LE TEMPS QU’IL FAIT LE 16 FÉVRIER 2018 : LE BITCOIN POUR LES NULS – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 16 février 2018 : Le Bitcoin pour les nuls. Merci à Pascale Duclaud, Catherine Cappuyns et Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 16 février 2018 et aujourd’hui, je vais vous parler d’une seule chose : je vais vous parler du Bitcoin et des crypto-monnaies. Pourquoi est-ce que je vous en parle ? Eh bien, parce qu’on me demande souvent d’en parler dans des interviews, dans des conférences, même dans des cours. Je donnais un cours, il y a deux ou trois jours, sur le Bitcoin et les crypto- monnaies. Pourquoi est-ce qu’on me le demande, à moi, en particulier ? Eh bien parce que je suis, sans doute, un spécialiste de l’argent et de la monnaie. J’ai publié – avec l’aide d’ailleurs des lecteurs de mon blog et des commentateurs de mon blog – en 2009, j’ai publié un livre qui s’appelle « L’argent, mode d’emploi » et qui a paru l’année passée en livre de poche. Donc, il est facile à trouver. Publié chez Fayard : « L’argent, mode d’emploi » où j’explique parfois d’ailleurs sur de petits exemples, avec des chiffres, comment ça fonctionne l’argent. Parce que moi, j’ai travaillé dans la salle des machines, j’ai travaillé dans la soute des endroits où on produit de l’argent ou, en tout cas, on en fait circuler : dans de très grands organismes de crédit, aux États-Unis en particulier. Et j’ai vu comment ça se passe et je sais qu’il y a un certain nombre de mythes qui circulent sur la manière dont l’argent fonctionne, qui circulent et dont je sais, de l’intérieur, que ce n’est pas comme ça. Donc, ce n’était pas une mauvaise idée de mettre ça dans un petit bouquin.

Alors, maintenant, on parle beaucoup du Bitcoin. On n’en parlait pas beaucoup en 2009 pour la bonne raison que ça a été créé en janvier 2009 et donc, au moment où j’ai écrit mon bouquin – parce qu’en fait il a été écrit en 2008 et il est paru en 2009 – il n’en était pas encore question. Puis, c’est apparu à ce moment- là, ce qu’on appelle une « crypto-monnaie » qu’on ne devrait pas appeler du tout une « monnaie », comme on va le voir. Mais, en tout cas, c’est une appellation qu’on entend beaucoup : « cryptocurrency ». « Currency », c’est le mot anglais qui correspond à ce que nous appelons « devise ». Parce que vous le savez, en anglais et en français, le mot « monnaie » et « money » ne correspondent pas du tout à la même chose. Par exemple, ce que nous appelons l’argent, eh bien, c’est « money » en anglais et en français on distingue ça bien entendu de la monnaie.

Alors, qu’est-ce que c’est que ces Bitcoin, Zcash, Monero, Ethereum ? On va un petit peu en parler. Pour commencer, il faut dire ce que c’est qu’une monnaie dans l’acception courante. Je ne vais pas vous faire un historique sur la monnaie, le fait qu’à certaines époques, c’était essentiellement des métaux précieux qui circulaient. Puis, il y a eu une époque où on a fait circuler surtout des billets de banque mais on pouvait échanger ces billets de banque contre des métaux précieux à la banque centrale. Maintenant, c’est un peu une relique plutôt du passé. Il n’y a plus vraiment de pays qui fonctionnent selon un étalon-or ou argent. Mais, il existe des monnaies qui sont des monnaies qu’on appelle « fiduciaires » parce qu’il faut faire confiance au fait qu’un billet de 50€ vaut 50€.

Un billet de 50€, vous ne pouvez pas le fondre, vous ne pouvez pas en faire des bijoux, vous ne pouvez pas essayer de retransformer le métal en un autre type de pièces, comme ça se faisait autrefois. Quand le tyran de Syracuse était renversé, eh bien, les gens prenaient les pièces, on allait les fondre et on avait toujours de l’or. Et donc, on n’avait rien perdu. On n’avait rien perdu : il n’y avait plus la tête du Tyran de Syracuse sur la pièce, mais sinon, rien n’était perdu.

Alors, c’est très différent aujourd’hui, si vous avez un billet de banque et que tout à coup, le gouvernement décide que cette monnaie n’est plus valable, eh bien, vous êtes cuit ! En général, il y a une conversion, : vous pouvez aller échanger vos anciens billets contre des nouveaux. On a vu ça avec l’ancien franc et le nouveau franc en France. On a vu ça avec l’euro, par la suite. Mais il y a une procédure : simplement, on échange les billets contre des autres. On ne peut pas s’enfuir avec ces billets et essayer de faire quelque chose, ailleurs.

Vous savez, il y a des pays, comme l’Inde, où on transforme facilement des pièces d’or ou d’argent en bijouterie. Et puis, après, s’il y a un revers de fortune dans la famille, eh bien, on refond les bijoux et on a de nouveau des pièces et ainsi de suite, on peut continuer à l’infini. Il y a une transition possible entre le métal précieux et des usages qu’on peut en faire, qui sont autres que d’utiliser ça comme monnaie.

Alors, quand une monnaie est émise, il y a un certain nombre de choses à assurer. D’abord, il faut faire en sorte que la monnaie soit valide. Que ce ne soient pas de faux billets. Ou que ce ne soit pas des pièces d’or qui sont en réalité des pièces en laiton, en cuivre. Il faut que quelqu’un s’assure que la monnaie est de « bon aloi ». Voilà ! Et ça, c’est un système : c’est le système judiciaire qui existe par ailleurs. Qui fait qu’il y a des lois qui disent qu’on peut arrêter les faux-monnayeurs. Il y a des tribunaux devant lesquels ils peuvent passer et puis, il y a éventuellement des prisons où on peut les mettre et ainsi de suite. Il faut tout un système pour empêcher que de la monnaie de mauvais aloi circule.

Par ailleurs, il y a une banque centrale qui s’arrange pour – c’est défini, en général de la manière suivante : la stabilité de la monnaie – qui assure la stabilité de la monnaie. Qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien, si le prix, si la valeur d’un billet de 20€ – en termes de ce qu’on peut acheter avec lui – changeait tous les jours, par exemple : qu’il en faudrait un pour acheter du pain un jour et puis, que le lendemain, vous pouvez acheter 100 miches de pains avec cela et que le jour suivant, de nouveau, il vous faut 40 € pour acheter un pain, c’est très difficile de gérer un pays de cette manière-là. Les gens demanderont qu’on modifie leur salaire en permanence pour l’ajuster au coût de la vie. Et ils auront raison ! C’est très difficile à gérer, un pays où il n’y a pas une stabilité des prix ou une stabilité relative. On vous parle d’inflation. L’inflation, c’est quand la monnaie perd, petit à petit, de sa valeur. Le fait que vous pouvez acheter un croissant pour 0,80€ et puis, cela devient 1€ et puis ça devient 1,10€, ça c’est une érosion lente des prix. De la monnaie, en fait, parce que les prix augmentent pour la même chose, et ça, c’est ce qu’on appelle l’inflation. En général, quand c’est minime, les banques centrales se contentent d’observer ce qui se passe ou elles essayent de gérer ça avec des taux d’intérêts, des machins comme ça.

Alors, qu’est-ce qu’il faut donc pour qu’une monnaie fonctionne, une monnaie de type classique, ce qu’on appelle vraiment une monnaie ? Il faut un système autour. Je ne dis pas que ça doit être nécessairement un système étatique, mais il faut quelque chose qui puisse dire aux faux-monnayeurs : « Arrêtez de le faire ! » – éventuellement, les mettre hors d’état de nuire – et un système qui gère les prix. Voilà !

Alors, comment est-ce qu’on gère les prix ? Une banque centrale le fait de la manière suivante : elle injecte plus ou moins d’argent à l’intérieur du système. Alors, comment est-ce qu’elle fait ça ? Je ne vais pas entrer dans le détail parce que ça, c’est un sujet en soi, mais je vous le dis simplement : c’est en achetant des obligations, des emprunts, des prêts qui circulent. En les achetant et en les revendant. En les achetant, bien entendu, la banque centrale injecte de l’argent dans le système, de l’argent à proprement parler. Pourquoi ? Parce qu’elle paie le prix pour les obligations. Elle a du coup, les obligations dans son portefeuille…. mais elle a injecté de l’argent puisqu’elle les a achetées. Et, à l’inverse, quand elle veut retirer de l’argent du système – par exemple parce qu’il y a une récession – eh bien, elle revend ses obligations sur le marché et on va lui donner de l’argent. On va lui donner de l’argent pour ses obligations – qui sont donc des reconnaissances de dette – mais, l’argent qu’elle va recevoir, elle va le garder à l’intérieur, il ne sera pas en circulation. Voilà : pour avoir une monnaie, il faut respecter, à peu près, ce système : il faut gérer la quantité qui circule et il faut un système, derrière, pour s’en prendre à ceux qui essaient de tricher avec le système.

Alors, petit aparté rapide – mais c’est simplement pour donner quelques définitions – parce que vous allez le voir, c’est là qu’on va entrer dans le vif du sujet. Un certain Monsieur Aristote dont vous avez sûrement entendu parler, c’est un philosophe grec du IIIè – IVè siècle avant J.-C. Il a donné une définition de la monnaie qui est la définition qui court toujours. C’est-à-dire qu’on est tout à fait d’accord avec ce qu’il avait dit à l’époque et c’est ce qu’on vous répète dans les livres d’économie, même si dans les livres d’économie, on ne sait pas que c’est Aristote qui a dit ça le premier, ça n’a pas d’importance. Il nous a dit la chose suivante : Qu’est-ce que c’est une monnaie ? 1, 2 et 3. Premièrement, c’est un moyen d’échange. On peut utiliser ça pour échanger des choses. On peut échanger des billets de banque, si c’est de la monnaie, contre des choses et inversement. Alors, deuxième chose, c’est une réserve de valeur. C’est une réserve de valeur ou de richesse, disons plutôt – parce que le mot « valeur » est un mot extrêmement ambigu que j’essaye de ne pas utiliser – c’est une réserve de richesses. Si vous avez des pièces d’or ou si vous avez des billets de banque, vous n’êtes pas obligé(e) de les utiliser tous les jours. Vous pouvez les garder pendant un certain temps, vous pouvez les thésauriser – ce qui n’est pas très bon du point de vue de la banque centrale parce qu’elle ne sait pas exactement si ça va sortir demain et à quoi ça sert, etc. Enfin, bon ! On peut le faire. Vous pouvez garder de l’argent sur un compte en banque. Vous pouvez garder des pièces d’or dans un coffre à la banque ou dans un coffre à la maison, des billets sous votre lit, etc. Vous n’êtes pas obligé(e) de l’utiliser en permanence.

Il y a une idée, c’est celle de la « monnaie fondante » par un certain Silvio Gesell, au début du 20è siècle. Lui, au contraire, il voulait surtout que l’argent circule en permanence et il avait inventé la monnaie fondante. Donc, elle perdait de la valeur si on ne l’utilisait pas. Donc il fallait qu’on l’utilise. Enfin, ça c’est quelque chose que je dis entre parenthèses parce que finalement ce n’est pas très très important : ça n’a jamais été le cas, il y a des manières plus ou moins de faire « comme si », voilà. Par exemple quand on vous offre des intérêts négatifs, c’est un tout petit peu comme si… quand on vous fait payer des intérêts négatifs à la banque, c’est un petit peu comme si on vous pénalisait pour avoir de l’argent sans l’utiliser.

Alors, deuxième chose : réserve de valeur, et troisième chose : unité de compte. On peut comptabiliser sa richesse ou les dettes qu’on a en additionnant les chiffres de la monnaie. Je peux savoir en regardant le relevé qu’on m’envoie par la poste ou bien que je vois sur mon ordinateur, je peux regarder combien d’argent j’ai et combien je dois éventuellement. Tous les comptes sont là et tout ça est fait en euros et je comprends comment ça marche : quand il y a un plus, ça veut dire que c’est de l’argent à moi et quand il y a un moins, ça veut dire que c’est de l’argent que je dois à quelqu’un, en particulier à la banque et qu’il faudrait que je rembourse un jour. Voilà !

Alors, une monnaie, c’est quoi donc ? Je vais faire dans l’ordre que j’avais dit d’abord : un moyen d’échange, une réserve de valeur et une unité de compte.

Prenons maintenant le Bitcoin. Le Bitcoin, il a été émis par des particuliers. Pas par un État, pas par un organisme et en tout cas, pas par un organisme qui a la capacité de gérer la quantité de monnaie qui est émise, comme le fait une banque centrale, et il n’a pas de système judiciaire qui permettrait que – si l’on triche avec le système – on se retrouve devant les tribunaux, puis en prison et ainsi de suite pour avoir volé de l’argent comme ça.

Alors, pourquoi est-ce que le système n’a pas ça au départ ? Eh bien, parce qu’il dit qu’il n’en a pas besoin. Il n’en a pas besoin. Alors la question de la gestion de la quantité d’argent en circulation, c’est, en mettant une limite – je ne sais plus ce que c’est – 25 millions, c’est un chiffre de ce type-là – 25 millions de Bitcoins [P. J. : en réalité 21 millions] qui seront émis au total et donc, petit à petit, par une méthode qu’on appelle l’extraction, « mining », « Bitcoin mining », en français : l’extraction du Bitcoin. On a inventé un système qui est une analogie, une analogie avec la recherche d’or, comme de l’extraction quand on essaie de trouver un métal précieux. Enfin, l’or c’est un peu différent, ce n’est pas vraiment de l’extraction, comme vous le savez, on essaie de trouver des paillettes essentiellement : c’est rare qu’on trouve vraiment des pépites. Enfin bon, l’idée c’est que des gens qui participent au fonctionnement du Bitcoin, gagnent petit à petit des Bitcoins comme un chercheur d’or trouve petit à petit de l’or. Mais, comme dans l’idée de la planète Terre, où il doit bien y avoir une quantité finie d’or : il n’y a pas de nouvel or qui soit produit tous les jours – sauf par des alchimistes ! (non, non, c’est une petite blague : il n’y a pas de nouvel or qui soit produit). Donc, un jour, on aura épuisé la quantité d’or qu’il y a sur la planète.

Donc, les inventeurs du Bitcoin – j’oublie toujours son nom, c’est un nom japonais, Monsieur Satoshi Nakamoto, ou quelque chose comme ça, vous pouvez le trouver facilement. On ne sait pas s’il existe vraiment, mais on croit que, on sait à peu près qu’il y a un Monsieur, un citoyen américain qui est probablement l’inventeur du Bitcoin. Enfin, vous verrez, ça c’est de la lecture… des lectures un peu mystérieuses sur l’identité de l’inventeur.

Donc, quantité limitée : un processus – par analogie avec la recherche d’or – on a un processus de création de monnaie. Par ailleurs, on n’a pas besoin d’un système légal, ni de police, ni de prison, ni quoi que ce soit parce que la technologie qui sous-tend les crypto-monnaies est une technologie appelée la « blockchain » qui en principe est inviolable et qui fait qu’on n’a pas besoin de police et on n’a pas besoin de juges, pas besoin de gardiens de prison, etc. Il s’avère que depuis 2009, vous savez que ce n’est pas vrai. il y a de l’argent qui a été volé dans un centre justement d’échange de Bitcoins et qui s’appelle Mount Gox au Japon. Il y a de l’argent encore qui a été perdu, plusieurs centaines de millions d’équivalent en dollars de Bitcoins récemment par un autre centre d’échange. Il y a des hackers qui entrent dans le système, qui y volent des choses. Il y a aussi des analystes qui analysent tous les mouvements de ces crypto-monnaies et qui dénoncent en particulier les activités de type criminel en les dénonçant à la police. Pourquoi est-ce qu’ils font ça ? Eh bien, pour mettre en évidence qu’ils sont vraiment eux de très très bons connaisseurs de la cryptographie et des monnaies de type « blockchain », pour se faire de la publicité personnelle.

Alors, le système n’a pas de gestion véritable de la quantité qui circule. Si, il y a cette idée qu’il y aura une limite un jour, parce qu’on n’en émettra plus ou pas plus que ceci ou cela. Mais il n’y a pas une autorité qui retire du Bitcoin de la circulation ou qui en remet pour assurer la stabilité des prix et la stabilité du taux de change de la monnaie par rapport à d’autres. Alors, vous le savez, du coup, ça ne marche pas du tout. La valeur du Bitcoin, elle n’arrête pas de monter et de redescendre d’une manière très brutale. Il y a eu une espèce de bulle à la fin de l’année dernière et depuis ça retombe, c’est retombé un petit peu. Ce n’est pas retombé tout en bas mais enfin, ça retombe. Et il y a de grands à-coups de jour en jour.

Donc il n’y a pas de banque centrale qui gère ça et donc du coup, ça dépend de l’offre et de la demande et surtout des activités des spéculateurs qui essaient de faire monter le prix ou de faire baisser le prix. Et quand je dis le prix, c’est évidemment en termes d’échange par rapport à une autre monnaie comme, par exemple, le dollar. Il n’y a pas non plus de police, ni de tribunaux, ni de prisons et ceux qui s’estiment lésés, ils doivent se tourner vers des autorités nationales en disant : « On m’a volé ! » etc. Mais, comme le Bitcoin a été fait en particulier pour qu’on se passe des États, c’est un peu paradoxal qu’on doive essayer de le faire. Et, bien entendu, les États ne reconnaissent pas… enfin si, je crois que le Japon a accordé un certain statut au Bitcoin. Aux États-Unis, il y a deux bourses de « futures », marchés à terme, qui ont des contrats en Bitcoins mais ça ne veut pas dire qu’ils y touchent. Ça veut dire simplement qu’on peut acheter des titres dont le sous-jacent comme on dit – ce ne sont pas des titres en fait, ce sont des produits dérivés, un titre c’est un instrument de dette, ce n’est justement pas ça – des produits dérivés dont le sous-jacent c’est la valeur du Bitcoin par rapport à d’autres monnaies. Mais c’est une façon aussi de ne pas y toucher. C’est un sous-jacent, c’est quelque chose qui en fait n’a pas une connexion directe. On prend ça comme un index, comme un indice si vous voulez, et on fait des calculs à partir de là.

Alors, qu’est-ce que je viens de dire par rapport à moyen d’échange ? Moyen d’échange, oui, il y a des endroits où on peut acheter des choses en Bitcoins. Le fait que le prix des choses en Bitcoins change tous les jours ou même toutes les minutes, évidemment, ça ne facilite pas les transactions puisque ce serait – comme dans l’exemple que je vous ai dit – que vous pourriez acheter un pain demain pour quarante euros, après-demain pour cinquante centimes et puis le jour suivant, c’est pour vingt euros ou pour vingt-cinq. Ça ne facilite pas, bien entendu, les choses. Et du point de vue du commerçant, c’est un casse-tête, il ne sait jamais ce qu’il va gagner exactement puisque les sommes qu’il aura reçues un jour, seront réévaluées le lendemain, soit à la hausse, soit à la baisse. Donc, c’est un moyen d’échange mais pas un moyen très pratique.

Réserve de valeur ? On peut dire, oui, si comme Madame Nabilla dans les publicités vous dit : « Ça va augmenter de 500% dans les jours qui viennent », alors oui, c’est vraiment une réserve de valeur. Si évidemment le jour où vous avez acheté – selon les bons conseils de Madame Nabilla – en fait le lendemain, ça a perdu la moitié de la valeur de ce que vous avez mis dedans, vous ne serez peut-être pas content après elle et vous lui direz peut-être : « Allô, allô … » (fait le geste importé des États-Unis qui a assuré la célébrité de la jeune femme en France). Enfin bon, je plaisante. Mais donc, réserve de valeur ? Oui, mais qu’on ne peut pas évaluer véritablement à l’avance.

Alors, unité de compte ? Oui, on peut compter combien de Bitcoins on a, mais il faut retraduire tous les jours ou toutes les dix minutes ce que ça vaut exactement dans une autre monnaie. Donc ça ne présente pas vraiment les caractères d’une monnaie. Est-ce qu’il faut continuer à appeler ça une monnaie ? On a cessé pratiquement de le faire aux États-Unis, enfin en tous cas dans les publications de type financier : si vous regardez ça, vous verrez que l’on appelle ça « token » uniquement. On n’appelle plus ça un « cryptocurrency », on appelle ça « token ».

Qu’est-ce que ça veut dire « token » en français ? Un « token » : c’est un jeton. C’est un jeton, c’est comme une fiche quand on jouait aux cartes à l’époque où il y avait encore des fiches. C’est un jeton. Alors qu’est-ce que ça veut dire en disant « c’est un jeton et non pas une monnaie » ? Eh bien ça veut dire que c’est quelque chose mais ça a une valeur. Ça a une valeur : je veux dire que ça a un prix. Il faut l’acheter. Par exemple, vous allez au casino, vous achetez des jetons : eh bien il faut payer pour chaque jeton. Alors est-ce que ces jetons valent ce que vous avez payé ? Bon, si c’est un jeton, disons un jeton pour 500€ : est-ce que ça vaut 500€ ? Peut-être à l’intérieur du casino, oui ! Vous pouvez peut-être échanger ça contre 500€ avec quelqu’un d’autre puisqu’à l’intérieur du casino ça a cette valeur-là. Mais quand vous en sortez, il faut échanger vos jetons contre du vrai argent. Alors, l’image est bonne. C’est ça, le Bitcoin, les autres crypto-monnaies, c’est ça : ce sont des jetons. Ce sont des jetons et ça dépend pour échanger ça contre du vrai argent, ça dépend de la bonne volonté de quelqu’un qui est prêt à le faire parce que, lui, reste à l’intérieur du système.

Alors, je viens de dire « reste à l’intérieur du système » et c’est là-dessus que je vais terminer mais c’est ça le point important : pourquoi est-ce que ces monnaies sont apparues ? Pourquoi le Bitcoin, pourquoi le Zcash, pourquoi le Monero, pourquoi l’Ethereum et tous ceux qu’on crée encore tous les jours ? C’est essentiellement parce que c’est un système qui est anonyme, qui n’est pas, en principe, sous le regard de l’État. Encore que, comme je vous l’ai dit, il y a des mouchards : il y a des gens qui regardent ce qui se passe et qui expliquent à l’État ce qui est en train de se passer. En particulier que, voilà, que l’argent qui vient de passer là, c’est de la prostitution, celui qui vient de passer là, c’est de la drogue, etc.

Les gens qui se sont intéressés au Bitcoin, aux monnaies « cryptocurrencies », aux monnaies crypto… aux jetons, ce sont essentiellement – au départ – ce sont des militants politiques. Vous pouvez lire ça dans la déclaration justement de Mr Satoshi Nakamoto, c’est pour lutter contre l’État. C’est pour avoir un système qui fonctionne en-dehors du regard de l’État, qui ne soit pas taxé, avec un certain anonymat – je dis « certain », vous allez voir pourquoi – des gens qui échangent ces choses et pour que ça n’apparaisse pas sur le radar.

Alors, qui s’est intéressé à cela au départ ? Les militants libertariens dans leur lutte contre l’État. Si vous ne savez pas ce qu’est le libertarianisme, c’est une variété du libéralisme, de l’ultralibéralisme, violemment anti-étatique. Ça ressemble vaguement à de l’anarchisme, mais c’est de l’anarchisme d’extrême-droite, pas de gauche comme l’anarchisme l’est en général. Et ces gens ont donc un « agenda politique » comme on dit. Alors, il y a aussi des passionnés, bien entendu, de l’informatique, qui ont trouvé ça (la blockchain), que c’est un truc génial, ce qui effectivement est un truc génial. C’est compliqué mais c’est intéressant. C’est fondé sur l’idée de crypter les messages, donc de les chiffrer pour que l’information ne soit pas visible tout à fait en surface et… Mais aussi le grand public… Alors il y a… Bon, j’ajoute pour les gens qui ont été convaincus par Nabilla (vous et moi), qui considéraient que c’était une excellente chose puisqu’on va gagner du 500%, donc il faut absolument le faire.

Mais surtout, mais surtout bien entendu, qui est-ce qui a utilisé ça en premier et qui utilise toujours les crypto-monnaies ? Qui est le principal client ? Ce sont les pègres, ce sont les mafias, ce sont les gangsters. Il y a une très belle histoire : tout au début du Bitcoin, c’est Silk Road, une boutique en ligne qui se spécialise dans les drogues illicites, dans les contrats de type gangstérisme, le commerce illicite des armes, etc. etc. Le directeur de ça – j’ai oublié son nom mais vous trouverez ça facilement, [Ross William Ulbricht] – il est tombé parce qu’un agent de la police lui a proposé de lui payer en Bitcoin un contrat pour se débarrasser de l’un de ses rivaux. Il a accepté et depuis, il passe des jours heureux en prison. Ce n’est pas une prison attachée au Bitcoin ! (rires), c’est une prison attachée au fonctionnement du dollar comme vous l’avez compris parce que le dollar, il y a un grand système derrière. Et ce monsieur, malheureusement pour lui, se trouve en prison.

Les pègres continuent de s’intéresser à ces monnaies-là, et en particulier, elles se méfient maintenant du Bitcoin parce qu’il est trop facile, de l’extérieur, non pas de découvrir facilement l’identité des gens qui ont des portefeuilles en Bitcoin mais on peut obtenir ce que les informaticiens appellent les méta-données. Les méta-données, en fait, ce sont les données sur les opérations, des données extérieures. Par exemple : les numéros de téléphones que vous appelez. Bon, ça ne vous dit pas vraiment l’identité de la personne au bout du téléphone mais enfin on peut la retrouver à partir du numéro de téléphone. Alors avec les méta-données, on peut dire que telle ou telle personne achète à telle et telle autre avec telle régularité. Or ce monsieur habite à Macao où il y a surtout des casinos donc on peut savoir plus ou moins qui il est. Alors, ça c’est un inconvénient du Bitcoin.

La monnaie qui s’appelle Monero, elle fait mieux du point de vue de l’anonymat parce que, qu’est-ce qu’elle fait le Monero, eh bien elle met des identités fictives quand les opérations ont lieu. Donc c’est très difficile de savoir qui c’est exactement parce qu’on trompe, on trompe le système en modifiant les identités pour brouiller les pistes. Et le Zcash, il fait encore mieux parce qu’il crypte, il chiffre les adresses. Donc là… à ce moment-là : voilà ! c’est très difficile !

Donc les gens qui étaient sur le Bitcoin, ils sont un peu passés sur le Monero. Maintenant, ils ont trouvé que le Zcash, c’est encore mieux que le Monero, et donc il y a une espèce de course qui va comme ça, à l’infini.

Alors, en conclusion, qu’est-ce que c’est le Bitcoin ? qu’est-ce que c’est les crypto-monnaies ? Eh bien ce sont des jetons. Ça ne veut pas dire que ça n’a pas de valeur parce que, évidemment, à l’intérieur même du système où l’on accepte ces jetons, ils ont une valeur comme un jeton de casino a une valeur à l’intérieur d’un casino. Mais vous ne pouvez pas acheter des choses à l’épicerie du coin en sortant du casino avec vos jetons : il faut les échanger à la sortie contre du vrai argent. C’est la même chose avec ces jetons-là. Parler de crypto-monnaies, c’est un petit peu ne pas utiliser la bonne étiquette. Ce sont des systèmes de jetons qui marchent bien pour ceux qui veulent les utiliser. Et s’ils veulent que l’activité, comme à l’intérieur d’un casino, si on ne veut pas qu’on sache trop, à l’extérieur, ce qui se passe, eh bien ça peut se faire parce que c’est dans un espace fermé.

Alors, à ceux d’entre vous qui auraient regardé ça pour essayer de comprendre si c’est un bon outil d’investissement : Non ! Absolument pas ! Non, absolument pas ! Ça ne dépend pas de vous que ça ait de la valeur, les Bitcoins, ça ne dépend pas de vous, et ça dépend de certaines personnes. Alors ce n’est pas seulement le fait que le système ne soit pas aussi bien protégé qu’on aurait pu l’imaginer ; ce n’est pas seulement ça : mais c’est qu’il y a des gens quelque part qui peuvent arrêter le système demain et partir avec l’argent de la caisse. Comme à l’intérieur d’un casino, pour obtenir des jetons vous avez donné du vrai argent : on peut piquer la caisse du casino et partir avec ça. Avec ces monnaies-là, on peut faire exactement la même chose. Il ne faut surtout pas croire non plus qu’il y a des garanties ! J’entends dire ça : « Oui mais comme il n’y aura jamais que vingt-et-un millions de pièces de Bitcoin donc la valeur doit augmenter nécessairement ! » : non, non, bien entendu non ! C’est un truc spéculatif : ce jeton, il a juste la valeur – en termes d’échanger ça contre des euros et des dollars – des échanges qui ont lieu entre ceux qui sont prêts à payer beaucoup et ceux qui ne le sont pas. C’est un système purement spéculatif. Et vous n’avez absolument rien ! quand vous aviez une pièce d’or, vous pouviez la garder, vous pouviez en faire des bijoux pour les vendre quelque part à quelqu’un qui croit que c’est de l’or. Le Bitcoin, c’est rien, c’est de l’électricité qui passe sur un réseau. Ce sont des traces numériques à l’intérieur d’un système et ne me dites pas que c’est la même chose qu’avec une banque centrale ! Non, absolument pas ! La banque centrale, il y a comme je vous l’ai dit : il y a la police, des juges et des prisons derrière : du coup ce n’est pas du tout la même chose ! Vous ne pouvez pas aller au commissariat de police en disant « On m’a volé des Bitcoins ». Ils vous diront : « Eh bien écoutez… c’est un système de jetons ; on ne sait pas trop ce qu’on devrait faire à ce sujet-là ! ». Vous ne pouvez pas aller vous plaindre. Ce n’est pas du tout la même chose : il n’y a aucune protection. C’est un truc soit pour la pègre, soit pour les militants libertariens qui veulent faire tomber l’État, soit pour des fous d’informatique qui trouvent ça très drôle. Ce n’est pas un truc pour les investisseurs. Les investisseurs, ils sont considérés par les autres comme des gogos et on ne leur fera pas de cadeau à l’arrivée, c’est-à-dire qu’ils vont simplement perdre de l’argent.

Allez, j’ai un peu répété ce que j’avais dit dans l’article – c’était quoi ? dans PC World, en 2013. 

En 2013, on m’avait demandé : il y avait peu de gens qui comprenaient ce qui se passait et on m’avait demandé ça dans une revue d’informatique qui s’appelle PC World en 2013. L’article est toujours là ; je l’ai remis sur mon blog. J’ai redit un peu la même chose ; j’ai remis un peu ça aussi à l’ordre du jour avec des informations récentes et j’espère que vous avez trouvé l’information que vous cherchiez.

Allez, à la semaine prochaine !

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