Billet invité.
Pour les voyages suivants qui vont nous amener à multiplier et varier les circuits jusqu’à connaître une très grande partie du pays, avouons que le cours des choses nous a donné un fameux coup de pouce : la Chine qui commence à s’ouvrir avec Deng revenu aux affaires s’avise que le tourisme international pourrait apporter de bienvenues devises et séduire d’éventuels investisseurs pour les joint-ventures qu’elle met sur pied. Sans compter qu’il serait bon pour son image d’offrir un visage avenant au monde entier ! Le temps de se doter des quelques équipements hôteliers sans lesquels la chose n’est pas envisageable, la Chine décide brutalement de tamponner des visas à tour de bras (ou presque). Le virage décisif est pris en 1979 où l’on voit apparaître les premiers voyages mixtes : c’est-à-dire qui restent « d’étude » par un contenu « social » (voir plus haut : les usines !) qui n’a pas disparu, mais « s’embourgeoisent » jusqu’à des visites de sites naturels et de temples ! Notons en passant que, pour que des visites de temples (presque tous à demi détruits ou voués à servir d’entrepôts pendant le Révolution Culturelle) puissent être au programme, cela suppose qu’on les a peu à peu rendus à leur destination première et qu’on a eu le temps de bricoler leur restauration ! C’est la ruée ! Touristes de tous les pays, unissez-vous ! L’appel d’air fait s’engouffrer des foules. En France, les voyages organisés de groupes (les seuls que la Chine accepte) marchent du feu de Dieu ! Et un besoin se fait tout à coup impérieusement sentir : ces groupes ont besoin d’être cornaqués et, en raison du compte-gouttes des années précédentes, les gens qui connaissent d’expérience les arcanes du voyage en Chine sont rares. L’Association des Amitiés Franco-chinoises reste incontestablement (et ce pendant 10 ans encore) la mieux « positionnée » dans ce contexte. Nous y avons noué des liens personnels forts et nous investissons dans ses activités culturelles à Paris et en province pas mal de notre temps. C’est donc assez naturellement (à l’époque, un seul voyage au compteur vous classe comme spécialiste !) qu’elle nous sollicitera pour accompagner, bénévolement mais voyage payé, des groupes inscrits sur les propositions de son catalogue qui iront en s’étoffant d’année en année. Presque chaque été, séparément, nous nous envolons donc pour la Chine (où nous nous croisons furtivement, parfois, lors d’une étape) avec la mission de la faire découvrir et mieux comprendre à des touristes de tous horizons. Non seulement l’expérience a été humainement enrichissante, mais elle nous a surtout obligés à ouvrir les yeux pour découvrir que la Chine n’avait pas les quelque 100 ans d’existence récente que nous lui avions étourdiment concédés à l’époque du premier voyage, en cela (hélas !) absolument identiques à tous les naïfs « happy few« , généralement maolâtres, des premiers embarquements qui, au mieux, faisaient démarrer le compteur de l’Histoire à Sun Yat sen, quand ce n’était pas carrément à l’avènement de la RPC ! La proximité extraordinairement stimulante, au sein de l’Association d’amitié, de « pointures » de la sinologie comme Léon Vandermeersch ou Pierre Gentelle acheva le processus en étant le coup d’aiguillon décisif qui nous propulsa vers une boulimie de livres dont, à ce jour, nous ne sommes toujours pas guéris ! La découverte à travers eux (et les sinologues et les livres), à l’orée des années 80, de l’ampleur, la richesse et l’étrangeté de la civilisation chinoise fut une révélation et un émerveillement qui alimenta au fil du temps une insatiable gourmandise pour toutes les formes de sinité, les livres et les voyages se répondant pour s’enrichir mutuellement.
Cette période de voyages réitérés dura une quinzaine d’années et nous mena à peu près jusqu’au milieu des années 90. Elle nous avait amené sur un plateau l’inestimable privilège de parcourir à peu près tout le territoire chinois, mais déjà, sur sa fin, lassés d’être séparés pendant l’été, nous avions opté pour une formule hybride : l’un de nous deux était guide-accompagnateur en titre et l’autre était… client lambda payant. Quant à « nos » voyageurs, ils n’y perdaient rien. Bien au contraire : ils avaient deux guides pour le prix d’un ! Pendant ces années-là, il n’était pas inutile d’aller en Chine tous les ans tant les chambardements exigeaient d’être suivis de près. D’autant que les projections (Ô combien de diaporamas, combien de Maisons de Jeunes et de la Culture…), les causeries et conférences, pour lesquelles on nous sollicitait, nous imposaient d’être à jour du moindre changement de cap d’un degré ! Les années 80 en particulier fourmillèrent de surprises et d’ébahissements pour nous : c’est l’époque où Deng Xiaoping expérimentait la fameuse » traversée à gué du cours d’eau en tâtant une pierre après l’autre » et se réaffirmait au sommet du pouvoir, bien décidé à jeter la Chine dans le grand bain du commerce international. Toutefois, prudemment, Deng lui évitait de boire la tasse en limitant dans un premier temps l’accès de la « main invisible » à une dizaine de « zones économiques spéciales » (les ZES) et en instaurant le système d’une double monnaie : le yuan/renminbi des autochtones et la monnaie « façon Monopoly » (le Foreign Exchange Currency, dit FEC) strictement réservée aux étrangers (les inévitables phénomènes de petite contrebande restèrent très limités). Une membrane relativement étanche cloisonnait encore les investissements occidentaux hors du champ de la vie quotidienne du peuple. Mais la Chine changeait beaucoup et vite.
Non, non, François, pas « peut-être »: certainement! « Comment fais-tu pour vivre? et qu’est-ce qui te délivre… de cette époque de fous!?…