Point de l’actualité : Trump le 7 mars 2018 – Retranscription

Retranscription de Point de l’actualité – Trump le 7 mars 2018. Merci à Cyril Touboulic !

Bonjour, nous sommes le mercredi 7 mars 2018, et là j’invente une nouvelle formule pour mes petites vidéos : c’est un Point de l’actualité à chaud, en direct. Je ne vais pas vous donner d’analyses longues éventuellement sur des choses qui se sont déjà passées. Je vais simplement vous mentionner des choses qui se passent en ce moment et donc pas d’analyses véritablement, mais des éléments qui sont là présents et qui vont avoir des conséquences dans les heures, dans les jours qui viennent.

C’est bien entendu aux États-Unis. Je pourrais vous parler de la Corée, puisqu’il y a un rapprochement assez inattendu entre la Corée du sud et la Corée du nord, mais ce n’est pas de ça que je vais vous parler. Je vais vous parler de la démission, hier soir, de M. Gary Cohn qui était un des très proches du Président Trump sur les questions d’économie. Un monsieur qui était numéro deux chez Goldman Sachs, donc un professionnel de la finance. Il avait été fort question de sa démission – c’était à l’été de l’année dernière – au moment où il y avait eu la mort de Heather Heyer, une contre-manifestante d’une manifestation suprémaciste et où M. Trump s’était montré extrêmement gentil vis-à-vis des manifestants en disant qu’il y avait des gens bien des deux côtés. Là M. Gary Cohn avait mis sa démission dans la balance. Finalement il ne l’avait pas fait. Mais hier soir, sur cette question de guerre des prix, de guerre commerciale, de tarifs douaniers qui vont être mis en place par M. Trump sur l’acier et l’aluminium (25 % sur l’acier et 10 % sur l’aluminium, à l’importation), là, M. Gary Cohn a fini par jeter l’éponge : il a donné sa démission. Ce n’est pas un événement qui passe inaperçu : il était considéré comme à la fois la dernière personne raisonnable qu’il restait dans le dernier carré de M. Trump, mais aussi comme le dernier représentant véritablement de Wall Street.

Vous le savez, au départ, dans l’équipe de Trump, et ça avait été remarqué, [il y a] beaucoup de gens qui étaient passés par Goldman Sachs. Alors, voilà, le dernier s’en va. Et qu’est-ce qu’on a ? qu’est-ce qu’il reste ? Il reste des gens pour lesquels a priori je devrais avoir beaucoup de sympathie parce que ce sont un peu des gens comme moi : des marginaux de la « science » économique. Bon, ce sont des gens qui ont eu des postes universitaires quand même, comme M. Peter Navarro qui était quand même à U.C. Irvine en Californie, mais qui a toujours été considéré comme un type pas sérieux : on fait des remarques sur le fait que ses articles ne sont pas dans des revues de haut rang, et ainsi de suite. Et c’est lui le principal conseiller de Trump sur ces histoires de droits d’accises, de tarifs dissuasifs sur le prix à l’importation des métaux comme l’aluminium et l’acier.

Alors, quelles sont conséquences de ça ? Eh bien, c’est surtout que les marchés financiers vont déprimer. Vous vous souvenez de M. Mitterrand qui avait finalement dû faire machine arrière et s’aligner sur le libéralisme parce que les marchés boursiers étaient contre lui, et les marchés financiers dans leur ensemble ? Eh bien, là, M. Trump fait une expérience du même genre, comme M. Mitterrand.

Pas de parallèle, par ailleurs, entre les deux personnages, hein ! … il faut quand même bien le souligner ! Mais les marchés considèrent qu’il n’y a plus que des branquignols aux commandes, du point de vue de l’économie et de la finance, aux côtés de M. Trump. Et donc, voilà : déprime des marchés. Le « futures » sur le DJIA (Dow Jones Industrial Average), l’indice Dow Jones, pour la journée qui va s’ouvrir aux États-Unis tout à l’heure, il est en baisse (au moment où je regardais) de 1,5 %. C’est beaucoup pour un « futures », parce que les « futures » sont finalement assez conservateurs : ils n’amplifient pas le danger vu. Donc, en séance, ça risque d’être beaucoup plus bas.

Alors, vous pourrez dire : « C’est une grande victoire pour la gauche ! », puisque la gauche dans son ensemble est protectionniste. Mais, là, c’est autre chose. C’est quand même autre chose. En novembre 2016 – bon, ça date quand même d’un certain temps –, au moment où M. Trump arrive à la direction des affaires et qu’on a déjà des déclarations de M. Peter Navarro, je fais un article dans Le Monde et dans L’Écho en Belgique, et je dis : « Tous ces braves gens ont des idées sympathiques sur le protectionnisme (défendre les salaires dans nos pays, défendre les emplois surtout), mais c’est à partir d’une représentation du XIXe siècle. Ça, c’est du David Ricardo ! » Vous pourrez dire : « C’est du Karl Marx ! », mais alors là on peut faire la remarque qu’avait déjà faite Keynes : que selon Keynes, Le Capital (1867) de Marx, ce sont de longs commentaires sur Adam Smith et David Ricardo, et qu’il n’y a pas beaucoup de neuf.

Donc, c’est-à-dire que vers 1850-1860, dans ces années-là, en fait, Marx fait toujours des analyses qui sont des analyses qui portent en réalité, pour ce qui est de l’international – je ne parle pas évidemment du fonctionnement des entreprises, des choses de cet ordre-là –, il fait encore des analyses comme si on était en 1810. Et c’est ça, malheureusement : les idées sont généreuses (protéger les emplois, etc.), mais c’est à partir d’une représentation du monde qui n’existe plus et qu’on ne peut pas remettre véritablement en question de cette manière-là.

Trump avec son truc sur l’acier et l’aluminium, il va protéger 200,000 emplois, qui sont des emplois véritablement de gens qui font du fer et de l’aluminium, qui le traitent et qui en produisent, et il met en danger en parallèle [6,5] millions d’emplois aux États-Unis de gens qui vont devoir travailler sur de l’acier et de l’aluminium beaucoup plus chers. Ce genre de calculs n’est pas fait – chez Ricardo, ce n’était pas fait parce que, bon, ça ne se passait pas de cette manière-là – mais, une fois qu’on fait ces calculs, il faut se rendre compte non pas qu’il faut être contre le protectionnisme mais qu’il faut le faire dans un cadre différent. On ne peut plus le faire avec des mesures telles que Marx et Ricardo les proposaient. On est dans un monde différent et j’espère que si vous connaissez un peu ce que j’écris sur la finance et l’économie, vous comprenez ça : on ne peut pas faire du Marx pur jus aujourd’hui, parce que le monde a changé. Alors, il faut faire, eh bien, des choses comme je le propose, je dirais, c’est-à-dire une réflexion dans le même type d’esprit que Marx en 1850, mais dans le contexte qui est le nôtre. On ne peut pas simplement transposer ça 150 ans plus tard : non, on est dans un monde différent !

Alors, voilà, et il y a là aux manettes, maintenant, du côté de M. Trump, des gens qui sont applaudis. Ils sont applaudis par le syndicat AFL-CIO (American Federation of Labor – Congress of Industrial Organisations) et quelques groupes de gauche, mais c’est de la gauche de musée préhistorique ! Malheureusement, ça ne va pas faire l’affaire. Alors, est-ce que ça arrange les affaires de M. Trump ? Non, absolument pas. Là, maintenant, les marchés boursiers vont être véritablement contre lui et il va voir que ce n’est pas facile.

Et en plus, ce matin – je n’ai jamais mentionné ça parce que ça me paraissait du fait divers du plus bas niveau –, il y a cette dame : Stormy Daniels, qui s’appelle en réalité Stephanie Clifford si j’ai bon souvenir, qu’on avait fait taire pour 130,000$ sur une « affaire », comme on dit, voilà, une liaison, une relation qu’elle avait eue avec M. Trump. Et, évidemment, si cette chose apparaît en surface comme étant un moyen de faire pression sur les électeurs en cachant des nouvelles qui pourraient apparaître, ça entre tout de suite dans la catégorie de tricherie sur des élections. Ce ne sont plus les Russes, c’est cette autre chose. Et malheureusement pour M. Trump, il a des casseroles comme ça, vous le savez, à l’infini : si l’on ouvre la porte du placard, eh bien, c’est sous une avalanche de casseroles qu’on tombe. C’est un truc de plus. La difficulté pour Trump, c’est que la presse qui le soutient d’habitude, elle va tirer tout le parti qu’elle peut de cette histoire de cette Mme Stormy Daniels, parce que c’est le genre d’histoires dont la presse de caniveau se régale (des relations avec une actrice du porno, et des machins comme ça). Voilà, enfin, un truc de plus pour M. Trump aujourd’hui, qui n’avait pas besoin de ça.

Ceci dit, il faut savoir que ce monsieur s’imagine encore triomphant, que ses partisans vont aussi continuer à, comment dire, rigoler en pensant qu’il est en train de marquer des points. Il est en train de précipiter sa chute vers la sortie, quelle que soit la manière dont ses partisans se représentent ça. Ça ne veut pas dire que ses partisans ne vont pas le défendre jusqu’au bout et que dans un climat de clivage comme on a en ce moment aux États-Unis, ça peut faire du dégât parce que ça peut déboucher à la limite – et espérons en touchant du bois que ce n’est pas vers ça qu’on se dirige – ça peut tourner vers des climats de guerre civile parce qu’il y a deux camps qui ont des vues absolument opposées les unes aux autres. J’en ai déjà fait des analyses, mais là je ferai des analyses plus poussées là-dessus dans une perspective de science politique, de sociologie, comme je l’ai déjà fait en particulier dans mon bouquin qui s’appelait La crise du capitalisme américain, où j’annonçais la crise des subprimes.

Bon, juste un point d’actualité. Je ne vais pas faire beaucoup plus maintenant. Je reviendrai à froid sur toutes ces questions.

Allez, au revoir !

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