Dans un billet ici, le 28 mai de l’année dernière, j’écrivais : « Qui était le plus soucieux de voir les Russes se mêler de la campagne présidentielle américaine ? Les Russes eux-mêmes ou bien l’équipe de campagne de Donald Trump ? »
Ayant passé en revue ce que l’on savait à l’époque, je concluais :
« On découvrira bientôt que les Russes étaient beaucoup moins soucieux de débaucher l’équipe de campagne de Trump que celle-ci de proposer gratis et à charge de revanche, ses bons et loyaux services. »
Ce que l’on a appris depuis va dans le même sens et les indiscrétions ces jours-ci suggèrent que la commission d’enquête dirigée par Robert Mueller dispose désormais d’un énorme dossier pour étayer l’hypothèse.
Non moins épais, semble-t-il, le dossier d’entrave à l’exercice de la justice à l’encontre de Trump, à propos duquel un nouvel élément significatif est à relever : le cas de Donald McGahn, conseiller à la Maison-Blanche, pour qui le scénario se déroule différemment des épisodes précédents.
Lors de ceux-ci, je vous le rappelle, Trump tenait le discours suivant : « l’enquête sur une éventuelle collusion entre mon équipe et les Russes est une chasse aux sorcières ; quiconque affirme ou agit comme s’il n’y avait pas de fumée sans feu se range du côté des chasseurs, et est donc un ennemi. » L’ennemi en question disparaissait ensuite rapidement du paysage, soit qu’il fût révoqué, soit poussé à la démission. Seule exception jusqu’ici, Jeff Sessions, le ministre de la Justice, qui – comme je l’avais expliqué dans Le temps qu’il fait le 6 mars 2017 – s’était récusé de toute implication dans l’investigation du Procureur Mueller, ce que Trump avait qualifié de passage à l’ennemi, affirmant qu’il lui fallait un homme à lui à la Justice « pour me protéger ».
J’expliquais la semaine dernière (le 2 mars) dans une vidéo que « Trump a déjà fait plusieurs tentatives – on le sait maintenant – pour essayer de révoquer Mueller et c’est un représentant de la Maison-Blanche, M. McGahn qui a eu, je dirais, l’honneur de mettre sa démission en jeu si M. Trump continuait de se conduire en gorille à la Maison-Blanche. » Or le choc avait été sérieux si l’on en croit un ou plusieurs témoins. Qu’on en juge.
Un article avait paru le 25 janvier dans le New York Times, expliquant qu’en juin de l’année dernière, McGahn avait menacé de remettre sa démission lorsque Trump lui avait enjoint de révoquer Mueller. Un autre conseiller à la Maison-Blanche, Ron Porter (récemment révoqué lorsque les violences qu’il avait exercées contre deux de ses ex-épouses devinrent publiques) avait fait savoir à McGahn que le Président souhaitait qu’il publie une déclaration niant les faits rapportés par le quotidien new-yorkais, sans quoi il « se débarrasserait » de lui. Or McGahn s’abstint de le faire.
Plus tard, en présence du général Kelly, chef de cabinet de Trump à la Maison-Blanche, le Président s’en était pris à McGahn, affirmant qu’il ne lui avait jamais donné l’ordre de révoquer le procureur Mueller. McGahn ne s’était pas dépris de son calme, rapporte-t-on, et répliqua à Trump qu’il se trompait : qu’il lui avait bien demandé en juin d’appeler Rod Rosenstein, le ministre-adjoint de la Justice, pour lui dire que le Procureur spécial avait en cette affaire un conflit d’intérêt (Mueller est un proche de James Comey, qui fut directeur du FBI jusqu’à ce que Trump le révoque le 9 mai de l’année dernière), et qu’il devait lui aussi être révoqué. Le Président lui aurait répondu que dans son souvenir les choses s’étaient passées autrement.
Or, et à l’encontre de ce qui s’était passé pour d’autres dans le même type de circonstances, McGahn est toujours en poste, mieux encore, il fait partie de la moitié survivante de l’équipe initiale de Trump à la Maison-Blanche.
Il y a à cela sans doute plusieurs explications possibles mais la première qui vient certainement à l’esprit est que McGahn est conscient que le rapport de force lui est aujourd’hui favorable : sa conduite a en effet été irréprochable, ce dont l’opinion publique est informée, et le procureur Mueller en particulier. Dans l’affrontement de l’autre jour à la Maison-Blanche, si la légitimité de l’un des deux interlocuteurs est aujourd’hui sérieusement compromise, ce n’est pas la sienne : c’est celle de l’autre.
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