Mueller Guides Us Through the Swamp, by The Editorial Board © The New York Times
Merci à Timiota pour la traduction. Ouvert aux commentaires.
Le conseiller spécial, Robert Mueller, n’a pas encore présenté de preuves que la campagne Trump ait conspiré avec des agents russes pour subvertir l’élection de 2016. Mais il a déjà fourni un guide édifiant sur le monde marécageux des entreprises, des cabinets d’avocats et des cénacles de lobbying de Washington, et sur la façon dont un procureur intransigeant peut rendre effective une certaine dose de justice.
L’inculpation pour fraude bancaire et fiscale de l’ancien président de campagne du président Trump, Paul Manafort, par exemple, a soulevé le couvercle de manipulations qui sont habituellement cachées.
Alex van der Zwaan, ancien avocat de Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom, a été condamné à 30 jours de prison pour avoir menti aux enquêteurs de M. Mueller à propos de ses conversations avec l’associé de M. Manafort, Rick Gates, au sujet d’un homme d’affaires ukrainien que l’on croit être un agent de renseignement russe.
Attendez, vous dites Skadden Arps ? L’un des meilleurs cabinets d’avocats du pays ? Comment diable se sont-ils retrouvés dans une telle situation ?
Il s’avère que l’entreprise fait partie des bénéficiaires des 4 millions de dollars de largesses que M. Manafort et M. Gates ont distribués il y a plusieurs années en tant que » lobbyistes » dans la promotion du régime soutenu par Moscou qui dirigeait alors l’Ukraine. Un partenaire de haute volée de Skadden Arps, pas moins que Gregory Craig – qui avait été l’avocat du président Barack Obama à la Maison-Blanche – a supervisé un rapport que le cabinet a commandé et qui qualifiait les poursuites engagées par le gouvernement [ukrainien] contre un dissident comme étant entachées d’irrégularités mais adéquates.
Le ministère des Affaires étrangères d’Obama a qualifié ce rapport d’entaché d’erreur et d’inadéquat. « Les avocats de Skadden Arps n’allaient évidemment pas trouver de motivation politique s’ils ne cherchaient pas à les débusquer« , a déclaré une porte-parole du ministère. L’an dernier, l’entreprise a remboursé 567 000 $ à un nouveau gouvernement ukrainien, désormais sans liens avec Moscou.
L’acte d’accusation a également révélé que M. Manafort a fait appel au superlobbyiste démocrate Tony Podesta et à sa société, le Groupe Podesta, pour faire la promotion de l’ancien régime ukrainien corrompu, même si M. Podesta a omis de s’enregistrer dans le cadre de la Loi sur l’enregistrement des agents étrangers. La publicité qui s’en est suivie a contribué à détruire l’entreprise de M. Podesta.
Un avocat de Washington a déclaré au [New York] Times que ce passage au peigne fin suscitait des inquiétudes quant à la loi sur l’enregistrement et dénotait « un accent nouveau mis sur l’application de la loi, dont les gens ne pensaient peut-être pas qu’elle était d’actualité ou qu’elle le serait un jour ».
Et voilà donc une idée neuve : faire respecter les lois sur la criminalité en col blanc.
Pensons à l’énorme blanchiment d’argent que M. Manafort est accusé d’avoir commis à l’aide de sociétés écran cachant l’identité du propriétaire. Qu’espérait-il ?
Peut-être avait-il remarqué ce qui s’était passé lorsque l’une des plus grandes banques du monde, HSBC, avait aidé à blanchir des milliards de dollars en produits de la drogue pour le compte du cartel de Sinaloa, ou pour un financier d’Al-Qaïda ou pour d’autres encore pendant près d’une décennie. Lorsqu’ils furent pris, il leur a suffi de renoncer à moins de cinq semaines de bénéfices. Aucun employé de la banque n’a été inculpé d’un délit.
Pensons cette fois au gros poisson en puissance dans l’enquête de l’avocat spécial. Il y a trois ans, environ trois mois avant que M. Trump n’annonce sa candidature à la présidence, le Réseau de lutte contre la criminalité financière du département du Trésor a condamné le casino Trump Taj Mahal, situé à Atlantic City, à une amende de 10 millions de dollars pour « infractions volontaires et répétées au Bank Secrecy Act (B.S.A.) », et cela pour avoir omis de déclarer des transactions suspectes, de déposer dans les formes les déclarations de transactions monétaires et de tenir les registres appropriés. Les autorités ont noté que le casino avait « une longue histoire dans le passé de violations avec récidive des B.S.A. pointées par les enquêteurs depuis 2003 « . Le casino avait été condamné à une amende de 477 700 $ en 1998. En d’autres termes, le casino de M. Trump a aidé à blanchir de l’argent sale et néanmoins personne n’a été accusé d’un délit.
Un cinquième des condos [copropriété : condominium] appartenant à M. Trump aux États-Unis ont été vendus à des sociétés écran comme celles que M. Manafort a utilisées, selon BuzzFeed News. Depuis que M. Trump a remporté l’investiture républicaine, 70 % des ventes de biens immobiliers de ses sociétés l’ont été à des sociétés écran, signalait USA Today.
Une enquête du [New York] Times a révélé que ce genre de comportement est business as usual pour beaucoup de grands entrepreneurs, car les sociétés écran dont les fonds sont intraçables – pas toutes créées à des fins néfastes – achètent un nombre disproportionné de condos haut de gamme dans des villes comme New York. Le problème n’est pas non plus restreint aux grosses agglomérations urbaines. Une société écran a masqué l’achat de la maison luxueuse d’un lobbyiste par l’administrateur en difficulté de l’Agence de protection de l’environnement, Scott Pruitt, alors qu’il était sénateur de l’État de l’Oklahoma en 2003.
L’attention portée récemment à l’« avocat personnel » de M. Trump, Michael Cohen, a mis en lumière une autre pratique assez courante dans le monde des affaires. L’une des spécialités de M. Cohen était de faire taire les gens. Il a acheté le silence des femmes qui croisaient la route de M. Trump, y compris en prenant des dispositions pour que The National Enquirer fasse des paiements « catch and kill » [attrape pour tuer] pour les droits à des histoires pimentées qui ne furent alors jamais publiées.
L’Associated Press a rapporté qu’après avoir découvert que The Enquirer avait payé 30 000 $ à un concierge qui avait dit que M. Trump avait eu un enfant avec l’une de ses femmes de ménage, la société mère du journal avait menacé l’A.P. de poursuites judiciaires.
Ces avocats étaient-ils des relations du très louche M. Cohen ? Non, ils venaient du cabinet du parangon juridique qu’est David Boies, qui a défendu le mariage pour tous devant la Cour suprême et s’est battu pour Al Gore lors de la débâcle du recompte [des voix] en Floride en 2000. M. Boies a également contribué à tenter de tuer un reportage du New York Times sur les femmes qui accusaient Harvey Weinstein d’agression sexuelle et, en tant que conseiller juridique de la société frauduleuse de tests médicaux Theranos, a menacé de poursuivre The Wall Street Journal pour empêcher la publication d’un rapport qui montrait que la société était une parfaite escroquerie. Un « bon gars » dans une mauvaise cause – le business as usual. (Le cabinet de M. Boies a travaillé pour le Times Company jusqu’à ce que The New Yorker rapporte que le cabinet avait organisé ce que les responsables du Times ont appelé » une opération secrète d’espionnage visant nos reportages et nos reporters » sur l’affaire Weinstein).
Au milieu de toutes les allégations sordides dans l’affaire Cohen, le président voudrait nous faire croire qu’il porte haut la bannière d’un principe sacré – le secret de l’avocat dans sa relation avec le client [« attorney-client privilege »]. Le bureau du procureur des États-Unis à Manhattan a été en mesure de passer outre à ce secret et saisir les documents de M. Cohen après avoir persuadé un juge qu’ils contenaient probablement les preuves d’activités illicites.
Dans le monde de la criminalité en col blanc, cependant, le business as usual a fait en sorte que le secret de l’avocat soit souvent un moyen de tenir la loi à distance. Les entreprises utilisent depuis longtemps ce privilège pour protéger les informations relatives à des conduites répréhensibles. Pendant quelques années sous l’administration Bush, les procureurs fédéraux ont conclu des accords en fonction desquels les entreprises renonçaient à ce privilège. Mais, après une campagne de lobbying des entreprises et une décision de justice défavorable, le ministère de la Justice a toutefois interdit cette pratique.
Tout cela équivaut à la mise en accusation d’un système de justice pénale qui a alimenté le marécage dans lequel M. Trump et ses semblables prospèrent. La fraude au niveau industriel par les banques américaines a failli mettre l’économie mondiale à genoux en 2008, et pour autant, aucun cadre supérieur n’a jamais été inculpé. La semaine dernière, avec un milliard de dollars de nouvelles amendes fédérales à l’encontre de Wells Fargo, il nous est rappelé que personne n’a été traîné devant les tribunaux pour des pratiques de bas étage propres davantage aux escroqueries d’arrière-boutique qu’à la troisième plus grande banque du pays.
Dans son livre « The Chickenshit Club » [le club de la fiente de poulet] – du nom qu’appliqua James Comey, alors procureur des États-Unis, aux procureurs n’ayant jamais perdu une affaire parce qu’ayant soigneusement évité celles qu’ils risquaient de ne pas gagner – Jesse Eisinger raconte comment le ministère de la Justice a « perdu la volonté et même la capacité de poursuivre les malfaiteurs aux plus hauts rangs des entreprises« .
M. Mueller est en train de montrer aux procureurs une façon un brin meilleure de traiter les crimes en col blanc.
Une version imprimée de cet article paraît le 23 avril 2018, à la page A22 de l’édition de New York avec le titre : Mr Mueller’s Swamp Guide.
@ Garorock 16h47 Les points de divergences entre LFI et le PS-EELV sont de trois ordres. D’abord en géopolitique :…