Retranscription de Le temps qu’il fait le 10 novembre 2017. Merci à Catherine Cappuyns !
Bonjour. Nous sommes le vendredi 10 novembre 2017. Je suis dans une chambre d’hôtel, à Bruxelles. Ce que vous voyez derrière moi, c’est un paysage du Crotoy, dans la baie de Somme. Je ne l’ai pas deviné, je viens de le demander à la réception pour vous le dire. Alors, pourquoi est-ce que je suis à Bruxelles ? Parce que je suis invité par le mouvement transhumaniste pour participer au colloque TransVision. J’interviens demain en matinée pour dire ce que je pense du transhumanisme. On a eu l’amabilité de me traiter comme quelqu’un de l’intérieur, comme un sympathisant, bien que je ne souscrive pas à ce mouvement et certaines choses qui me sont dites le sont à titre confidentiel, et donc, je ne vous en parlerai pas. Mais comme j’ai commencé une réflexion moi-même à ce sujet, eh bien, je peux la continuer devant vous, en particulier à l’occasion d’un compte-rendu que j’ai fait d’un excellent livre de Monsieur O’Connell qui lui-même n’est pas un militant non plus du transhumanisme, mais qui a fait une enquête très approfondie et dont le livre Man a Machine, « L’Homme une machine », * est en train d’être traduit en français si vous ne lisez pas l’anglais. Alors, quelques réflexions quand-même sur ce transhumanisme. Il y a des mouvements qui ont lieu parce que des militants réalisent les objectifs de ce mouvement. Prenons des exemples : je ne sais pas moi, la Révolution française, la révolution d’Octobre. Un certain nombre de personnes sont pénétrées des objectifs d’un mouvement et réalisent ces objectifs dans la réalité par leurs actes. Dans le cas d’un mouvement comme le transhumanisme, je me pose la question : est-ce que le transhumanisme est un mouvement porté par des militants et réalisé dans la réalité par les actes de ces militants, ou bien est-ce que c’est quelque chose qui se passe de toute manière ; c’est quelque chose qui est en train de se passer et les militants du mouvement sont les gens qui commentent cette actualité sans avoir un véritable pouvoir sur la manière dont les choses vont se dérouler.
Alors, il y a une autre manière de voir ces choses-là : c’est peut-être de se dire qu’il y a une distance énorme entre le militant de base et les personnes qui agissent véritablement. J’ai posé la question hier, en particulier de la connaissance ou non à titre personnel entre les militants du transhumanisme que j’ai eu l’occasion de voir et il y des personnalités de marque de ce mouvement, Monsieur James Hughes, il y a Monsieur Anders Sandberg entre autres qui sont là, à qui j’ai eu quand même l’occasion de parler. Quelle est la distance entre le militant de base et celui qui effectue véritablement quelque chose dans la réalité ? Deux parallèles : quelle est la distance entre Monsieur Macron et les militants du mouvement En Marche!, La République en marche!, et par exemple aussi : quel est le rapport qui existe, le rapport réel qui existe entre un militant de La France insoumise et Monsieur Mélenchon. Alors voilà, des questions que je me pose, que je poserai tout haut devant les militants demain. Je participe encore à leurs activités aujourd’hui et je participerai toute la journée à leurs activités.
L’actualité, l’actualité internationale : la visite de Monsieur Trump en Chine. On a déroulé le tapis rouge, c’est le minimum qu’on puisse faire. Mais non, il y a bien plus que cela, c’est vraiment le traitement de luxe, de super luxe, d’un véritable ami de la République populaire de Chine qui a lieu en ce moment. Monsieur Trump manifestement est mis dans la confidence. On met les petits plats dans les grands pour l’inviter. Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire d’abord que les Chinois ont compris (rires) à qui ils avaient à faire et que c’est une personne qui fonctionne, je dirais qui carbure à la vanité. C’est quelqu’un qui se doute dans son for intérieur qu’il n’est pas à la hauteur de ce qu’il essaie de faire mais qui essaie de compenser en surface par des tas de manifestations dont nous bénéficions tous et les Américains en particulier.
Alors, comment présenter les choses : est-ce que les Chinois sont en train véritablement de rouler dans la farine Monsieur Trump ? Non, ils sont, je crois qu’ils sont surtout prudents, ils sont prudents. On ne sait jamais, ce type, il parcourra peut-être la distance, il arrivera peut-être à la fin de l’année, il aura peut-être été président pendant une année. Qui sait, il sera peut-être reconduit dans ses fonctions, on ne sait jamais. Donc les Chinois, voilà, ils tiennent compte des probabilités faibles mais ils en tiennent compte quand-même. Ils savent aussi qu’ils sont une puissance montante et que les Etats-Unis sont une puissance en déclin et ils savent aussi que les puissances en déclin sont très dangereuses, surtout quand elles sont fort armées. Et je ne fais pas allusion au fait que la population soit très armée, je veux dire, je parle des armées régulières. Le fait que la population soit très armée, on en voit tous les jours maintenant les conséquences catastrophiques. Quand est-ce que cette nation se réveillera à ce qu’elle fait, on ne sait pas. Si elle est vraiment en déclin et que c’est vraiment une chute, elle ne se rendra jamais compte de ce qu’elle est en train de faire, elle va au contraire faire comme fait la NRA, la National Rifle Association, c’est-à-dire de dire : « Si les gens étaient davantage armés, eh bien, il n’y aurait pas eu tant de morts » (rires). Voilà. On n’a pas honte.
On n’a pas honte et ça nous fait, voilà, c’est une transition toute trouvée vers là, (rires) vers ce que j’avais envie de dire : en France, Monsieur Hulot fait un peu marche arrière, enfin, fait marche arrière sur le nucléaire. On est en train de faire marche arrière aussi sur le pétrole, en France. Réalisme. Réalisme, voilà. Alors bon, on peut dire ce qu’on veut dans les campagnes électorales, on peut être des personnalités qui disaient, dont l’image est associée à certaines choses, mais, soyons réalistes, soyons réalistes, on aura encore besoin de pétrole pendant très longtemps, soyons réalistes, enfin tant qu’il y en aura, ce qui n’est pas à l’infini et, soyons réalistes, ben on a du nucléaire, alors on continue avec le nucléaire et on le rafistole jusqu’à ce que ça pète. Un jour ça pétera, on dira : « ah ben, zut, on le savait, il y avait des lanceurs d’alerte après tout qui disaient ça. Il y avait des gens qui disaient que ça allait se passer. Pourquoi ne les écoutait-on pas ? » Pourquoi ne les écoutait-on pas ? Sur la crise des subprimes, sur le fait que les centrales nucléaires, quand on les rafistole à l’infini, ça finit par péter et ainsi de suite. Enfin, bon. Alors. Eh bien, je vais terminer là-dessus. Quand je suis dans la chambre d’hôtel je ne suis jamais très très long.
Mon actualité personnelle. Bonne nouvelle, je viens de l’afficher sur le blog : mille exemplaires quand-même vendus, ce qui est pas mal, c’est pas mal du tout pour un livre vendu en France. Les chiffres pour la Belgique ne sont pas encore disponibles. Sur un mois, c’est pas mal non plus, pour un livre qui n’a pas de publicité, dont personne absolument ne parle – je ne sais pas si les gens ont reçu, des journalistes ont reçu des exemplaires. Enfin, moi, il y a un certain nombre de journalistes en Belgique à qui j’ai envoyé un exemplaire pdf en tout cas de ce livre. Et jusqu’ici, ils n’ont pas réagi. Mais au niveau des citoyens, là, ça bouge. Et la rtbf, qui a fait un certain nombre de petites vidéos, il y aura une émission d’une demi-heure. Et voilà, le citoyen de base, bon, il me demande de venir en parler et ce que je ferai très volontiers et donc ça c’est pas mal. Et là, qu’est-ce que c’est, eh bien, c’est une plate-forme politique, c’est une plate-forme politique de gauche et je ne dis pas que la droite et la gauche c’est la même chose, non, non, ou que ça n’existe plus, non, non, là c’est vraiment, c’est la gauche. Il faut refaire des choses de gauche et je propose une alternative aux discours ultralibéraux qui sont au pouvoir et aux discours d’opposition qui manquent beaucoup de contenu souvent, qu’on appelle populistes et qu’on devrait plutôt appeler démagogues, parce que c’est vrai, c’est plutôt démagogue. Populistes au sens où on invoque le peuple sans savoir trop qui est le peuple et en lui faisant dire n’importe quoi.
Alors, une alternative, une troisième voie. Une troisième voie de gauche. Je sais, Monsieur Blair a utilisé l’expression « the Third Way », de troisième voie, mais voilà, c’était pas ça. Là, c’était qu’est-ce qu’il avait fait avec l’aide de Monsieur Giddens, voilà, qui était son grand penseur, qui a été un de mes collègues à Cambridge à une époque. Qu’est-ce qu’il a proposé, eh bien, il a proposé que ce qu’on appelait social-démocratie devienne une variante de l’ultralibéralisme. Alors ça c’était pas vraiment une troisième voie. Non, non, moi, ce que je propose, c’est des choses voilà, comme la gratuité, inscrire l’état-providence dans la constitution, interdire la spéculation – comme on le faisait autrefois – une taxe, taxe Sismondi, c’est-à-dire une taxe robot pour alimenter justement la gratuité et ainsi de suite, c’est un vrai programme politique. Est-ce que ça va changer le monde de manière absolument radicale ? Non, mais ça pourrait changer les choses au niveau où on peut le faire, par des parlements et par des élections. Voilà, je précise la chose. C’est un petit brûlot politique.
Alors, il y a un autre brûlot qui est sorti depuis quelques jours, là, depuis une semaine ou même depuis quatre jours, ça c’est un autre brûlot, c’est au niveau des idées, c’est dans « A quoi bon penser à l’heure du grand collapse ? ». C’est les idées que j’ai proposées pour comprendre le monde autrement et on en pense ce qu’on veut, m’enfin c’est quand même de toute manière, là je peux le dire, c’est quand même neuf au sens où ça nous oblige, si on veut me suivre, à poser un regard tout à fait différent sur les choses. C’est une réflexion de quarante-cinq ans, ça n’est pas venu tout de suite, c’est en réfléchissant sur une longue période et en, vous le savez, – on sait, on reconnait ça comme une qualité – en m’astreignant à devenir un spécialiste dans un grand nombre de choses, c’est pas impossible. Des gens qui vous disent : eh bien, si on est médecin, on est médecin pour la vie. Non, non, on voit des médecins qui deviennent économistes par la suite ou philosophes et ainsi de suite. On peut le faire, on a le temps sur une vie quand on arrive à soixante-dix ans, on a le temps de devenir un expert, un spécialiste dans un grand nombre de choses si on y consacre le nombre d’heures nécessaires. Voilà les propositions que je fais sur la manière de voir les choses et en particulier de voilà, proposer une boîte à outils qui nous permettrait de au moins de conjurer l’extinction, une espèce inventive, une espèce qui fait plein de bêtises mais qui est une espèce inventive pleine de ressources et qui peut, qui peut, voilà, retomber sur ses pattes. Alors, retomber sur ses pattes, c’est évidemment pas dire on va sortir du nucléaire et puis ré y rentrer depuis avec enthousiasme ou dire on arrête le pétrole et puis le lendemain de dire on le reprend. Alors là, c’est pas, c’est pas la solution.
Je vais terminer sur un tout petit truc : vive les Paradise Papers. Ma prochaine chronique dans L’Echo et dans Le Monde y sera consacrée. Il y a des gens qui ont du pouvoir et qui en tirent un bon parti, c’est-à-dire que voilà, les gens qui ont beaucoup d’argent, ils n’ont pas, ils ne l’utilisent pas de manière stupide, ou en le jetant par la fenêtre ou spéculant avec. Il y a des gens qui utilisent ça à bon escient. Voilà, j’arrête là pour aujourd’hui. A bientôt !
* To Be a Machine, « être une machine », NDT
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