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Troisième dans ma série « Les mystères de la société de consommation ».
Quand j’étais gosse, il y avait dans les rues des hommes-sandwich. Ils déambulaient dans les endroits bien achalandés (« de chaland », c’est-à-dire client) portant sur leur bedaine et sur leur dos, deux panonceaux qui disaient des choses du genre : « Rue de Béthune, samedi 26, Grande Braderie ! », ou plus sobrement : « Dubo, Dubon, Dubonnet ».
De leur allure générale on pouvait deviner qu’ils n’appartenaient pas à la classe des rupins. Quoi qu’il en soit, ils étaient probablement rémunérés pour ce qu’ils faisaient (je doute que leurs panonceaux aient été considérés comme un vêtement qu’on leur procurait à l’oeil et qu’ils se soient contentés d’être reconnaissants qu’on le leur prête).
Saut en avant dans le temps, de trente ou quarante ans, un impair de ma part. Je dis à une amie : « Je crois que tu as mis ton pull à l’envers : on voit dans ton cou, l’étiquette avec la marque », et elle, d’un ton glacé : « Non, c’est voulu. »
Je ne lui ai pas fait répéter : le ton glacé était sans appel, il n’y avait pas eu erreur, c’était voulu : elle était devenue femme-sandwich d’intention délibérée. Fini le temps où les aficionados, les fashionistas, devinaient par leur vaste culture modiste et leur talent ce qui était écrit sur l’étiquette cachée aux regards dans la nuque, Chanel et les autres avaient cessé de courir le risque qu’on les ignore : ils écrivaient désormais leur nom en lettres de feu sur notre front et cela nous était agréable. C’était moins alambiqué que laisser deviner la marque à la qualité visible du produit et, la preuve en était faite, nous étions prêts à le faire gratos.
Autre souvenir des années 90, les T-shirts « Hollister ». Je me souviens de leur apparition, dans le même style exactement que les T-shirts proclamant le tendre attachement de son porteur ou de sa porteuse à son université ou à son club sportif. Eux affichaient simplement « Hollister », ce qui finit par m’intriguer. J’allai voir. Pour découvrir que « Hollister » n’était rien d’autre que le nom d’un fabricant de T-Shirts. J’en tirai qu’était désormais offert à celui ou à celle à qui le sort n’avait pas offert d’université ou de club sportif à chérir, la possibilité de manifester sa tendresse envers un marchand de T-shirts.
Que s’est-il passé, Brothers and Sisters, pour que nous ayons accepté, vous et moi, de nous métamorphoser, pour pas un rond, en homme- (ou femme-) sandwich ?
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