Billet invité. Ouvert aux commentaires.
« Urgence », selon la définition la plus généralement admise : caractère de ce qui est urgent, de ce qui requiert une action, une décision immédiate, de ce qui ne souffre aucun retard.
En droit civil : situation qui peut entraîner un préjudice irréparable s’il n’y est porté remède à bref délai et qui permet au juge de prendre certaines mesures par une procédure rapide (référé, assignation à jour fixe).
Dans la juridiction judiciaire, concernant les saisines ayant trait à la stricte application des dispositions d’un contrat de bail par exemple, le bailleur a la possibilité de saisir la juridiction de proximité en référé, c’est à dire en urgence.
Le magistrat de cette juridiction ne peut juger et prendre une décision qu’en rapport direct avec l’objet de la saisine, il ne peut prendre de décision, ni émettre un avis, concernant un élément qui serait susceptible d’être attaqué devant la juridiction administrative, cela en vertu de la séparation des pouvoirs (par exemple, un acte posé par l’administration et qui aurait eu une conséquence défavorable à l’égard de la personne amenée à comparaître devant ce juge des référés).
Le juge assied donc sa décision uniquement sur la stricte observance du code civil, et dans l’exemple considéré, donne raison au bailleur, ce qui enclenche un processus rapide d’éviction du logement : le locataire se trouve donc destiné à être jeté à la rue sans autre forme de procès, l’appel possible doit se faire dans le délai de 15 jours, n’est pas suspensif si dans le prononcé, le juge d’instance a prévu ‘une exécution par provision’.
Donc fin rapide de cet épisode judiciaire en raison de l’obligation qu’a l’État d’assurer l’exécution des jugements (L. 153-1 Ordonnance n°2011-1895 du 19 décembre 2011 – art. – NOR : JUSC1105458R : L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation.)
Le locataire évincé ou en voie de l’être, saisit ensuite la commission instituée par la loi DALO ; après instruction de la saisine, la commission fait connaître sa décision dans les 6 mois au maximum et conclut à l’urgence de reloger le locataire, relogement qui incombe à l’État en vertu de cette loi.
Il faut ici remarquer que l’État, nonobstant la circulaire Valls – Duflot du 26 octobre 2012 qui demandait aux préfets d’assurer le relogement des bénéficiaires du DALO, avant la mise en œuvre de la procédure d’expulsion forcée, ne tient pas compte de ses dispositions et s’abrite de plus en plus derrière la hiérarchie des normes juridiques pour se permettre d’ignorer cette circulaire et la laisser sans effets, puisque située au niveau le plus bas de cette hiérarchie.
De plus en plus de préfectures (dont celle de Paris) se permettent ainsi d’accorder le concours des forces de police dans la procédure d’expulsion de personnes reconnues DALO, en contradiction avec les dispositions de cette circulaire.
Malheureusement, si cela peut choquer du point de vue humain, c’est inattaquable du point de vue du droit : une circulaire n’a pas le caractère obligatoire d’une loi.
Au bout de 6 mois d’attente, le locataire bénéficiaire de la décision positive de la commission DALO et n’ayant vu aucun commencement d’exécution de la part de l’État, saisit le juge administratif au travers d’une requête en « injonction de faire ».
Dans les 2 mois suivant le dépôt de cette requête, le tribunal administratif conclut au bien-fondé de la requête et enjoint au préfet, représentant de l’État, l’obligation d’assurer le relogement du demandeur, décision assortie d’une astreinte calculée pour chaque mois où elle ne serait pas appliquée ; cette astreinte sera versée par période de 6 mois au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement social, lors de la liquidation définitive par le juge lorsqu’il aura constaté que le préfet a exécuté l’injonction.
Cette astreinte est censée contraindre l’État à exécuter la décision initiale de la commission DALO, or, l’État, surtout dans les zones tendues, ne se conforme jamais immédiatement aux décisions rendues.
L’on peut, à juste titre considérer qu’à ce stade déjà, la « notion d’urgence » est bafouée.
En conséquence, endéans les 3 mois suivant la notification du jugement, la partie intéressée peut, en vertu de l’article L-911.4 du code de justice administrative, demander au juge qui a rendu la décision d’en assurer l’exécution.
Mais il est malheureusement avéré que cette possibilité n’est que de pure forme car ce juge ne dispose d’aucune possibilité réelle de contraindre l’État à s’exécuter ; il se borne à répéter les termes de son jugement, considérant sans doute que le dispositif de contrainte est suffisant et amènera l’État à peser le prix de la contrainte vis à vis du prix que lui coûterait la réalisation de la décision initiale de la commission.
Le législateur a considéré (est-ce sans arrière-pensée ?) qu’il était suffisant de prévoir ce dispositif d’astreintes à verser au « fonds national d’accompagnement vers et dans le logement social », fonds qui est lui-même géré par l’État, ce qui enlève d’emblée à l’astreinte toute notion de réparation équitable vis à vis de la personne bénéficiaire de la décision du juge administratif.
Devant cette impasse, que reste-t-il comme action à entreprendre pour contraindre l’État à assumer ses obligations ?
Une première action, en dehors des procédures DALO et suite au constat de carence, c’est d’attaquer l’État en responsabilité et demander une indemnisation pour préjudices subis.
Action longue, coûteuse et sans garantie de succès car si succès il y a, la procédure de paiement des indemnités pour préjudices subis est également spécifique et particulièrement longue.
Devant l’inertie de l’État à appliquer l’une de ses propres lois, que reste-t-il comme action à mener ?
Dans la hiérarchie des normes juridiques, le traité ainsi que la constitution occupent une place prépondérante au sommet de la pyramide des normes juridiques, il en est ainsi du traité fondant le Conseil de l’Europe et spécifiquement de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et des protocoles additionnels signés en 1952.
Malheureusement, ce traité ne prévoit rien de spécifique concernant l’exécution des jugements et décisions de justice, c’est donc au travers de l’article 6-1 portant obligation à un procès équitable que les juges de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) font progresser la jurisprudence concernant l’exécution des jugements.
Ainsi, la France a été condamnée le 9 avril 2015 pour non respect de cet article 6-1 de la convention européenne des Droits de l’homme, proclamant le droit à un procès équitable (requête N°65829/12).
Dans son arrêt, la Cour considère que le jugement du tribunal administratif français n’a pas été exécuté en totalité puisque le relogement de la personne considérée n’a pas été assuré bien que les juridictions françaises aient reconnu le caractère urgent de ce relogement.
La Cour considère également que même si l’astreinte a été liquidée, elle n’a aucune fonction compensatoire car non versée à la requérante mais à un fonds géré par l’État.
L’État n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires quant au relogement de la requérante, la Cour conclut donc à la violation de l’article 6-1 de la Convention.
Toutefois, concernant l’autre branche du grief basé sur l’article 1 du protocole N°1, la Cour considère que le droit à un « bénéfice social », tel qu’est le « droit au logement », ne rentre pas dans ce cadre de la protection de la propriété, bien que deux arrêts précédents aient été pris dans un sens différent (N°11931/03, 30 juin 2005 et N°476/07, 28 juillet 2009)
La jurisprudence devra donc encore s’étoffer, à moins qu’un nouveau protocole additionnel ne soit formalisé et accepté par les différents états composant le Conseil de l’Europe, ce qui ne semble guère possible à bref délai.
De tout ce qui vient d’être exposé, est mise en relief la dissymétrie pouvant exister entre la perception de l’urgence à agir et l’application rapide et complète de la décision selon les juridictions considérées : judiciaire ou administrative.
Dans l’ordre judiciaire la formule « La République mande et ordonne […] ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision » s’applique de plus en plus avec une grande rigueur, mais reste dramatiquement inopérante pour ce qui concerne la juridiction administrative, malgré la condamnation de la France par la CEDH.
Que faire pour permettre une meilleure application du droit au logement ?
Depuis très longtemps déjà, les autorités tournent autour du sujet mais ne le prennent pas à bras le corps :
Loi n°82-526 du 22 juin 1982 (droits et obligations du locataire)
Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986.
Loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement.
Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.
Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
Différents décrets précisant les choses ont également suivi au cours du temps, mais ce qui est remarquable, c’est qu’en 1995 déjà, le Conseil constitutionnel a officiellement érigé en « objectif de valeur constitutionnelle » la « possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ».
Mais aucune modification de la constitution n’a depuis été entreprise pour y inscrire ce droit de manière formelle, le haussant ainsi au plus haut dans la hiérarchie des normes.
L’on ressent bien que telle qu’est organisée la gouvernance politique actuelle, l’inscription dans la constitution ne se fera pas, alors que faire ?
– Mobiliser plus de ressources pour faire en sorte que l’on sorte de cet état de chose qu’est la pénurie de logements dans les zones tendues : on n’en prend décidément pas le chemin, la priorité est plutôt dans la réduction des budgets (APL, etc.) !
– Améliorer la loi DALO par l’incorporation des dispositions de la circulaire Valls – Duflot visant la non application de l’expulsion sans relogement effectif : cela fera manifestement baver de rage les bailleurs et impliquera également de nouvelles dépenses pour l’État obligé de verser des compensations aux bailleurs (idem, le porte-monnaie est verrouillé !).
– introduire dans les baux à loyer des dispositions modératrices évitant l’accès prioritaire au juge, lequel prend immanquablement une décision qui n’est que l’application stricte des dispositions du bail, il faut toutefois reconnaître que ce juge d’instance ne dispose pas de moyens lui permettant de mener une véritable enquête sociale, il conviendrait donc de mettre en place une structure capable d’enquêter et d’apporter ainsi au juge (s’il est saisi à la suite de l’épuisement de toutes les autres actions) tous les éléments nécessaires à une prise de décision éclairée.
Le débat est ouvert.
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