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« Et dans cette immensité, figurez-vous ce réseau : des orbites de soleils reliées par des ellipses de comètes ; les comètes jetées comme des amarres d’une nébuleuse à l’autre. Ajoutez les vitesses et les flamboiements, des astres faisant des courses de tonnerres. Abîmes, abîmes, abîmes. C’est là le monde. »
Victor Hugo, En voyage. Alpes et Pyrénées
Ici, je dresse l’inventaire de ce que nous, êtres humains, manifestations du vivant, avons pu comprendre jusqu’ici de notre destin, j’évalue chaque élément et je rassemble ces fragments pour en faire un tout, en espérant que ce tout assurera notre salut. Lequel est sérieusement compromis aujourd’hui soit du fait de notre indifférence, ou dit plus charitablement, du fait que nous ne nous en préoccupons que de manière intermittente comme d’une question secondaire sans urgence particulière, soit en raison de notre exigence puérile que toute solution, pour pouvoir être prise en considération, doive déboucher sur un profit.
En 2004, j’ai eu le sentiment qu’une catastrophe financière de très grande ampleur se dessinait. Je travaillais alors aux États-Unis dans la finance, dans le secteur prime, le parent opulent d’une famille où le parent pauvre avait pour nom subprime. Je me trouvais de fait en position de témoin privilégié, et me voyant assignée selon moi la responsabilité d’avertir le monde des nuages qui s’amoncelaient et de la tempête qui menaçait.
Au printemps 2005, le manuscrit de La crise du capitalisme américain était prêt. Aucun des économistes à qui les éditeurs que j’avais sollicités le firent lire n’était disposé à croire qu’une crise était en préparation et il me fallut près de deux ans d’efforts avant que le livre ne soit publié.
La crise du capitalisme américain parut en janvier 2007. L’éditeur, toujours quelque peu sceptique, en avait transformé le titre sur un mode interrogatif en Vers la crise du capitalisme américain ? (le titre original serait rétabli lors du retirage en 2009 chez un nouvel éditeur). La crise débuta le mois suivant quand les titres adossés à des prêts au logement subprime perdirent brutalement de leur valeur. Elle culmina en septembre de l’année suivante quand le système financier s’effondra brutalement à la suite de la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers, nécessitant pour son sauvetage l’injection par les banques centrales de plusieurs milliers de milliards de dollars, de yens et d’euros.
Le livre parut suffisamment tôt pour que le mérite d’avoir annoncé la crise me fût reconnu mais trop tard pour avoir aucun impact sur la suite des événements.
Paraissant en 2005 au moment où il était déjà prêt, aurait-il réellement pu prévenir la crise ? À la lumière d’événements ultérieurs, j’en doute très sérieusement. Dix ans plus tard en effet, en 2014, je fus saisi du même sentiment qu’un désastre pointait à l’horizon et qu’il était de mon devoir d’alerter mon prochain. Ma réputation d’avoir été « l’homme (ou l’un des très rares) ayant annoncé la crise des subprimes » me servit cette fois : le manuscrit fut terminé fin 2015 et Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Essai sur l’extinction de l’humanité fut publié en mars 2016.
Si la crise des subprimes avait été catastrophique, l’extinction du genre humain s’annonçait comme un désastre encore bien plus formidable.
Mes hôtes à la radio ou à la télévision eurent l’amabilité de me présenter dans des termes comme ceux-ci : « Il nous parle sans doute de l’extinction de l’homme mais ne prenons pas cela à la légère : souvenez-vous, parmi quelques très rares analystes seulement, il avait annoncé la crise des subprimes ! ».
S’il me prenait l’envie maintenant de me plaindre de la réception de Le dernier qui s’en va éteint la lumière, mon éditeur me jugerait ingrat : il s’agit en effet de mon livre qui s’est le mieux vendu, une traduction en chinois va paraître, une traduction en allemand est en cours, et l’ouvrage est désormais disponible en livre de poche.
Mais au risque de me montrer ingrat en effet, je voudrais souligner cependant ceci : quand on annonce l’extinction du genre humain, l’objectif n’est pas de vendre son livre : il est de sonner l’alarme en vue d’un éveil des consciences et d’une mobilisation des énergies. Et pour ce qui touche à cela, mes efforts sont restés vains.
Or le temps presse. Le temps presse de deux manières. Objectivement parce que tout se défait autour de nous, et subjectivement, parce que j’ai soixante-et-onze ans, et que si j’ambitionne de continuer à peser sur la suite des affaires, les statistiques me donnent encore 13 années en moyenne, sans compter que, comme tout un chacun, je suis à la merci des aléas de la vie.
Vu le faible résultat obtenu jusqu’ici en tant que lanceur d’alerte sur la question de l’extinction du genre humain, je n’ai d’autre choix que de persister pour tenter de susciter un plus grand intérêt, et surtout, l’engagement d’un plus grand nombre de mes contemporains en vue de renverser la vapeur.
Il est vrai que dans mon ouvrage précédent je ne me suis nullement préoccupé de justifier que l’extinction menace véritablement : je me suis contenté de signaler que les personnalités les plus dignes de confiance sur le sujet l’affirment, pour passer sans transition à la question que j’entendais éclairer : sommes-nous outillés pour la prévenir ? La conclusion à laquelle je parvenais était que nous sommes très mal équipés pour empêcher l’extinction, ce qui rend la mobilisation d’autant plus nécessaire et pressante. Y parviendrons-nous toutefois ? Je laissais la question sans réponse. Si ce devait ne pas être le cas, nous éprouverions toutefois la consolation d’avoir été un accident dans l’histoire de l’univers tout spécialement remarquable, ayant laissé après nous une génération de machines ultrasophistiquées capables de nous survivre si nous les pourvoyons de cette faculté, voire d’entreprendre cette colonisation des étoiles que nous aurions échoué à réaliser nous-mêmes.
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