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La concentration de la richesse aux États-Unis se poursuit
Dans l’ouvrage publié en janvier 2007 où j’expliquais qu’une crise emporterait le système financier, dont l’origine serait le secteur immobilier subprime aux États-Unis : « La crise du capitalisme américain », je mettais l’accent sur le rôle que jouerait dans le déclenchement de la crise, la concentration excessive de la richesse dans le pays. Je soulignais que de 1989 à 2001 (les chiffres alors les plus récents), la part de patrimoine possédée par le 1% le plus riche s’était accrue de 30,3% à 32,7%, tandis que la part possédée par la moitié la moins riche de la population s’était très légèrement accrue, passant de 2,5% à 2,8%. Progrès très modeste, la part de la moitié la plus riche ne baissant du coup que de 97,5% à 97,2%.
Comment les choses ont-elles évolué depuis ? Les chiffres viennent de tomber pour l’année dernière. En 2017, le 1% le plus riche des Américains dispose désormais de 35,5% de la richesse nationale, une augmentation de 2,8% par rapport à 2001 et de 5,2% par rapport à 1989. La moitié la moins riche de la population américaine a vu elle sa part tomber de 2,8% à 1,1%, baisse considérable puisque si on l’évalue en pourcentage, la moitié la moins riche a perdu près de 61% du peu qu’elle possédait seize ans auparavant.
Si l’on entre dans le détail, on découvre des chiffres encore plus navrants : les 40% des Américains les moins riches ne possèdent en effet en termes de patrimoine… rien. Ce chiffre a priori paradoxal se décompose pourtant très simplement : si l’on classe les Américains selon leur patrimoine, les 10% les plus pauvres sont endettés à hauteur de 0,7% du patrimoine national, montant qui annule la misérable richesse de 0,7% possédée par le reste des 40% les moins riches.
Dans un tel contexte, la fameuse théorie du « ruissellement » qui veut que la fortune des plus riches « ruisselle » par un mouvement naturel vers les plus pauvres n’est plus qu’un souvenir. Ce principe suppose que les riches investissent leur fortune dans l’économie, créant ainsi une demande pour les produits et services, mais en l’absence désormais d’un pouvoir d’achat suffisant dans la population (que peut acheter 40% de la population avec sa fortune nulle ?), les sommes accumulées par le 1% ne trouvent d’autre endroit où se placer que les fonds spéculatifs, sans impact positif sur l’économie mais sources considérables de risque d’effondrement systémique. Déjà en 2008, la moitié environ des sommes déboursées par les contribuables du monde entier pour boucher le trou qui s’était creusé, ne comblèrent pas des pertes économiques à proprement parler, mais des pertes purement spéculatives. Dans les années qui suivirent, les moins riches subirent les effets de la récession qui s’en était suivie, et aujourd’hui, ceux d’un marché du travail en berne où les emplois temporaires peu qualifiés ont remplacé ceux de meilleure qualité.
Dans son rapport publié le 22 janvier, l’ONG Oxfam communique un chiffre encore plus consternant : pour la planète entière en 2017, ce sont 82% de la richesse créée durant l’année qui ont été ponctionnés par le 1% le plus riche. Difficile à croire sans doute mais les disparités sont encore pires qu’aux États-Unis dans un certain nombre de pays. Dans l’ordre : Afrique du Sud, Hong-Kong, Chili, Brésil, Mexique et un certain nombre de pays pauvres africains.
Pourquoi ces chiffres et pourquoi l’aggravation aux États-Unis ? La réponse, on ne la trouve pas dans les livres d’économie ou de science politique, mais dans les grands classiques de cette nouvelle discipline que l’on appelle la « collapsologie » : dans « L’effondrement des sociétés complexes » (1988) de Joseph Tainter ou dans « Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie » (2005) de Jared Diamond. Les civilisations, nous disent ces historiens, n’ont pas disparu en raison de leur pauvreté, ni non plus parce que leur population n’aurait pas pris conscience des dangers qui menaçaient, elles se sont effondrées parce que leurs élites, aux manettes du pouvoir, étaient convaincues d’être à l’abri de ce qui pourrait arriver. Arnold J. Toynbee (1889 – 1975), illustre philosophe de l’histoire, le savait : « Les civilisations ne meurent pas assassinées, écrivait-il, elles se suicident »
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