LES BANQUES CENTRALES FONT TOURNER LES TÊTES, par François Leclerc

Billet invité.

Au fil de ces dernières années, les banques centrales ont confirmé être l’indispensable clé de voute du système financier. Elles ont fait face avec efficacité à une crise aiguë de liquidité (au blocage du système), en agissant en tant que prêteur en dernier ressort à un niveau massif. Elles ont ainsi contribué à baisser le coût de la dette souveraine et permis aux institutions de se financer à coût quasiment nul, afin d’aider au retour des beaux jours.

Mais elles se sont en même temps trouvées prises à contrepied, leur mandat étant de lutter contre l’inflation mais aussi d’atteindre une cible d’augmentation des prix proche de 2% à laquelle elles ne sont pas parvenues. Et les liquidités déversées par les banques centrales dans le système financier ont créé une distorsion du prix des actifs, et donc une instabilité potentielle sur les marchés.

Aujourd’hui, l’époque a changé, leur mission doit être revue. À l’exception de la Banque du Japon (BoJ), les grandes banques centrales entament la décrue de leur programme d’achat de titres et la hausse de leurs taux, laissant une question sans réponse : à quoi vont-elles servir dans l’avenir ? Les banquiers centraux eux-mêmes sont peu diserts à ce propos, mais autour d’eux les appétits s’aiguisent.

Cela a commencé en fanfare, sur le thème de l’« Helicopter money », avec la proposition de distribuer directement des chèques aux particuliers afin de contribuer à la relance de l’économie, domaine où les banques centrales peinaient. Tout en s’appuyant sur le constat que le mécanisme de la transmission de la politique monétaire ne fonctionnait plus, en d’autres termes que les banques ne jouaient pas le jeu et que le crédit ne repartait pas.

En raison sans doute du désarroi ambiant, et aussi parce qu’elle était si iconoclaste qu’elle désarçonnait, cette proposition n’a pas suscité de fortes réactions. Elle pouvait pourtant se prévaloir de l’intérêt manifesté par Ben Bernanke, le président de la Fed de l’époque, mais la balle n’a pas été reprise au bond, sauf par « Q4People » en Europe.

Ce n’était qu’un galop d’essai, avant qu’Adair Turner propose de monétiser la dette publique à grande échelle afin de la rendre soutenable, considérant qu’une telle remise à plat est vitale. Pour ce faire, il défendait un mécanisme reposant sur un swap de la dette émise par les États avec des titres émis par les banques centrales. Ceux-ci auraient comme double caractéristique d’être perpétuels – c’est à dire jamais remboursés – et à taux zéro. La cause était entendue pour lui, les banques centrales ayant démontré qu’elles pouvaient vivre avec des bilans très gonflés.

Joseph Stiglitz ainsi que Yanis Varoufakis, ont apporté leur écot en préconisant d’associer le bilan de la BCE aux interventions de la Banque européenne d’investissement (BEI). Il ne s’agit pas de refaire le monde, la BCE achète déjà des obligations émises par cette dernière dans le cadre de son programme d’achats de titres, il faudrait seulement changer d’échelle. Natacha Valla, en charge de la politique et de la stratégie économiques de la BEI, plaide de son côté pour que la BCE prenne des participations dans des fonds dédiés à des projets d’infrastructure ou des projets d’innovation en substitution des obligations dont elle se sépare.

Le financement de la transition écologique est au centre de plusieurs propositions. Depuis des années, Gaël Giraud propose qu’il soit assuré à taux nul ou quasiment par la Banque publique d’investissement (BPI) en France, ou au niveau européen par la BEI. Ce qui implique que ces institutions aient un accès à la BCE comme des banques de plein exercice. On en revient à la monétisation des investissements, qui cette fois-ci sont exclusivement « verts » afin de répondre à l’urgence et ne pas disperser les efforts. Avec, comme point de départ, le constat que ces investissements sont à retour long et à rentabilité faible, tous deux obstacle à leur financement par les banques commerciales.

Le climatologue Jean Jouzel et l’économiste Pierre Larrouturou ont pris le relais avec de nombreux autres (*) et suivent la même piste. Ils militent en faveur d’un pacte européen et du financement de la transition énergétique. La BCE devrait selon eux consacrer la moitié des 2.200 milliards d’euros qu’elle a mis à la disposition des banques pour financer la BEI, afin que celle-ci soutienne des projets « verts ». Une taxe sur les transactions financières et une autre sur les émissions de CO2 compléteraient le dispositif.

Dernière proposition en date, celle de Jean-Pierre Landau, un ex vice-gouverneur de la Banque de France. Il défend la proposition du Wolfgang Schäuble de mutation du Mécanisme européen de stabilité (MES), tout en l’assortissant d’une caractéristique inacceptable pour lui, qui impose une modification de traité. Le MES pourrait, également, avoir selon lui accès à la BCE afin de correctement remplir son rôle de FMI européen.

Combien de temps ces propositions vont-elles pouvoir rester en l’air ? Les banques centrales, à commencer par la BCE en raison de ses particularités, doit-elle être investie du financement de la relance ou de la transition écologique, du désendettement des États ou bien de l’octroi des aides conditionnées aux pays européens lorsqu’ils sombrent dans la tourmente ?

La tentation est forte d’utiliser la création monétaire, mise à toutes les sauces, afin de contourner les obstacles sans les dissiper ou même en prétendant les ignorer. Il est attendu des banques centrales qu’elles soient à nouveau les sauveurs.

Il est important d’arrêter d’attendre des miracles de la politique monétaire. Aider le désendettement pour le rendre soutenable n’influe en rien sur les mécanismes qui suscitent la poursuite de l’endettement et n’aura donc pas de fin. Est-ce le bon moyen de favoriser la relance, lorsque l’on constate qu’il ne sera pas remédié à l’accroissement des inégalités, et que là encore on soigne le symptôme et non l’affection ? Financer la transition écologique est certes un projet mieux bâti, dans la mesure où les prêts pourraient être à terme remboursés, mais cela a le défaut d’exonérer les gouvernements de leurs responsabilités. Peut-être vaudrait-il mieux augmenter leurs ressources propres.

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(1) Parmi lesquels Jeffrey Sachs, Joseph Stiglitz, Anne Hidalgo, Pascal Lamy, Jean-Marc Ayrault, Philippe Lamberts.

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