Billet invité.
En fait de banales corrections et turbulences, le système financier a connu toute cette semaine passée une sérieuse secousse prolongée. En faisant preuve de prudence, les banques centrales avaient anticipé que leur « tapering » (la réduction de leurs programmes non-conventionnels) n’allait pas se dérouler sans mal, et elles sont servies.
La dégringolade enregistrée cette semaine sur les places boursières mondiales a suivi la publication d’un rapport sur l’emploi qui s’est immédiatement traduit dans la tête d’investisseurs sur le qui-vive par le retour de l’inflation impliquant la hausse plus rapide que prévue des taux par les banques centrales, afin de resserrer le crédit.
Un climat de panique s’est vite instauré, l’indice Vix mesurant la volatilité ayant bien mérité son surnom d’indice de la peur, ne se contentant pas d’en enregistrer la manifestation mais contribuant à la décupler. Le monde financier est friand de prophéties auto-réalisatrices. Une spéculation particulièrement déraisonnable sur des instruments financiers répliquant l’indice Vix aidant, il n’en fallait pas plus pour qu’un scénario catastrophe surgisse, ceux qui y avaient succombé se prenant un bouillon.
Dans un monde boursier où, selon JPMorgan Chase, seuls 10% des ordres sont donnés par des traders, au profit de systèmes informatiques, la suite était écrite d’avance. D’acheteuses, de nombreuses positions sont passées à vendeuses, le plus souvent automatiquement. Mais ce n’est pas tout. En vertu de leur réglementation interne, de nombreuses sociétés d’investissement et des gérants de portefeuilles sont forcés de diminuer leur exposition au marché boursier afin de réduire les risques. Les modèles des banques les autorisent à augmenter leurs paris en période de faible volatilité mais leur impose de les réduire lorsque celle-ci devient forte. Tout a joué.
De fait, la hausse des taux obligataires aura des conséquences plus ou moins prévisibles et perturbantes. Au sein du système financier, des appels de marge supplémentaires seront inévitables sur le marché des « repos » où se financent les banques, faisant accroître les tensions sur le marché du collatéral tant que les banques centrales conserveront dans leur livres les titres obligataires qu’elles détiennent. Et, en roulant leur dette, les gouvernements enregistreront un accroissement du coût de son service et devront procéder à de nouveau arbitrages. Les pires, ceux qui sont qualifiés de courageux.
Mais les banques centrales ne sont pas seules coupables de la fin des jours heureux de l’argent à taux zéro ou presque. Le marché va aussi avoir son mot dire, en raison des prévisions d’accroissement du déficit public, en premier de celui des Etats-Unis. L’accord relevant le plafond du déficit fédéral va l’augmenter d’environ 300 milliards de dollars sur deux ans. Le Pentagone va être le premier bénéficiaire de ces largesses, comme si les États-Unis prévoyaient ne plus avoir que leur écrasante puissance militaire pour assoir leur leadership mondial dans l’avenir.
Symboliquement, tant le sujet est sensible, l’administration Trump va prélever 2,5 milliards de dollars sur les réserves de la Fed destinées à éponger ses pertes, qui ne vont plus être que de 7,5 milliards de dollars. Elles avaient déjà été ponctionnées de 20 millions de dollars en 2015 afin de financer la rénovation des autoroutes. Mais la mesure est dérisoire, le déficit allant être creusé bien au-delà de cette somme par les réductions massives d’impôts de 1.500 milliards de dollars sur dix ans décidées dans le cadre de la réforme fiscale. Selon l’administration Trump, les pertes de recettes fiscales devraient être compensées par des rentrées équivalentes, voire supérieures, en raison du regain d’activité qu’elles devraient susciter. La chose est loin d’être évidente.
Pour poursuivre l’addition, le plan de développement des infrastructures de Donald Trump, d’un montant prévisionnel de 1.500 milliards de dollars, est toujours dans l’attente de son financement. Jusqu’à maintenant, la Maison Blanche s’est contentée d’évoquer un budget fédéral de 200 milliards de dollars en espérant réunir le solde parmi les investisseurs privés, les Etats fédérés et les collectivités locales. Verra-t-il le jour et quelle sera alors sa contribution au déficit annuel qui reprend tous ses aises sous Trump après avoir diminué sous Obama ?
Selon JP Morgan Chase, les nouveaux emprunts du Trésor vont passer de 550 milliards de dollars en 2017 à 1.420 milliards de dollars cette année, soit près de 1.000 milliards de plus. Ainsi que l’a relevé William Duddley, le président de la Fed de New York, « les investisseurs dans les bons du Trésor vont commencer à demander des taux d’intérêt plus forts pour compenser le risque d’investir dans cette dette » [P. J. : D’autres l’avaient déjà noté].
Dépassant les 20.000 milliards de dollars, la dette des États-Unis est à son plus haut niveau depuis l’après-guerre. Il est déjà prévu que son service double d’ici 10 ans, pesant toujours plus dans le budget fédéral. La fuite en avant va continuer, apportant sa contribution à une hausse mondiale des taux qui va peser sur tous les budgets gouvernementaux. Au moment où ceux-ci sont rétrécis en application des dogmes de l’ultra-libéralisme. Les services publics et les programmes sociaux n’ont qu’à bien se tenir.
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