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L’Europe doit penser en termes d’après-Trump
L’Europe aurait tort d’imaginer que les États-Unis sont véritablement devenus tels qu’ils apparaissent au regard aujourd’hui, présentant le visage de Donald Trump.
La configuration ayant conduit à l’élection du président américain était exceptionnelle, les électeurs ayant une image extrêmement négative des deux candidats en présence. À la veille du vote en novembre 2016, 59% des électeurs avaient de Trump une opinion défavorable, le chiffre étant identique pour sa concurrente Hillary Clinton. La spécificité de ce scrutin fut la très forte impopularité des deux candidats à la présidence.
La popularité de Trump ne s’est guère remise depuis. À aucun moment depuis son élection, une majorité d’Américains n’ont approuvé sa conduite des affaires. Aucune lune de miel n’a été constatée au lendemain du vote. Au cours de ses 500 premiers jours, désormais atteints, les opinions positives n’ont jamais fluctué qu’entre 35% et 44%, des chiffres à comparer à ceux d’Obama pour la même période : entre 47% et 65%, ou Kennedy : de 72% à 82%. Depuis qu’existent les sondages (lors de l’élection de Harry Truman en 1945), aucun président avant Trump n’avait eu à mi-mandat un taux d’approbation dans les 40% seulement, ni même dans les 50%.
Dans certains segments non-négligeables de la population, le rejet est massif : 60% des moins de 45 ans ont de Trump une opinion négative. Si 25% des femmes disent avoir de lui une opinion très positive, elles sont deux fois plus nombreuses : 50%, à avoir une opinion très négative. Et parmi les citoyens classés aux États-Unis, « non-blancs » : 16% d’opinions très positives seulement contre 63% d’opinions très négatives.
Dans un ranking des présidents américains « en termes de grandeur », produit en début d’année par 170 membres de l’Association de Science politique américaine, Trump se retrouve au 44e et dernier rang ; auprès des seuls chercheurs se disant proches du Parti républicain, il ne décolle encore qu’à peine du plancher puisqu’ils le situent au 40e rang.
Trump est le premier président entièrement dépourvu de social graces, sans aucunes bonnes manières, et le peu de résistance que lui offrent les institutions est dû à leur impréparation devant l’irruption d’un personnage d’un type entièrement inédit. Comment aurait-on pu prévoir en effet qu’un président s’enquerrait un jour s’il lui était loisible de s’accorder à lui-même la grâce présidentielle et qui, quand il lui est répondu que les textes sont muets à ce sujet, s’exclamerait comme Trump : « Ah ! formidable ! ».
Bien sûr, la combinaison de l’inaptitude et de l’impopularité ne signifient pas pour autant l’éviction prochaine de Donald Trump de la direction de l’État, mais des actions nombreuses sont lancées à tous les échelons de la machine judiciaire, signalant que le système immunitaire de l’Amérique est en train de rejeter ce qui constitue pour lui un corps étranger. Des inculpations ont déjà eu lieu, et des sanctions ont été prises à l’égard de citoyens étrangers et d’innombrables enquêtes sont désormais en cours, au niveau des états comme au niveau fédéral, sur une collusion éventuelle du Président et de son équipe avec des puissances étrangères, ou portant sur le blanchiment d’argent sale et le trafic d’influence.
Mais vient se combiner désormais à l’inaptitude et à l’impopularité, une politique étrangère impraticable, même pour la plus grande puissance économique du monde. L’unilatéralisme absolu de Trump, ayant réduit le nombre de ses partenaires aux seuls Israël et Arabie saoudite, est irréalisable sur le terrain. Une fois passé le choc de la surprise, les alliés récemment éconduits des États-Unis devront être conscients qu’il ne s’agit avec l’isolationnisme qui se met en place que d’une simple chimère née dans l’esprit d’un mégalomane à la dérive : les États-Unis seuls, ou presque, contre le reste du monde, seront réduits à l’impuissance en un rien de temps.
L’Europe doit dès aujourd’hui penser en termes d’après-Trump. Pour sa défense en particulier. Mais pas seulement : pour son économie aussi, et pour la reconstitution d’un environnement social protégé contre les débordements d’un capitalisme sauvage.
Trump aura constitué une parenthèse mais l’Europe aurait tort, une fois celle-ci refermée, d’ignorer ce qui se sera alors passé : elle devra y lire un avertissement. Car l’incident est révélateur et sa nature profonde transparaît dans l’identité de ces 35% à 44% d’Américains favorables à Trump aujourd’hui.
Les chiffres nous montrent que les blancs sans diplôme ont voté Trump à 67%, et si l’on tient compte du vote différentiel entre hommes et femmes, ce sont à peu près trois quarts des hommes blancs n’ayant pas fait d’études universitaires qui votèrent Trump, même si ce segment de la population, avec aujourd’hui 56% d’opinions favorables, trahit lui aussi une désaffection relative vis-à-vis du Président. Ne négligeons pas cette observation, car ce sont bien eux qui, s’ils n’ont pas déjà perdu leur travail, risquent de le perdre demain : pour 20% dans la mondialisation et pour 80% dans l’automation, comme ce fut le cas au cours des années récentes. C’est parmi un groupe d’entre eux que Trump a tenu à se faire photographier au moment où il a instauré de nouvelles barrières douanières et a sabordé du fait-même l’Organisation mondiale du commerce, l’image a valeur de symbole.
Pensons, pour notre propre bénéfice, que dans un monde où la gratuité de l’éducation recule, l’ignorance progresse comme on le constate, et si le coût des études est exorbitant aux États-Unis, il renchérit sans cesse chez nous aussi.
Pensons au fait qu’un monde où la disparition du salariat en tant que tel n’est pas prise en compte, où l’on fait miroiter aux yeux d’une population déboussolée, le retour supposé des hauts fourneaux, spectre rassurant des emplois disparus mais qui ne reviendront jamais, qu’un tel monde mène au pouvoir des monstres mettant la planète en danger.
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