Billet invité.
L’attitude à la mode en France, au retour de Chine de la délégation présidentielle, a été grise mine et fine bouche ! Les médias de gauche comme de droite ont affiché unanimement scepticisme et déception ! On faisait confiance jusque là au charme ravageur et à la longue poignée de main broyeuse de notre président pour mettre dans sa poche tous les chefs d’Etat de la planète. De Poutine à Versailles et de Trump à la Tribune du 14 juillet, il ne vous faisait qu’une bouchée !
En Chine, il a moins convaincu… Les contrats quémandés (« A votre bon cœur, Monsieur Xi… ») n’ont été signés qu’à la toute dernière minute. Sur une échelle cérémonielle à 10 points, la réception de Macron était de niveau 4. Certains rêvaient (debout !) de le voir revenir en Superman avec Mme Liu Xia, veuve de Liu Xiaobo, sous le bras pour l’avoir arrachée aux geôles chinoises. Et on attendait au moins de lui ce discours vigoureux sur les droits de l’Homme et la Démocratie dont le brouillon devait être facile à trouver dans les archives de l’Elysée tant ses trois prédécesseurs l’ont rôdé, chacun à son tour, de bon cœur. Et, patatras ! Loin de donner des coups de règle au mauvais élève, ne voilà-t-il pas qu’un malencontreux lapsus révèle que ce sujet plein d’épines lui fait peur et que sa position s’en trouve fortement fragilisée ! Là-dessus, accordons un bon point à Macron : il sait que les discours-remontrances à la façon de ses prédécesseurs, grandiloquence dont les trémolos ont cru (vraiment ?) faire vibrer les lustres du Palais de l’Assemblée du Peuple, ne servent strictement à rien. Les dirigeants chinois les connaissent par cœur (à force !) et le peuple chinois n’y aura pas accès (censurés !). Coup d’épée dans l’eau donc qui ne peut avoir d’autres buts qu’un petit plaisir personnel qu’on s’octroie (forcément puéril, du style : « Regarde, maman ! J’ai été cap…! ») et un très bon écho dans les médias français qui pourront moduler à plaisir toutes les variations sur le thème « France, pays des Droits de l’Homme », toujours bon pour l’ego collectif ! Macron y a renoncé et, en cela, il a fort bien fait.
Macron passe pour un président philosophe, soit ! Mais là, le simple bon sens de M. Toulemonde suffit à éclairer le situation : est-on en position de faire des remontrances et de brandir le bonnet d’âne quand on vient « en même temps » en demandeur et qu’on a à ses basques toute une meute affamée de chefs d’entreprises du genre glouton et surtout pas très regardants sur les droits sociaux (ce sont les mêmes que ceux qui ont naguère, dès que la porte de la Chine s’est entrouverte, délocalisé à tour de bras dans ses Zones Economiques Spéciales tout ce qui pouvait l’être pour jouir sans frein ni limite d’une main d’œuvre sous-payée et non syndiquée). Pour venir en Chine avec eux et avec eux parler de Droits de l’Homme, il faut avoir un estomac d’autruche et un sacré culot !
On ne peut pas non plus pratiquer à haute dose avec le plus épanoui des sourires la « diplomatie du panda » en parrainant l’ »adorable » bébé ourson noir et blanc né en France à grand renfort d’images glamour sur papier glacé et « en même temps » venir mettre les pieds dans le plat et casser la vaisselle en faisant la grosse voix chez les « propriétaires » dudit bébé panda (nous ne l’avons pour le moment qu’en « location » non gracieuse !).
Enfin on ne peut pas, sans soumettre la logique à des acrobaties douloureuses, dire vouloir tendre la main pour coopérer dans l’établissement de nouveaux liens commerciaux plus forts et « en même temps » mordre la main qui serre la vôtre en guise d’avertissement à changer de pratiques. La Chine n’a pas eu d’Aristote, mais elle est très sensible à ce genre d’illogisme !
Bref, il a fallu remiser très vite l’espoir d’entendre des allusions publiques aux manquements de la Chine en matière de liberté individuelle et de droits de l’Homme. Tous ceux qui rêvaient en France d’un coup de chapeau présidentiel, en forme de coup d’éclat, à la mémoire de Liu Xiaobo et d’une prise de position clairement énoncée en faveur des détenus politiques victimes de l’arbitraire du pouvoir en ont été pour leurs frais. Ils jugent avec quelque raison que Macron a joué « petit bras » et a, par son assourdissant silence, renforcé la position de Xi Jinping, mais tous les pontifiants discours moralisateurs des présidents précédents ont-il, si peu que ce soit, fait changer la donne ? Quelle efficacité ont-ils eue à part nous permettre de bomber le torse à bon compte ? C’est toute l’atroce ambiguïté des relations avec la Chine : où que roulent les dés, ils ne tombent jamais en votre faveur ! Que vous tapiez du poing sur la table ou vous vous prosterniez en un triple kotow, la Chine s’en tiendra strictement à ce qu’elle juge bon pour elle. Vous n’êtes que quelques moucherons voletant autour de la tête du tigre. Vous n’obtiendrez au mieux qu’un bâillement. Les premiers moucherons « à la Chine », comme on disait alors, furent les jésuites au XVIIe s. Nous seulement ils ont dû ravaler l’essentiel de leur message (jusqu’à mettre la crucifixion du Christ sous le boisseau), mais ils ont été contraints, faute d’envisager son éradication comme simplement possible, d’avaliser chez les convertis le culte des ancêtres et de quelques dizaines de divinités locales sur lesquelles ils ont préféré fermer les yeux. Moyennant cela, ils ont vendu des horloges à la Cour… La Chine n’a courbé la tête et mis un genou en terre que sous la menace des canonnières, à la faveur d’une dynastie mandchoue moribonde ! Or elle se souvient très bien de cet épisode de son histoire et s’est promis de ne plus jamais se mettre en pareille situation de faiblesse. Et comme elle nous voit venir avec nos gros sabots et notre nouvel Evangile… elle bâille. En plus, elle sait que ces épisodes de l’opium imposé, des canonnades, du régime inique des concessions et du sac du Palais d’Eté qui sont notre bout d’Histoire partagé (pas si lointain) pèsent dans nos bagages un poids de mauvaise conscience qui enlève pas mal de franchise à nos coudées ! Nos hommes d’Etat vont « à la Chine » à peu près toujours comme à Canossa et Macron avait à son actif trois handicaps supplémentaires : sa fraîcheur juvénile dont on imagine bien qu’au pays de Confucius elle n’est un atout qu’auprès des collégiennes qui ont gloussé d’extase de le trouver si « langmande » (traduction de « romantique ») ; et « en même temps » le tohu-bohu peu reluisant de l’ensemble de la campagne électorale française en forme de fiasco dont il est sorti finalement assez peu glorieusement vainqueur. Ne faut-il pas lui pardonner de ne s’être pas fait publiquement le chantre de la Démocratie à l’occidentale quand nous avons tous vu le résultat des dernières élections présidentielles de Freedomland (le modèle théorique en la matière) ? Désormais qu’il y a un Trump à la Maison Blanche, que peuvent bien penser les dirigeants chinois quand on leur joue de notre violon démocratique si ce n’est : « Cause toujours, tu m’intéresses ! ». Le troisième mauvais point est en forme de petite cerise sur le gâteau : notre président s’est « planté » avec son cadeau ! Le fameux cheval de la Garde Républicaine a fait plus ou moins figure de gaffe (la Chine est pleine d’abominables chausse-trappes quand il s’agit du choix de cadeaux !). Nous nous sommes en effet laissé dire, d’avis autorisés, qu’avec un seul cheval on frôlait l’offense grave et que, par le passé, un tel tribut aurait valu le passage de vie à trépas pour le donateur. En Chine, la bienséance veut que, lorsque l’on offre des animaux vivants, ce soit toujours par couples car on doit avant tout avoir le souci de leur descendance et du long terme. Nous sommes d’autant plus impardonnables que la Chine nous avait montré l’exemple et le mode d’emploi : c’est bien un couple de pandas qu’elle a « prêté/loué » au Zoo de Beauval et la descendance assurée en était bien l’objectif ! Décidément beaucoup trop légers, nous ne retenons pas les leçons et nous voudrions jouer aux maîtres !
@Corlay D’accord avec vous, Isabelle, à propos des jeunes qui comprennent mieux que d’autres la nécessité de préserver les équilibres…