La scène se passe à San Francisco, en 2003, dans Polk Street, devant le Walgreens, au coin de Broadway. Il y a un gars assis sur le trottoir, il a vingt ans et, devant lui, il y a un petit tas de livres de poche et de CDs. À vendre manifestement. Je regarde ses disques, et parmi la demi-douzaine, il y avait trois Jethro Tull : Stand Up (1969), Aqualung (1971) et Heavy Horses (1978). Je lui ai dit : « Vous êtes sûr que vous voulez les vendre ? ». Il était sûr. Je ne comprenais pas, j’insistais : « Vous êtes sûr que vous ne voulez pas les garder ? » Il me dit que ses goûts avaient évolué. J’étais incrédule, il y avait un truc : comment pouvait-on cesser d’aimer Jethro Tull ? Si j’avais perçu d’une manière ou d’une autre qu’il avait seulement besoin des sous, je lui aurais donné la somme avant de filer à l’anglaise (j’étais banquier en ce temps-là – mais pas au point qu’il n’ait pas envie de m’adresser la parole). Je n’ai pas pu me résoudre à laisser Jethro Tull là sur le pavé : je lui ai pris les trois CD. Ce matin, je les écoute.
Un jour peut-être découvrirez-vous que le « nous » universel est une illusion. Il ne trouve la paix que dans le « entre…