Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Je ne savais pas dans quoi je m’étais engagé, il y a neuf ans, lorsque je me décidais, après avoir hésité, à « poster » un commentaire sur le blog d’un certain Paul Jorion, qu’un entrefilet dans Le Monde avait signalé à mon intention pour avoir démonté le mécanisme des subprimes, une notion soudainement apparue en Europe. Cela produisit un déclic. Ayant toujours cherché à savoir comment tout fonctionne, la finance m’est soudain apparue être un terrain d’élection pour m’y exercer. La crise mettait à nu ce qui était auparavant opaque, c’était l’occasion ou jamais.
Pour comprendre, il n’y a pas mieux que de devoir expliquer ! J’ai donc vite récidivé, heureux que mon post ait passé le barrage d’une mystérieuse modération me rappelant les physionomistes des boîtes de nuit, car totalement néophyte en matière de blog. Une chose en amenant une autre, je reçus tout étonné, quelques jours et commentaires après, un mail de Paul Jorion me proposant de passer de statut de commentateur à celui de billettiste, mes longs commentaires devenant des « billets invités ». J’étais dans la place, sans même l’avoir cherché !
Voilà, simplement livré, le tout début de cette histoire qui a duré neuf ans, un bail, sous la forme d’un compagnonnage dont l’un de ses aspects singuliers était que Paul vivait à époque à Los Angeles et moi à São Paulo. Je ne sais même plus combien d’années nous mimes à finalement nous rencontrer, et ce fut à Paris. Quand on est loin à l’étranger, soumis aux décalages horaires, le mail est une bénédiction.
Ecrire pour un blog, surtout si l’on est porté par le succès de sa fréquentation, qui explosait, est un exercice très addictif. Je peux en témoigner. Le sujet traité – la crise étonnante que nous découvrions au jour le jour – fournissait une matière inépuisable et l’occasion de décryptages plus ou moins savants. Cette restriction s’impose me concernant, car je dois reconnaître que, mon enthousiasme aidant, voulant parfois trop prouver, je commis quelques impairs qui furent corrigés à temps par mon hôte avant d’être mis en ligne… Mais je ne doutais de rien, à une époque où le conformisme régnait à peu d’exceptions près, fort de convictions qui trouvaient leur confirmation de manière exemplaire Elles me condamnaient toutefois à trouver informations et éclairages de l’autre-côté de la Manche ou de l’Atlantique, via Internet, m’imposant un rythme de lectures soutenu.
J’ai beaucoup appris durant ces années, renvoyé à cette période lointaine où, professeur remplaçant de physique chime, j’avais une leçon d’avance sur mes élèves car j’étais un matheux. J’étais désormais sur la trace de rares iconoclastes, ravi quand j’en découvrais un, tout en ingurgitant pour les restituer, une fois passées à la moulinette, les innombrables déclarations péremptoires de ministres et autres savantes autorités qui dissimulaient mal le peu qu’ils semblaient avoir compris.
Entré en territoire inconnu, je n’avais pour m’orienter que mes lectures sans fin, la plupart du temps en anglais, et faisait feu de tout bois avant de sélectionner des titres, et surtout des signatures de journalistes pertinents. Mais je n’étais pas aux bout de mes peines, les Anglo-saxons portant une grande vénération aux obscurs acronymes.
A plusieurs reprises, j’ai rencontré de grandes satisfactions. En particulier lorsque les lecteurs du blog manifestèrent combien ils tenaient à moi ! On a son petit orgueil ! Ils en eurent plusieurs fois l’occasion, lors d’un départ, sur lequel je finis par revenir devant leur insistance, ou bien lorsque ma chronique s’arrêta sans crier gare du fait de maladie. Et, à de nombreuses reprises, je fus apostrophé par des inconnus qui me dirent chaleureusement « alors, c’est vous François Leclerc !». L’un m’avoua même avoir pensé que Paul Jorion se cachait derrière un pseudonyme…
Le blog fut un tremplin lorsqu’il me conduisit à participer à une nouvelle formule de La Tribune, qui hélas ne répondit pas à ses attentes en raison d’une relation fétichiste avec le papier entretenue par sa rédaction. L’Humanité-Dimanche m’a aussi ouvert ses colonnes, et cette collaboration se poursuit, sorte de retour aux sources, mon père ayant été critique dramatique de « l’Huma » pendant plus de vingt ans. Aujourd’hui, je collabore également à Slate, où je creuse mon trou dans un environnement assez différent. Impossible, au chapitre de l’élargissement de mes activités, de ne pas saluer mon éphémère éditeur, Christophe Hordé, qui a publié trois recueils de mes chroniques, dont un sur Fukushima.
Cette dernière catastrophe m’a donné l’opportunité de m’éclipser une première fois du monde de la finance, en raison d’un cousinage flagrant : par son culte du secret, les dangers qu’elle recèle et la fuite en avant dont elle procède, l’industrie électronucléaire m’est apparue avoir un étroit lien de parenté avec l’industrie financière. J’ai alors suivi à chaud les évènements de la centrale d’aussi près que j’ai pu, via la presse japonaise qui pour la circonstance rendait accessible ses éditions en langue anglaise, ayant le sentiment que suivre pas à pas ces événements dramatiques se passait de tout commentaire. Et je n’ai pas hésité une seconde fois à changer de sujet, lorsque le drame des réfugiés venant chercher asile en Europe pour y trouver porte close a éclaté. Mes capacités d’indignation, que je croyais à tort émoussées, se sont révélées intactes.
Les politiciens et les autorités que j’ai fréquentés assidument à certains moments de ma carrière n’ont pas été épargnés. J’aurai du mal à le cacher, le voudrais-je, j’ai en général peu de considération pour eux. Ceux qui on lu le compte-rendu par Yanis Varoufakis des réunions de l’Eurogroupe auxquelles il a participé me l’accorderont aisément.
Neuf ans ! qu’est-ce qui m’a poussé à tenir sur une telle distance ? Ayant à force perdu mes illusions mais gardé mes certitudes, selon le mot de Jorge Semprun, j’ai toujours eu le sentiment que le pire n’est pas toujours sûr et que je ne pouvais me désintéresser de la suite des évènements. Ne me résolvant pas à éteindre la lumière en partant !
Selon le compteur du blog, j’ai ait été invité à 2.710 reprises à publier un billet par Paul – l’invitation était à vrai dire devenue permanente – et ne reviens pas de cette constance comme du volume de ma production. Parlant de constance, celle des généreux donateurs qui ont répondu aux appels mensuels a été exemplaire. Comment les remercier ? Vient le moment de remercier Paul, avec lequel ce long compagnonnage s’est instauré. Au tout début, il m’avait proposé de m’aider à voler de mes propres ailes, et j’avais décliné. J’ai mis longtemps à me lancer, appréciant sa compagnie…
Au fil de mes papiers, j’ai sans aucun doute témoigné de quelques idées fixes, répétitives par essence. En tout premier lieu, celle de l’endettement des Etats. Je reste en effet convaincu que toute issue positive à l’instabilité financière chronique que nous connaissons passera par une restructuration ordonnée de la dette publique, faute de quoi elle se produira par elle-même dans un grand bouleversement. Pour ne pas reproduire les mêmes errements, il n’y aura par la suite pas d’autre solution que d’interdire les paris sur les fluctuations des prix – comme ne cesse de le demander Paul – afin de remettre l’activité financière à sa place: le financement de l’économie. Enfin, la croissance qui est tant idolâtrée est à l’origine de l’accroissement des inégalités dans la distribution de la richesse, une situation sans avenir qui procède également de la fuite en avant.
Pour tout dire, je n’ai pas vu le temps passer. Mais j’ai dû enregistrer que, sauf à l’occasion d’évènements marquants, généralement boursiers, la fréquentation du blog exprimée en visiteurs uniques s’est progressivement effritée. La crise s’était banalisée pour déboucher sur une crise politique multiforme et la finance a fait payer le prix de sa logique parasitaire.
Je ne vais pas épiloguer sur l’inquiétude qui s’est répandue, ni sur le climat anxiogène qui s’est progressivement installé. En fait de promesses, le capitalisme entre dans une nouvelle phase de son histoire qui ne les rend pas engageantes. Si rien ne s’y oppose résolument, une société de contrôle et de surveillance pourrait prendre le pas, ne présageant rien de bon.
Incorrigible, je me suis réfugié derrière une formule : les utopistes d’hier sont les réalistes d’aujourd’hui. Me disant qu’ils vont avoir besoin d’être tenaces, car si les éléments naissants d’un nouveau paradigme de société sont déjà perceptibles, le chemin permettant de sortir des cadres promet d’être long. Comme pour toute révolution !
1er mars, lancement de Décodages
Ma chronique entamera une nouvelle vie dès demain. Vous la trouverez tous les jours à l’adresse décodages
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