Hier, vendredi 20 avril 2018, le Parti démocrate américain a déposé une plainte affirmant l’existence contre lui d’une conspiration impliquant des officiels et des hommes d’affaire russes, certains d’entre eux appartenant aux services secrets, le comité de la campagne présidentielle de Donald Trump, dont certains de ses proches comme son fils Donald Trump Jr. et son gendre Jared Kushner, et l’organisation Wikileaks et son président Julian Assange, ce dernier déjà en très vilaine posture : en résidence forcée à l’ambassade de l’Équateur à Londres, et les autorités de ce pays ayant coupé son accès à l’Internet en raison précisément de ses interférences intempestives avec le bon fonctionnement des institutions américaines – du propre point de vue de celles-ci, et désormais donc de l’Équateur également.
Les premières réactions aux États-Unis ont été sur le mode de la dérision, l’accent étant mis sur le montant de plusieurs millions de dollars en dommages-intérêts réclamés par le parti d’Hillary Clinton dans sa plainte. Certains commentateurs ont immédiatement affirmé qu’il s’agissait là d’une tentative désespérée pour le parti de se refaire une santé sur le plan financier.
Jusqu’à ce que d’autres commentateurs, et en particulier Rachel Maddow sur la chaîne MSNBC, attirent l’attention sur le fait que Parti démocrate avait agi exactement de la même manière en 1972 au moment du scandale de Watergate : le vol de documents liés à la campagne présidentielle qui battait alors son plein, et qu’il avait non seulement gagné devant les tribunaux (obtenant 775.000 $ sur le million qu’il réclamait) mais que la plainte avait débouché in fine sur la démission du Président Nixon et la mise sous les verrous d’un certain nombre de ses collaborateurs, dont un ministre.
Quand alors M. Roger Stone, l’un des organisateurs de la campagne de Trump et son confident, déclare hier qu’il s’agit d’« une conspiration gauchiste déguisée en plainte », il rappelle immédiatement en écho, la déclaration en 1972 de John Mitchell, ministre de la Justice de Nixon, qu’il s’agissait avec la plainte du Parti démocrate à cette époque d’une « manifestation grotesque de démagogie », ce qui ne parvint cependant pas à lui épargner par la suite, dix-neuf mois de prison ferme.
Telle qu’elle a été formulée hier, la plainte du Parti démocrate n’invoque rien qui ne soit déjà connu, pour être apparu en surface en particulier au cours de l’enquête du Procureur spécial Robert Mueller quant à une collusion éventuelle de l’équipe Trump avec la Russie mais, comme le soulignent les commentateurs, une plainte au civil de ce type peut voir ses termes reformulés à tout moment, ce qui fut en effet le cas à l’époque de Watergate, à mesure que de nouvelles informations tombaient.
Comme on entend en ce moment des bruits de bottes : M. Trump aurait l’intention de révoquer M. Robert Mueller ou M. Rod Rosenstein, numéro 2 du ministère de la Justice, à l’origine de la commission Mueller, la plainte démocrate s’apparente à une police d’assurance au cas où Mueller, Rosenstein, ou les deux, seraient démis de leurs fonctions par Trump : la plainte demeurerait valide quoi qu’il en soit et pourrait suivre son cours.
… pour autant bien sûr que cette plainte soit jugée recevable. Et là, effet de résonance particulièrement plaisant dans l’histoire des États-Unis, le juge qui aura à déterminer dans les jours qui viennent de cette recevabilité n’est autre que John G. Koeltl, dont le curriculum vitae mentionne comme son premier poste : « Assistant du procureur spécial, Commission d’enquête de Watergate ».
Mais il y a encore davantage, et tout spécialement un élément auquel un non-Américain mais familier des États-Unis – ce qui est mon cas – est plus sensible sans doute que les Américains eux-mêmes : une plainte au civil dans leur grande nation (aucune ironie de ma part, vous le savez), qui implique un montant impressionnant de dollars est plus susceptible d’aboutir à un résultat probant qu’une autre qui n’invoque que de grands principes. Souvenez-vous en effet de l’affaire O. J. Simpson, et du meurtre de son ex-épouse et de l’amant de celle-ci. Le procès au pénal conduisit en octobre 1995 à la relaxe de l’inculpé en raison de l’impossibilité du jury de juger qu’il était coupable « au-delà de tout doute raisonnable ». Le procès au civil, dans une procédure de « wrongful death », c’est-à-dire de « décès imputable à une faute », le condamna au contraire lourdement en février 1997 en tant que responsable reconnu des deux meurtres, le critère n’étant pas au civil celui de l’« au-delà de tout doute raisonnable » qui prévaut au pénal aux États-Unis, mais de la « prépondérance des preuves » – qui signa sa perte.
Le petit cercle autour de Trump, qui a pu penser ces jours derniers 1° gérer au mieux la menace que constitue la commission spéciale de Robert Mueller enquêtant sur la collusion de Trump & Co. avec la Russie, 2° avoir plus ou moins bien colmaté la brèche de la saisie de tous les documents de Michael Cohen, l’avocat du Président, doit cependant être ce soir, dans ses petits souliers, en raison de cette apparition funeste du spectre du Watergate qui, en son temps, mit le Parti républicain à genoux.
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…