux dividendes et aux salaires faramineux des dirigeants d’entreprises. Mais si on les baisse, eux, en fonction de la montée des salaires, il n’y a pas d’inflation et on peut augmenter les salaires. C’est uniquement si on considère comme intangible, comme intouchable, comme quelque chose à quoi on ne peut absolument pas toucher parce que « ça irriterait les marchés » de faire baisser les dividendes et que les patrons ne soient plus payés quatre cent cinquante ou quatre mille cinq cent fois plus que les employés dans leur entreprise.
Alors, comme je vous le disais vendredi, de la même manière que, vous connaissez : moi, j’ai toujours… je ne condamne pas d’avance les choses, je regarde ce qui se passe, les analyse et il faut peut-être dire bonne chance à ce gouvernement. On espèrera quand même qu’il se conduise un peu mieux vis-à-vis des immigrés qu’ils ne le prétendent dans leur programme de gouvernement et des choses de cet ordre-là, qu’ils imaginent aussi un système d’imposition qui ne soit pas à ce point simplifié que ça devienne tout à fait invivable et que c’est juste des effets de manche, etc. Mais, voyons voir. Comme le dit Monsieur Münchau dans les colonnes du Financial Times : « Ce n’est pas perdu d’avance ! ».
Alors, à bientôt, on en reparlera.
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