Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Le temps était encore doux jusqu’à vendredi à Athènes. Ce même jour, le pseudo-gouvernement présentait au pseudo-Parlement son énième mémorandum intérimaire, et autant fourre-tout ravageur des acquis sociaux et démocratiques depuis plus d’un siècle. Il s’agit d’un texte de loi… de 1.531 pages, lequel comme d’habitude les “députés” ne liront (presque) pas. Sa lecture (partielle sur Internet) trahit même son origine : une traduction rapide et quasi automatique, ayant comme langue source la novlangue du patois globaliste, à savoir, l’anglais des Troïkans et non pas celui de Shakespeare.
De l’arrogance. Ministère du Travail (?). Athènes, le 9 janvier 2018 (presse grecque) |
Sous Alexis Tsipras, le pays déjà défait, devient alors un territoire sciemment décomposé. Et dès ce samedi, voilà la pluie et le froid qui marquent ainsi leur retour ! Telle est notre… désormais bien longue, tradition dans la “gouvernance” mémorandaire. Cette… écriture aux 1.531 pages de tant de mesures et de nouvelles réglementations, doit être adoptable et adaptable très officiellement “d’urgence”, c’est-à-dire avant l’Eurogroupe ainsi imminent, fixé pour lundi prochain.
Tout y passe ou presque, du droit de grève… au “remodelage” de la moitié du code pénal, comme autant de la privatisation de fait de la Justice, par la mise en place d’un système d’arbitrage privé rendu obligatoire. On a beau avoir fêté la Théophanie partout en Grèce avec la traditionnelle cérémonie de la bénédiction des eaux qui se déroule dans toutes les églises grecques (près des eaux) chaque année à la date du 6 janvier ; rien n’y fait.
Et comme nous le remarquions récemment sur ce même blog, les “arbitres” ainsi prévus, pourront être recrutés également en dehors des formations et des professionnels du Droit, et ils seront d’ailleurs directement rétribués par les citoyens intéressés, quand en même temps, ces derniers n’auront plus vraiment la possibilité de saisir directement les Tribunaux. Tsipras, est alors et décidément… de la dernière pluie… toxique qui tombe sur le pays.
En attendant l’adoption de cette (bien énorme) loi, et en réaction à celle-ci, mardi dernier 9 janvier, certains membres du syndicat PAME (affilié au PC grec), avaient investi par surprise les locaux du Ministère du Travail (dont celui de la Ministre Achtsioglou). La motivation annoncée pour cette action fut trouvée en la réactualisation (et autant officialisation) de la mise entre parenthèses du droit de grève, mesure qui figure au présent mémorandum (dit également “intérimaire”).
Ceux du syndicat PAME forçant l’entrée du Ministère. Athènes, le 9 janvier (presse grecque) |
Ceux du syndicat PAME au Ministère du Travail. Athènes, le 9 janvier (presse grecque) |
Bénédiction des eaux. Théophanie, île de Póros, 6 janvier 2018 (presse locale) |
Au-delà du symbole recherché (et trouvé) au moyen d’une telle action, à l’efficacité il faut l’admettre plutôt contestable, les Grecs ont tout de même pu (une fois de plus) à cette occasion, relever grâce à l’irruption des syndicalistes de PAME, toute l’animosité qui caractérise alors pareils affrontements (pour l’instant verbaux).
Sauf qu’on y relève surtout cette expression et autant posture corporelle des protagonistes, dont l’arrogance et le mépris perceptibles à travers l’attitude de la Ministre Achtsioglou. Le tout d’ailleurs, devant les photographes de presse présents sur les lieux. Arrogance, mépris et ainsi cynisme, relevant de toute évidence des tendances obsédantes fondamentales de la psychologie individuelle et collective chez les pseudo-gouverneurs actuels, c’est bien connu. À leur propos, le voisin Kostas maintient alors mordicus que “ces gens… sont manifestement mandatés et désignés par un certain au-delà”.
Pour la petite histoire, ce vendredi fut, rien que pour les besoins de l’euphémisme, décrété “journée de mobilisation générale”, en réalité, seuls les transports en commun sont restés à l’arrêt à Athènes. Et comme d’habitude, quelques milliers de manifestants seulement, se sont opposés aux forces de l’ordre devant le “Parlement”. Encore une fois, les symboles tout comme les apparences auraient été sauvés, la colère fut certes authentique et cependant, le sens (et singulièrement le bon) n’est plus. Actions décousues ou sinon simulacres, ne menant plus à rien, tout le monde l’admet désormais en Grèce.
Marché. Survivances ! Athènes, janvier 2018 |
“Le Prince”. Poissonnerie en faillite. Athènes, janvier 2018 |
Autrement-dit, et en esquisse de réponse apportée aux amis (et amis du blog) depuis par exemple la France, lesquels se demandent alors pourquoi les Grecs ne se révoltent-ils pas, je dirais au préalable que l’état dépressif c’est d’abord l’incapacité de saisir toute perspective future. Et c’est ainsi car le deuil sourd et continu n’aura en rien préservé devant la douleur future, d’autant plus qu’il est en train d’assécher le présent. Les capacités et autant les ressources psychiques manquent cruellement, pour enfin réagir de manière appropriée et efficace.
La société grecque décomposée (au sens propre et figuré) se trouve en majorité plongée dans un désarroi alors profond, tandis que les “gouvernants” et leur magma médiatique proche, en rajoutent chaque jour davantage dans ce même sens, inique et unique. De par cette situation tragique et dévastatrice pour le pays et pour son tissu social, les citoyens ne sont plus capables d’avoir des attentes ou des objectifs d’avenir. Sans gestion du temps et sans gestion de l’espace qui sont les leurs, les sociétés perdent alors toute capacité d’action car il n’y a plus de projection (si ce n’est qu’eschatologique) possible.
Et en Grèce, cette dépossession du temps fabriqué (comme fabricable) s’opère au moyen des memoranda intermédiaires et de fait calendaires, devant “l’urgence”, toujours “l’urgence” d’un soi-disant prochain Eurogroupe. Au demeurant, assemblage et processus décisionnel informel, arbitraire et illégal au vue du droit international, rappelons-le.
Bouquiniste. Athènes, années de crise |
Les soldes… Athènes, janvier 2018 |
Boutique. Athènes, janvier 2018 |
De même, la dépossession de l’espace, c’est d’abord la perte des biens, surtout immobiliers mais autant des entreprises (entre les ventes et surtout les saisies opérées par milliers), puis, en même temps, par l’installation… forcée aux yeux des Grecs, d’une nouvelle et importante population, celle des migrants et des réfugiés pour laquelle plus aucun chiffre officiel n’est communiqué depuis près de deux ans.
Cette situation s’aggrave enfin par de bien nombreuses atteintes à la propriété privée comme publique au centre-ville d’Athènes sous prétexte d’actions politiques, culturelles et sociales, et cela pas uniquement dans le quartier d’Exarcheia. Le vandalisme, l’anomie, le crime et la laideur y règnent dans ces zones de non-droit (comme de non-sens), autant finalement que les intérêts bien particuliers de certains. Souvent les… victimes, sont choisies parmi les immeubles historiques, hérités de notre passé culturel, démocratique et intellectuel.
Et d’abord, le (premier) bâtiment de l’École Polytechnique (construit en 1878). Et en dépit d’un certain discours de façade, cette hybris “d’en bas”, s’ajoute et complète de manière je dirais plutôt orchestrée, l’hybris “tombée d’en haut”. Aux dernières rumeurs ayant cours jusqu’aux colonnes d’une certaine presse autorisée, ces convulsions… immobilières dans la crise grecque, présageraient ainsi la mutation alors quasi-perceptible: des investisseurs (d’après la novlangue toujours) surtout étrangers, achètent massivement les biens immobiliers saisis ou bradés, à Exarcheia et plus généralement au centre-ville.
Investisseur… grec ! Athènes, janvier 2018 |
Périodiques… surannés. Athènes, années de crise |
Bagarres… très actuelles. Athènes, janvier 2018 |
Ainsi, un seul… investisseur chinois a acquis récemment une centaine d’appartements à Exarcheia, tandis que pour 25% des transactions immobilières concernant la ville du Pirée, les nouveaux acquéreurs sont des étrangers, de même que pour le 20% des transactions du même type à Athènes et dans ses proches municipalités (reportage du quotidien “Kathimeriní” en 2017) . L’angoisse chez les… sujets grecs affligés, tout comme l’impression généralisée qu’il n’y a aucune “solution perceptible”, demeurent désormais durablement à la base de cette désarticulation des attitudes et autant des réactions. Sans guère plus de routine quotidienne pour le plus grand nombre, le temps suffisant manque cruellement, et il va être bien long avant de recréer un semblant de routine même rudimentaire… et surtout constructive.
Et c’est très exactement à ce niveau qu’intervient le visage de l’arrogance, du mépris et du cynisme, relevant de toute évidence des tendances obsédantes fondamentales de la psychologie (mode-opératoire) chez les pseudo-gouverneurs actuels. Il en rajoute suffisamment au néant imposé et cela en boucle, voire, il se positionne en miroir chez le patient-citoyen, de manière à faire perdurer la répression (et dépression) mentale imposée, et autant son incapacité à réfléchir et à mettre en œuvre toute tentative de lutte collective efficace. En attendant bien sûr, les habitants s’en vont, et en règle générale, il y a, pour ceux qui le peuvent, la possibilité (supposée) de fuir carrément à l’étranger…
À la boutique à photocopies du quartier, le patron, un homme à la quarantaine passée m’explique que son épouse et leurs deux enfants sont déjà installés à Berlin. “La situation devient intenable, la surimposition est sur le point d’anéantir près du 80% de mon chiffre d’affaire, les clients ne manquent pourtant pas sauf que c’est l’avenir qui manque dans ce pays. Nos enfants sont déjà scolarisés en Allemagne et je rejoins mon épouse d’ici-là deux mois, histoire de fermer la boutique et d’expédier les affaires courantes. Ce n’est pas par choix… mais par nécessité.”
Ce qui ne change pas ! Athènes, janvier 2018 |
Expressions. Athènes, années de crise |
Temps des… amours. Athènes, janvier 2018 |
Chez nos animaux adespotes (sans maître) préférés, c’est alors le temps des amours, voilà enfin du rythme et de la routine qui ne trompent pas (mieux que la prétendue période des soldes) !
Et pour ce qui relève encore du bon côté des… choses, on boit parfois notre café au bistrot du coin, et alors les gens s’observent, comme ils discutent entre eux. Tout ne serait donc pas perdu. Je remarque également que l’angoisse généralisée… chez les sujets grecs affligés, finit même par gêner nos amis et proches, lesquels depuis leurs nouveaux pays rendent visite à leur vieille patrie achronique.
Ces Grecs (officiellement près d’un demi-million, officieusement plus de 700.000 départs depuis 2010), n’en peuvent plus de l’achronie comme de la dystopie de ceux qui sont restés derrière, en plein univers concentrationnaire de type nouveau, comme ils ne peuvent plus voir de trop près, cette dyschronie autant douloureuse des migrants et des refugiés, et qui renforce alors très précisément celle des Grecs restés au pays. La boucle… semble ainsi bouclée, entre ceux qui restent, ceux qui partent et ceux qui arrivent.
Rencontré au bistrot du coin, le voisin Kostas tire toute la sonnette d’alarme de son propre bilan ontologique. “Nous devons lutter pour nous même, pour survivre, puis pour exister. Et c’est seulement ensuite que la solution collective et carrément collective arrivera, à condition de pouvoir nous synchroniser face aux marionnettes qui font semblant de gouverner.”
Au café du coin. Athènes, janvier 2018 |
L’Acropole en face. Athènes, janvier 2018 |
Bistrot athénien. Années de crise |
“Nous avions nos amis, nos petites habitudes, notre routine, notre temps ainsi départi entre le travail et les moments de détente, voire de création de sens. Cet entre-nous n’est plus, tout comme le travail d’ailleurs. Et lorsque nous retrouvons nos amis, ce qu’ils arrivent à raconter est parfois pire que notre propre expérience. Donc on tourne en boucle, et nous demeurons ainsi bouclés. Ensuite, de retour chez nous, il n’y a que l’écran, la télévision, ou plutôt Internet. C’est pour cette raison que malgré tout, je m’efforce à sortir et à voir du monde. Tout ce que j’avais aimé, tout ce qui m’avait été jusqu’alors favorable dans la vie et près de moi, n’est plus. Sauf mon épouse et nos enfants… puis quelques rares amis mentalement rescapés”.
Réalités figées dans un quartier populaire. Athènes, janvier 2018 |
Univers ainsi… soigné jusqu’à ses détails. La grève générale décrétée pour lundi prochain par les syndicats, et qui ne sera pas générale, concernera essentiellement les transports publics. Donc paralysie et ainsi impossibilité de se rendre au centre-ville pour manifester, par exemple devant le pseudo-Parlement. Donc paralysie et énervement en vue. Les medias se focaliseront sur la congestion dans et autours d’Athènes, plutôt que sur les 1.531 pages que les “députés” auront évidemment adopté.
Nous savons également, combien et comment ce nouvel achronisme grec, préfigure ainsi le monde de demain, monde d’après, pour ce qui est des sociétés, nations et peuples en cette Europe (et bien au-delà). Le factice gouverne au destin de cette Grèce tragique, et ce n’est qu’un produit dérivé de l’hyperbole (hyperbole en grec signifie aussi “exagération”) contemporaine, en plus des distorsions historiquement avérées en cette Hellade des (derniers) temps modernes. Ainsi va le nouveau siècle, du Logos supposé souverain, au Logos… réputé souterrain, comme d’îlot en îlot de lumière incertaine.
Notre Mimi. ‘Greek Crisis’, Athènes, janvier 2018 |
Chez ‘Greek Crisis’, notre Mimi vieillit, tandis que notre Hermès (dit parfois “le Trismégiste”) grandit de jour en jour.
L’année commence donc bien. La sérénité n’est pas qu’un don de la nature, un effort de l’habitude, mais peut-être aussi ce fruit à peine mûr de l’effort… Et toujours tutoyer le réel!
Hermès de Greek Crisis, dit parfois “le Trismégiste”. Athènes, janvier 2018 |
* Photo de couverture : De l’arrogance. Ministère (et Ministre) du Travail. Athènes, le 9 janvier 2018 (presse grecque)
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