Sur Mars, la relève de l’humain est déjà assurée
Par Paul Jorion (Tribune), publié le
Quel avenir la technologie réserve-t-elle à notre espèce? Les réponses de l’anthropologue et sociologue Paul Jorion.
Penseur hétérodoxe passé par la finance et repéré par Jacques Attali, à la fin des années 2000, Paul Jorion s’intéresse de près au progrès et à ses effets. Dans son précédent ouvrage, Le dernier qui s’en va éteint la lumière (éd. Fayard), il décrivait l’extinction possible de l’humanité. Son nouvel essai, Défense et illustration du genre humain*, explore notre espèce et les civilisations auxquelles elle a donné naissance. Dans l’espoir de répondre aux menaces que la technologie fait peser sur notre survie. Dans une tribune, il expose sa vision.
« Sans les réfrigérateurs, pas de trou dans la couche d’ozone. Sans les cheminées d’usine stratosphériques, pas de pluies acides. Sans voitures, camions, bateaux, avions brûlant des carburants d’origine fossile, pas de réchauffement climatique, c’est-à-dire de fonte des glaces, de désertification, de montée des eaux, de perte dramatique de la diversité animale et, à l’horizon 2300, d’extinction complète des mammifères, leur capacité à refroidir leur corps étant alors battue en brèche par une température ambiante trop élevée. Bien sûr, nous pourrons, nous humains, continuer de vivre dans des souterrains, avec nos chiens et nos chats, nos vaches et nos cochons.
Du scénario le plus pessimiste…
Ce n’est pas la masse de notre population qui fait problème – nous pourrions être plus nombreux. C’est notre confort, permis par la technologie, dont seuls quelques excentriques parmi nous peuvent se passer désormais.
Mais la technologie, pareille aux langues d’Esope, est la meilleure et la pire des choses, car elle est le moyen de lutter contre la menace existentielle qu’elle constitue par ailleurs. Si l’on excepte le scénario pessimiste de l’extinction à une échéance prochaine, trois autres sont envisageables, que nous jugerons oui ou non optimistes.
Premier scénario : une technologie positive nous permettra à échéance d’effacer tous les effets néfastes de celle d’aujourd’hui.
Deuxième scénario : la technologie nous permettra de coloniser d’autres planètes ; nous échouerons cependant à assurer que la Terre demeure habitable.
Troisième scénario : la technologie nous permettra de créer les robots qui seront nos descendants ; elle sera toutefois impuissante à prévenir notre propre disparition.
Peut-on attacher des probabilités à ces différents scénarios ? L’exercice est périlleux, mais tentons-le quand même.
… à la plus forte probabilité
Premier scénario : « Nous pourrons renverser la vapeur. » Sa probabilité est faible, non pas sur un plan technique, mais parce que nous sommes prisonniers d’une logique de profit qui fait que continuer à détruire la planète rapporte gros, alors que tenter de la sauver n’a pour seule récompense que la satisfaction, à laquelle nous restons inattentifs, d’avoir sauvé la vie.
Deuxième scénario : « Perdre notre maison, la Terre, mais coloniser d’autres mondes. » La probabilité, là aussi, est faible. Notre constitution biologique exige en effet que nous inhalions de l’oxygène, buvions de l’eau et consommions les quelques substances que notre corps peut assimiler. Tout cela nous semble aller de soi, mais trahit notre dépendance aux particularités de notre planète. Nous adapter à d’autres mondes – à leur pesanteur, à la composition de leur atmosphère, aux rayonnements qui les bombardent – demanderait que nous soyons modifiés dans notre être biologique de manière radicale, au-delà sans doute du réalisable.
Troisième scénario : « Nous disparaîtrons, mais des robots intelligents prendront le relais. » La probabilité de ce dernier scénario est forte. Les progrès de l’intelligence artificielle sont fulgurants, et nous créons déjà des machines résistant aux conditions meurtrières d’un environnement fortement dégradé. N’y a-t-il pas sur Mars deux « rovers » [véhicules d’exploration spatiale] en excellente santé ? Opportunity a 15 ans et Curiosity, 7. Ils n’ont besoin ni d’oxygène, ni d’eau, ni de nourriture. Sur Mars, la relève de l’humain est déjà assurée.
Mais appartenez-vous, comme moi, à ceux qui ne se résolvent pas à notre remplacement définitif par les machines ? Rejoindrez-vous l’armée des résistants ? »
Tribune de Paul Jorion
* Défense et illustration du genre humain. « Un franc-tireur », par Paul Jorion. Ed. Fayard, 288 p., 20 €.
@Khanard Ce qui m’intéresse actuellement, dans mon auto-psychanalyse, c’est de séparer mon « moi » causal, périphérique, de mon « moi » raisonnable, central…