En inculpant vendredi treize Russes pour avoir « promu la discorde aux États-Unis et sapé la confiance publique dans la démocratie », le procureur spécial Robert Mueller a mis en évidence une fois de plus sa froide détermination et le caractère méthodique de son enquête sur l’ingérence russe et les complicités dont elle a pu bénéficier du côté américain.
L’ancien directeur du FBI (2001-2013), n’a pas encore mis le Président échec et mat, ce que les partisans de celui-ci ont immédiatement souligné, mais il a placé un cavalier au milieu de l’échiquier, obligeant ceux-ci à se replier de la position offensive adoptée jusque-là, sur une position défensive, mettant en avant une phrase de l’acte d’accusation des treize Russes, que ceux-ci avaient été en contact avec des « individus associés à la Campagne Trump à leur insu (unwitting individuals) ».
La position offensive, que l’ingérence russe est un canard (fake news), et l’enquête à son sujet, une chasse aux sorcières, a en effet cessé d’être tenable : l’acte d’accusation se compose de 37 pages d’informations très détaillées sur les activités de l’Internet Research Agency, une officine de désinformation sise à Saint-Pétersbourg que dirige Evgeny Prigogine, par ailleurs cuisinier et directeur d’une firme de restauration, ayant passé neuf ans en prison pour vol, un proche du président Poutine, surnommé d’ailleurs « son chef » – le nom de ce dernier étant cependant absent du document. John Brennan, directeur de la CIA sous Obama et donc au moment de l’élection présidentielle de 2016, a twitté vendredi : « Les affirmations de « canular » sont en lambeaux ».
La presse américaine et internationale souligne depuis hier samedi l’absence de la réaction que l’on attendrait de la part du président d’un pays dont le ministère de la justice inculpe une équipe de citoyens malveillants d’une puissance étrangère, à savoir une sévère mise en garde à l’encontre de cette nation. Et la presse n’est pas seule à s’étonner : Dan Coats, directeur du Renseignement National, a déclaré à un groupe de sénateurs : « Il ne fait aucun doute que la Russie considère ses efforts passés comme ayant été couronnés de succès et voit les élections à mi-mandat de 2018 comme une cible potentielle pour des opérations d’influence d’origine russe » ; Christopher Wray, directeur du FBI, a ajouté de son côté que le Président n’avait transmis à son service aucune directive visant à contrer d’éventuelles ingérences lors des législatives qui s’annoncent.
L’absence de réaction de Donald Trump est bien entendu dans la ligne de son attitude jusqu’ici : il a toujours affirmé en effet qu’il faisait bien davantage confiance au président russe qu’à la police et aux services secrets de son propre pays. On se souvient de son fameux : « [Poutine] m’a dit qu’il ne s’en était pas mêlé. […] Chaque fois qu’il me voit, il dit, « Je n’ai pas fait ça », et je crois, je crois vraiment, que quand il me dit ça, il le pense vraiment », propos tenus le 11 novembre dernier, que l’on aurait tort d’attribuer seulement à de l’inconscience, car ils reflètent plutôt les habitudes des milieux d’affaire où l’on se fait confiance entre hauts dirigeants, à l’exclusion de qui que ce soit d’autre par ailleurs.
Quelle a été la réaction de Donald Trump ? « La campagne Trump n’a rien fait de mal – pas de collusion ! », a-t-il répété une fois encore. La presse américaine a tiré de ces propos que l’obsession du Président de ne pas voir son élection à la présidence entachée de doute prenait une fois de plus le pas sur ses devoirs présidentiels. Quelques commentateurs se sont montrés cependant moins bienveillants, ainsi Daniel Fried, un diplomate membre du Conseil atlantique, qui a laissé entendre que M. Trump avait quelque chose à cacher parce que ses véritables allégeances ne sont pas vis-à-vis du peuple américain : « Je n’ai aucune preuve qu’il se retient intentionnellement de retourner les coups parce qu’il ne peut pas faire autrement, mais je ne peux l’écarter. Aucun Président n’a obligé à soulever ce genre de questions ».
Comment expliquer alors l’attitude dérangeante du président américain ? L’analogie qui s’impose n’est pas celle de présidents passés aux comportements excentriques, elle est celle d’un malfrat en cavale qui nargue la police en laissant des messages disant « Toujours pas pris ! »
L’éditorial du journal du dimanche britannique The Observer rappelle cependant aujourd’hui que le personnage, plus téméraire que courageux, pourrait changer d’attitude du tout au tout s’il devait tomber : « Il est remarquable que devant la confrontation personnelle, Trump, plutôt que de s’abriter derrière Twitter et les secrétaires de presse, a l’art de louvoyer et d’accommoder sa version des faits. Peut-être même dirait-il cette fois la vérité », écrit l’éditorialiste.
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…