Embrouilles présidentielles aux États-Unis : le point de la question

Le 9 juin 2016 se réunissaient dans l’immeuble appelé Trump Tower à New York, quelques personnes, dont Paul Manafort, directeur de la campagne présidentielle de Donald Trump, Jared Kushner, le gendre du Président et son Conseiller en chef, et Donald Trump Jr., son fils aîné.

La raison de la rencontre entre eux et leurs interlocuteurs, parmi lesquels plusieurs Russes : des informations seraient transmises, susceptibles de salir la rivale de Trump dans l’élection présidentielle : Hillary Clinton.

La chose est maintenant connue, ainsi que ses détails, essentiellement par les corrections en série (3) qu’apporta Kushner au formulaire qui devrait lui permettre – enfin – d’avoir officiellement accès aux documents couverts par le secret défense, qu’il ne consulte jusqu’ici qu’à titre officieux uniquement.

La version qu’en offre le Président est qu’il ne s’est rien passé durant cette réunion. Comme je l’ai rapporté à l’époque où les faits ont été connus, il aurait été question uniquement d’orphelins russes adoptés par des familles américaines, pratique alors interrompue à la suite d’un différend entre les deux pays. Cette version est connue car il s’agit du compte rendu de la réunion telle qu’établie par Donald Jr. mais dont on sait aujourd’hui que c’est son père qui l’a rédigée un jour dans Air Force One, l’avion présidentiel. C’est Donald Jr. qui a vendu la mèche, confronté à un FBI lui posant des questions pressantes à ce sujet.

Selon Trump Jr. il se serait si peu passé durant cette réunion que Manafort aurait préféré tripoter son smartphone en permanence. Il s’avère qu’il prenait en réalité de nombreuses notes, lesquelles sont désormais connues. Elles seraient « cryptiques », même si l’une d’elles contient l’acronyme du comité de campagne Républicain, accompagné d’un mot qui – affirme un témoin digne de foi – n’est pas « donation » même s’il est apparenté.

Or Manafort est inculpé depuis le 30 octobre de l’année dernière pour fraude fiscale, fraude bancaire, trafic d’influence, non-enregistrement d’un représentant d’une puissance étrangère, blanchiment d’argent, etc. le tout équivalant pour lui, si reconnu coupable, à la prison à vie.

Son adjoint dans leur cabinet de lobbying ainsi que dans la campagne présidentielle de Trump, Rick Gates, est lui aussi inculpé pour de nombreux faits : à deux ils se partagent en effet 58 charges criminelles. Événement neuf de la journée de vendredi, Gates a accepté de se mettre à table en vue d’obtenir une réduction de peine du fait de sa coopération, mais faisant ainsi indirectement pression sur son patron dont il pourra aisément compléter les blancs.

Dans la grande tradition juridique américaine, des inculpations de ce type ne portent pas essentiellement sur les chefs d’inculpation eux-mêmes mais à obtenir des accusés, par la bande, de nouvelles informations sur des faits qu’ignore encore la justice, touchant d’autres personnes, lesquelles sont les véritables cibles de l’enquête, en l’occurrence, les deux membres de la famille Trump qui participaient à la même réunion : Jared Kushner et Donald Trump Jr.

Autre hypothèse envisageable, qu’il ne s’est peut-être pas passé grand-chose effectivement lors de cette réunion puisqu’aussitôt mise sur pied, Trump avait appelé à un meeting dans les jours qui suivraient, où des révélations importantes, promettait-il, seraient faites sur Hillary Clinton : « une allocution cruciale, probablement lundi de la semaine prochaine, et nous allons discuter de toutes les choses qui se sont passées avec les Clinton ». Or la réunion promise n’eut jamais lieu. On aurait alors là la raison pour laquelle Trump continue d’affirmer qu’il n’y a pas eu collusion avec les Russes : rien ne se serait effectivement passé. Il n’ajoute pas qu’il en avait été profondément navré, mais il aurait raison : les faits sont les faits, et la collusion n’aurait pas eu lieu. Sa promesse d’une annonce, suivie de son annulation prouverait cependant que, sur cette collusion ratée de justesse, Trump en savait long.

Mais un autre épisode du drame se déroulant en ce moment même va lui en sens opposé car il suggère qu’il s’est au contraire passé durant la journée du 9 juin 2016, des choses dignes d’être relevées : il s’agit des atermoiements dans l’obtention de l’habilitation secret défense par Jared Kushner.

Car le gendre présidentiel n’en dispose toujours pas. Les autorités en charge évoquent des délais de routine, tandis que les spécialistes de ces questions soulignent de leur côté que les personnalités importantes – ce qui est bien le cas quand il s’agit d’un Conseiller en chef tel que Kushner – bénéficient en général d’une procédure accélérée. Le général John F. Kelly, chef de cabinet de Trump à la Maison blanche, a laissé entendre qu’il existait de fait une limite de trois mois à l’obtention d’une habilitation. Sur quoi, le 9 février, Rod Rosenstein, Ministre-adjoint de la justice, a fait savoir au conseiller de la Maison blanche Donald McGahn, en l’absence – peut-être providentielle – de Kelly, qu’il cherchait à joindre, qu’un obstacle sérieux à l’accréditation existait en effet.

Trump, en tant que Président, peut accorder l’habilitation secret défense à qui il le souhaite mais il a préféré faire savoir vendredi dernier, le 23, qu’il en déférait la décision à Kelly. Celui-ci a déclaré qu’il n’en ferait pas une maladie (« he would not be upset ») si Kushner et son épouse, Ivanka Trump, fille du Président, « devaient cesser d’appartenir au personnel rémunéré de la Maison blanche » (« left their positions as full-time employees »).

Ambiance ! Même s’il s’agit, comme on le sait, de l’atmosphère qui règne dans ce lieu aujourd’hui en permanence.

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