Le néant a désormais son prix en bitcoin, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Explorons un tout petit peu plus loin la logique du bitcoin et de sa cotation officielle sur le marché à terme de Chicago. De la même façon que le « Policy Analysis Market » de 2003 visait à créer une représentation facilement négociable d’hypothèses événementielles de réalité politique, dont on faisait semblant d’ignorer que la représentation hypothétique fût la prémisse de la réalité rendue possible, de la même façon la cotation à terme du bitcoin donne une existence publique visable au néant financier.

L’émission des monnaies officielles par des banques centrales, indépendantes de la Loi et des autorités politiques, accordant leur crédit central gratuit à des banques commerciales hors sol et hors légalité économique courante, fait qu’il n’existe plus dans la globalisation financière libérale d’unité de compte réel de la valeur ajoutée effectivement demandée, effectivement produite et effectivement livrée par et à des humains socialisés en chair et en os. La monnaie libérale refinancée en dernier ressort par la Fed et la BCE est objectivement le prix nominal du néant, c’est à dire la plus-value d’une phénoménalité sans réalité tangible vérifiable par un désir ou un besoin effectivement verbalisé par l’humain.

Le système financier global en euro-dollar est donc confronté à l’insoluble défi de parler comptablement à des utilisateurs réels de la monnaie sans disposer du moindre référentiel de phénoménalité sensible identifiable par des paroles intelligibles et par des nombres qui représentent une matière concrètement quantifiable et qualifiable à des humains de chair et d’os. La cotation à terme du dollar en bitcoin est donc un saut quantique du néant implicite de la monnaie libérale hors la loi dans le néant virtuellement institutionnalisé de la monnaie libertarienne sans loi ni autorité aucunes.

L’accélération de la fuite dans le néant par la convertibilité du bitcoin en monnaie officielle est un pas décisif dans l’abolition de la fonction anthropologique de l’État. Non seulement il n’était plus nécessaire qu’un objet de transaction fût reconnu légal par un État quelconque pour avoir un prix dans la finance globale, mais il est maintenant possible d’acheter et de vendre publiquement sur la marché à terme de Chicago un titre nommé « bitcoin » dont la qualité essentielle est d’ontologiser le néant en interdisant toute mise en relation du prix avec de la valeur légale liant des personnes physiques par des obligations licites de reconnaissance réciproque dans une réalité commune objectivable et partageable.

Non seulement il n’y a plus aux États-Unis, depuis un certain temps déjà, d’État fédéral défenseur de la réalité pratique d’un bien commun des citoyens étatsuniens formulé dans les lois fédérales, mais la légalité admet maintenant officiellement d’accorder un prix en dollar à un titre numérique de néant techniquement conçu comme tel. Cela signifie qu’aux États-Unis et donc dans le monde entier, l’existence-même d’une autorité publique commune impartiale pour arbitrer la réalité et la justice des échanges entre les individus n’est plus une condition de possibilité de la vie humaine civilisée.

Concrètement, la convertibilité publique officielle du bitcoin en monnaie légale par le marché à terme de Chicago transforme toutes les institutions politiques, économiques et financières en organisations objectivement mafieuses. Par le bitcoin convertible en monnaie officielle, n’importe quel acte officiellement public dans le village global de la finance libérale peut désormais s’exonérer non seulement de la loi mais de la réalité phénoménale perceptible aux citoyens. N’importe quel puissant en argent peut tuer, voler, détruire ou blasphémer par l’asservissement d’une chaine d’hommes de main dument réglés en bitcoin, c’est à dire dans la monnaie du néant.

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