Retranscription de Le temps qu’il fait le 19 janvier 2018. Merci à Marianne Oppitz !
Bonjour, nous sommes le vendredi 19 janvier 2018 et pour commencer, je vais vous lire un petit texte. Voilà :
« Si maintenant – et c’est là mon idée – s’il y avait au lieu d’une conscription militaire, une conscription de toute la population juvénile pour former, pendant un certain nombre d’années, une partie de l’armée enrôlée contre la Nature […] notre jeunesse dorée serait mobilisée, selon son choix, aux mines de charbon et de fer, aux trains de marchandises, aux flottes de pêche en décembre, au lavage de la vaisselle, du linge et des vitres, à la construction de routes et de tunnels, aux fonderies et aux bouches de chauffe, à l’armature des gratte-ciel, pour extraire d’elle l’enfance et qu’elle revienne dans la société avec des inclinations plus saines. Elle aurait payé sa taxe de sang, elle aurait fait sa part dans la guerre humaine, immémoriale, contre la Nature. »
Alors, voilà ! C’est dans un texte qui s’appelle « L’équivalent moral de la guerre » Çà ne date pas d’aujourd’hui, bien entendu, vu le ton, avec cette idée de « guerre contre la nature », c’est un texte de 1909 et c’est écrit par William James, le frère de l’écrivain Henry James, aussi très connu comme un des fondateurs de la psychologie moderne. Alors, c’est un Monsieur – bon, c’est un Monsieur, on appellerait ça de gauche, aujourd’hui – il faisait partie du mouvement qu’on appelle « pragmatiste », avec des gens comme John Dewey et aussi Charles Sanders Pierce. Ce sont des gens qui sont un peu dans la mouvance de ce mouvement qu’on avait vu, une ou deux générations précédemment, avec des gens comme Thoreau, avec des gens comme Emerson, des gens qui sont un peu dans le sillage de ce protestantisme un peu particulier qu’est le « quakerisme » aux États-Unis. C’est une gauche spécifique : enfin, une gauche spécifique aux États-Unis.
Alors, ce Monsieur James – il faut bien le dire – avec cette histoire de guerre, c’était un pacifiste. C’est un Monsieur qui écrit un article un peu cynique sur la guerre et qui nous explique que, selon lui, savoir faire la guerre et avoir envie de faire la guerre, c’est constitutif à la nature humaine et qu’on ne pourra pas faire grand-chose à ce sujet là. Alors, sinon, peut-être dériver ces forces, dériver cette – comment dire ? – ces choses qui bouillonnent dans le sang des jeunes, de les faire utiliser pour autre chose.
Et, son idée est une idée intéressante et, moi, j’ai découvert ce texte parce qu’il a été mentionné par James Livingston dans ce livre qui va paraître en français et qui s’appellera en français : Fuck work ! et dont j’ai fait la préface et qui sortira chez Flammarion au tout début du mois de mars, c’est-à-dire, très bientôt. James Livingston, dans son livre contre le travail, cite un tout petit passage de ce William James, de son article sur « L’équivalent moral de la guerre » pour le tourner un petit peu en dérision , mais il me l’a fait découvrir.
Alors, pourquoi est-ce que je vous ai lu ce texte ? C’est parce qu’il y a une idée intéressante, c’est que voilà : s’il n’y a plus de travail pour tout le monde, eh bien qu’est ce qu’on va faire ? Eh bien on va demander aux jeunes, entre 20 et 25 ans, de le faire et puis, une fois que ce sera fait et bien, ce sera terminé et un groupe suivant – une « cohorte » suivante, comme disent les démographes – de jeunes de 20 à 25 ans s’occuperont des choses qui restent encore à faire et les autres n’auront plus à travailler.
Mais alors, j’ai mis ça en rapport avec autre chose. C’est que vous savez peut-être que dans ce livre qui s’appelle – je l’ai publié en 2016 – qui s’appelait : Le dernier qui s’en va éteint la lumière, je vous donnait un chiffre que j’avais trouvé chez les écologistes, chez des gens qui réfléchissaient … – c’était plutôt des chimistes, en fait, – des gens qui réfléchissaient au cycle de l’azote et du phosphore, et qui nous expliquaient que les phosphates, que la quasi totalité des phosphates maintenant se trouvent au fond des mers, ce qui n’est pas l’endroit où ils devraient se trouver. Et qu’il y a des combinaisons d’azote qui se trouvent dans l’atmosphère et qui n’auraient pas dû se trouver là, simplement parce qu’on a utilisé – dans les deux cas – parce qu’on a utilisé d’une manière tout à fait inconsidérée des engrais au phosphore et des nitrates qui font que l’azote dans l’atmosphère ne se trouve pas dans la composition qui nous permettrait de rester là très longtemps et que le phosphore se trouve maintenant au fond des océans ce qui n’est pas l’endroit qui convient.
Et donc, j’avais cité ce chiffre de 2 à 3 générations pour une extinction de l’humanité. C’est donc 60 à 90 ans – selon la conception habituelle de la longueur d’une génération – ce qui nous met aux environs de l’année 2115. Et là, il y a un chiffre qui a été produit, c’est, si j’ai bon souvenir, le 7 janvier, dans un rapport à l’Académie des Sciences américaine en disant que nous disparaîtrons entre 2200 et 2400. Au 23è ou au 24è siècle. Et là, le calcul est fait simplement à partir de la température, c’est-à-dire que le choc thermique sera tel en 2200, que nous ne pourrons plus continuer de vivre : il fera trop chaud, nous ne pourrons pas éliminer suffisamment, nous les mammifères, nous les animaux « supérieurs » – entre guillemets – nous ne pourrons pas tenir plus longtemps et nous disparaîtrons. Nous serons tués par la chaleur. Pas par la sécheresse mais par la chaleur proprement dite – à proprement parler – c’est-à-dire que nous n’arriverons pas, par la sueur, ou par d’autres mécanismes, à éliminer la chaleur de manière suffisante. Nous serons rôtis ! Pas seulement nous mais tous les animaux du même genre que nous.
Alors, mon calcul – selon les chimistes – ça nous faisait 2110. Ce calcul là de 2200, c’est 90 ans de plus. Bon, 90 ans de plus, c’est considérable à la vitesse dont nous produisons de la technologie. Au cours des années récentes, je crois que ce qu’on a découvert surtout, c’est que l’effondrement n’est peut-être pas réversible. Il n’y a peut-être pas la possibilité d’inverser le mouvement, de renverser la vapeur et qu’il faut peut-être se réconcilier simplement avec l’idée que pour cette planète-ci – en tout cas pour nous – c’est réglé ! Alors, 90 ans de plus à la vitesse où nous faisons, maintenant, des progrès en technologie, c’est considérable ! C’est pas mal. C’est pas mal d’avoir gagné – dans nos calculs entre 2016 et 2018 – d’avoir gagné 90 ans, c’est pas mal du tout.
Mais alors, à quoi m’a fait penser ce passage de James ? Il m’a fait penser à la chose suivante : c’est si on ne peut pas empêcher la jeunesse – et pourquoi le lui reprocher ? – d’avoir envie de faire des choses. D’avoir envie de se …. bouger – j’allais employer une expression qui n’est pas très (rires) présentable – de faire des choses, qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Qu’est-ce qu’il faudrait qu’ils fassent ? Se bagarrer à la sortie des bars, tous les samedis soir, ce n’est peut-être pas suffisant. Aller se bagarrer dans des stades de football, ce n’est pas formidable non plus. Aller se rallier à des causes complètement dingo parce qu’on a envie de bouger, ce n’est peut-être pas une bonne idée. Et, moi qui vous parle, il m’est arrivé exactement la même chose à 25 ans. J’en avais marre d’être sur les bancs des écoles, et j’ai voulu faire quelque chose avec mon corps. J’ai dit ça – je faisais une psychanalyse à l’époque – j’ai dit à mon psychanalyste : « Je ne ne viens pas la semaine prochaine parce que j’ai envie de faire quelque chose avec mon corps ». Il m’a dit : « Qu’est-ce que vous allez faire ? » Je lui ai dit : « Je vais devenir pêcheur en mer » – pas pêcheur à la ligne (rires) et il ne m’a pas cru. Mais, je n’étais plus là : je ne suis pas revenu. J’ai fait ça pendant un certain temps et j’étais content. Voilà ! J’avais envie de faire des choses comme ça, j’avais été impressionné quand j’étais gosse par « Capitaines courageux » de Rudyard Kipling que je recommande à la jeunesse (rires), très bel ouvrage. Un film très bien aussi, dans les années 30, avec Spencer Tracy dans le rôle du marin qui apprend à vivre à ce petit jeune homme qui est tombé à la mer et qui donne des ordres. Et qui va apprendre que c’est la mer qui donne des ordres !
Et voilà ! Est-ce qu’on ne ferait pas ça ? Puisqu’il n’y a probablement pas de possibilité de sauver la donne ici, sauf à essayer des choses qui probablement produiront de plus grandes catastrophes encore que prévu, est-ce qu’il ne faut pas se mobiliser et en particulier demander aux jeunes – en plus ça va les amuser, ils auront le sentiment de faire quelque chose d’utile – de se mobiliser dans… si pas dans le sauvetage de notre planète, eh bien d’aller s’installer ailleurs, d’aller voir comment c’est ailleurs, et de se lancer à la conquête des étoiles.
C’est un peu inattendu, ce que je dis là – dans ma bouche – et à mes propres oreilles aussi, hein (rires), il faut bien le savoir ! Mais de lire ce Monsieur James, qui n’est pas du tout un belliciste, un pacifiste au contraire, et il commence bien par expliquer que son article c’est parce qu’il en a marre de voir les guerres autour de lui. Et, il écrit ça en 1909, donc il n’a encore rien vu. Heureusement pour lui, il meurt l’année suivante. Il meurt en 1910 donc il n’aura pas eu la tristesse de Durkheim, le fondateur de la sociologie, de voir tous ses étudiants disparaître au front, dans une boucherie incroyable. Donc, bonne réflexion de Monsieur James. Bonne réflexion de dire : « il vaudrait mieux mettre l’énergie des jeunes à la disposition de causes importantes ».
Alors, dans le climat des années 1910, c’est encore un combat « contre la Nature », avec une majuscule. Maintenant, le combat ce serait contre la nature humaine. Contre notre nature humaine qui fait de nous un animal colonisateur qui est incapable de protéger son propre environnement parce qu’il n’arrive pas à produire des systèmes politiques qui lui permettent de continuer à vivre dans son environnement.
Alors, canalisons ce que nous savons faire – nos énergies – et canalisons-les à nous trouver un autre habitat. Et, bon, au passage on peut essayer de réparer ce qu’on a fait ici, mais il est bien probable que pour ça, il est trop tard, qu’on ne pourra pas arrêter la montée de la chaleur et la montée de l’eau autour. Mais la montée de l’eau, finalement, ce ne sera pas ça le principal. Le principal c’est que, la température sera telle que nous n’arriverons plus à nous refroidir avec tous les moyens que nous avons. Nous avons un certain corps et ce corps supporte une certaine chaleur mais, il y a des limites à ça. Surtout quand l’environnement est humide autour et que nous n’arrivons pas à nous réfrigérer par des moyens naturels. Suer quand il fait humide autour, ça ne sert pas à grand chose : il faudrait que ça puisse s’évaporer. Enfin, ça, c’est une petite remarque sur la physiologie humaine.
William James, bonne réflexion ! Si on ne peut pas changer nos comportements, canalisons-les dans la bonne direction. C’est peut-être la façon réaliste de faire les choses.
Allez ! À la semaine prochaine. Au revoir !
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