Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Dans un précédent billet, nous avons évoqué « l’événement majeur » qui s’est trouvé rythmer notre court séjour d’octobre au Shandong : la tenue à Pékin du 19ème Congrès du Parti Communiste Chinois à laquelle la direction actuelle avait visiblement tenu à conférer un lustre tout particulier. Comme chacun y était préparé, Xi Jinping a non seulement gardé en main les rênes du pouvoir mais il est évident qu’il a été adoubé pour accélérer les réformes et faire rapidement franchir à la Chine un nouveau cap vers le statut de puissance mondiale de premier plan.
Ce voyage 2017 (le précédent datait de 2015) restera pour nous celui dont nous revenons, pour la première fois depuis 41 ans que nous hantons ce pays, avec l’impression que les Chinois sont vraiment devenus « nos contemporains » et que nous vivons, eux et nous, dans la même époque, au même diapason et sous la même injonction du « Toujours plus » ! Cette constatation ne va évidemment pas sans se doubler en nos tréfonds d’un petit pincement d’amertume et d’un peu de vague à l’âme en songeant qu’il y a une trentaine d’années nous apportions, en guise de présents (de la « civilisation » à la « barbarie » !) des stylos à bille et du café : non seulement la Chine nous a « rattrapés » mais, comme elle n’arrête pas de mettre les bouchées doubles ou triples depuis plus de dix ans, elle est déjà vraisemblablement en train de nous « doubler » ! Et plus grave : le temps que s’épuise cette boulimie nouvelle appelée à faire tache d’huile, notre espèce ne va-t-elle pas franchir un point de non-retour ?
La Chine a une population jeune et de plus en plus urbaine (50% des citadins ont moins de 35 ans) qui a les dents longues et n’a rien connu de la Chine austère et puritaine qui faisait de son endémique pauvreté, vertu. Cette population très dynamique qui se sent le vent en poupe a un appétit féroce pour la consommation et le « fun » : c’est elle qui paralyse les artères des villes à toute heure avec ses grosses cylindrées ; c’est elle qui voyage, en Chine mais aussi à la découverte du monde ; c’est elle qui remplit la business class des vols internationaux ; c’est elle qui, jonglant avec les achats et reventes d’appartements comme au casino, fait grimper le prix du m2 à des hauteurs vertigineuses ; c’est elle qui fait de plus en plus de dépenses à 4 ou 5 chiffres dans les boutiques du luxe griffé dont s’enorgueillissent tous les centres-villes qui se respectent. Entendons-nous bien : ceux dont nous parlons sont une minorité. Il est assez difficile d’évaluer les revenus réels d’un ménage chinois et un chiffrage des ressources ne nous éclairerait pas beaucoup, mais on peut raisonnablement estimer que le nombre de Chinois jouissant d’une aisance permettant de posséder voiture et appartement(s) et de faire des voyages d’agrément se situe autour de 150 millions. C’est bien sûr peu, rapporté au total de la population chinoise puisque cela ne représente qu’à peine plus de 10%, mais l’objectif d’amélioration générale du niveau de vie programmé pour 2030 pourrait, si tout se passe bien, faire accéder dès cette date 150 nouveaux millions de Chinois à cette catégorie aisée, ce qui rendrait cette classe consommatrice et prédatrice du luxe à peu près équivalente en nombre à l’actuelle population totale des USA, par exemple.
Cela fait d’ores et déjà une quantité considérable de « nouveaux riches ». Quand, comme nous l’avons fait le mois dernier, on se borne à circuler en TGV ou sur autoroute et qu’on reste toujours dans la proximité d’une grande ville, par un effet d’optique un peu trompeur on ne voit qu’eux ! Nous n’avons évolué que dans un périmètre d’au plus une petite centaine de kilomètres autour de Jinan, la capitale du Shandong (9 millions d’habitants) et n’avons guère vu véritablement de campagnes : dans un secteur de forte densité d’agglomérations, comme c’est le cas au Shandong, les zones cultivées rétrécissent de jour en jour tandis que chaque ville ou bourgade moyenne étend ses tentacules d’immeubles en construction jusqu’à une jonction pure et simple avec ses voisines qui font de même ! C’est une tendance nouvelle forte (sans doute autant subie que véritablement décidée) que de constituer dans l’orbe des capitales régionales ces sortes de « banlieues » géantes où de gourmands promoteurs mettent toujours plus d’appartements sur le marché. D’ailleurs est actuellement en construction un train « de banlieue » rapide qui, surélevé, doublera l’autoroute pour relier plus efficacement toutes ces villes en expansion que nous avons pu voir au sud de Jinan jusqu’à Qufu. Ces « nouveaux riches » citadins sont les « premiers de cordée » d’une Chine qui aspire à un bien être très concret et applaudit ceux qui le lui promettent. La réussite matérielle et sociale est le point de mire de toute une population. En Chine, la richesse s’affiche, voire s’exhibe : à quoi bon être riche si on ne le montre pas et si la « face » (mianzi) n’en retire pas tous les bénéfices espérés ? Donc les voitures sont grosses et de marques prestigieuses (Maserati, Porsche, Mercedes et même Rolls courent, si l’on peut dire, les rues !). Donc les résidences sont très huppées et les appartements cotés (tout Chinois « arrivé » vous montrera sur son téléphone des photos de son appartement dans le quart d’heure où vous aurez fait connaissance !) regorgent de marbres, de bois précieux et de lustres dorés à pendeloques (tout ça un tantinet « trumpesque » si l’on peut se permettre la remarque). Donc les mariages (entre soi, évidemment) sont grandioses et les voyages de noce ont Paris pour destination (il faudra bien au moins Les Galeries Lafayette pour dépenser l’argent offert par parents et amis !). Si l’on ajoute au portrait de ces « parvenus » qui sont, à 95% au moins, les premiers de leur famille à pouvoir goûter aux délices du fric, que ce sont tous des « enfants uniques », ceux qu’on appelait « petits empereurs » tant ils étaient choyés, on mesurera combien la Chine a inversé sa donne en l’espace de quinze ans !
Le Parti Communiste ne peut pas décevoir ces enfants gâtés, il a même décidé de les enrôler : ils sont là pour montrer que l’avenir peut être radieux et l’abondance assurée : n’est-ce pas le PCC qui a donné l’impulsion (par la voix/voie de Deng Xiaoping : « Être riche est glorieux ! ») ? N’est-ce pas lui qui rassure (avec le débonnaire (?) Xi Jinping comme timonier) pour que l’argent coule avec fluidité vers de plus en plus de poches ? C’est le message que les Chinois ont reçu 5/5 dans le rapport de fin de Congrès. On continue et on amplifie. La Chine est sur les rails d’une prospérité moyenne en voie de généralisation (à l’horizon 2050). Tout le monde, même le plus ronchon, même le plus sceptique, même le plus hostile, doit constater ce qu’il a sous les yeux : le « socialisme aux caractéristiques chinoises« , ça marche ! Tout ça est bien sûr terriblement matérialiste. Pour boucher les trous que tant de matérialisme fait à l’âme, le PCC en appelle à l’ancienneté et à la grandeur de la Civilisation chinoise et badigeonne son message d’un peu de confucianisme à sa sauce. Alors, qu’ont en tête les « nouveaux riches » devant les affiches de propagande du Parti ? Qu’imaginer d’autre qu’un mélange de « Cause toujours ! » et de « Pourvu que ça dure ! » ?
Un dernier petit surlignage en guise de conclusion : les (seulement) 150 millions de très riches et de moyens riches de notre estimation actuelle, cela fait tout de même quelque chose qui n’est pas très loin de 3 France(s) ! Un léger vertige, non ?
Laisser un commentaire