Billet invité.
Comme chacun le sait, le 19ème Congrès du Parti Communiste Chinois vient de se tenir à Pékin du 18 au 24 octobre. Il se trouve que nous avions (sans le moindre lien avec cet événement) programmé une dizaine de jours de vadrouille touristique au Shandong en ce mois d’octobre et que le hasard a rendu notre petit séjour exact contemporain de cet épisode majeur de la politique chinoise. Désolés de décevoir : nous n’avons aucun scoop dans nos valises et pouvons tout au plus évoquer quelques impressions nécessairement superficielles sur la manière dont cette réunion de grande ampleur et d’une importance politique capitale a été vécue par les gens qu’on appellera « les Chinois de la rue ». Comme on peut s’en douter, Pékin était sur le pied de guerre et toutes les catégories de policiers sur les dents ! Le Congrès s’est en effet déroulé sous très haute surveillance et toute la zone de la Place Tian An men au sens large est restée pendant 7 jours quadrillée et rendue inaccessible. Un dispositif policier massif s’est, comme on pouvait s’y attendre, ajouté pour l’occasion à l’impressionnante panoplie des caméras omniprésentes dans toutes les villes chinoises (comme dans bien des nôtres) et au contrôle habituel des préposés au maintien de l’ordre public. Si l’on peut comprendre ce déploiement policier exceptionnel dans le périmètre immédiat de l’Assemblée du Peuple, plus surprenante nous est apparue la mesure qui, au Shandong, soit à plus de cinq cents kilomètres de Pékin, visa à maintenir interrompu pour toute la durée du Congrès tout trafic fluvial sur le Grand Canal ! Quant à la manière dont les Chinois ordinaires vivaient sous nos yeux l’événement, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne suscitait pas un intérêt débordant. Les chaînes de télé nationales qui diffusaient en permanence et en boucle (mais pas en direct, car il n’y a jamais de direct à la télé chinoise) images et discours émanant du Palais du Peuple n’attiraient que des regards distraits et se bornaient à superposer un vague bruit de fond au brouhaha vociférant des restaurants. Il est vrai qu’un certain nombre de gens avaient pavoisé leur maison pour toute la durée du Congrès et que de nombreux drapeaux, tout juste rangés après la Fête Nationale du 1er octobre et ressortis pour l’occasion, mettaient à nouveau leurs notes rouges dans le paysage urbain. Geste qui, s’il ne prouve pas nécessairement une allégeance inconditionnelle au Parti, peut tout de même manifester une sorte de confiance dans l’aboutissement de ses travaux ! En fait, ce qui nous est apparu évident à travers les attitudes et quelques conversations, c’est qu’il n’y avait aucun suspense et que tout le monde connaissait d’avance l’espèce de « happy end » qui était de mise ! La confirmation de Xi Jinping dans son rôle de nouveau grand timonier sous la bannière « Moving China forward ! » dans un Parti bien verrouillé à l’avance était écrite de longue date ! Du coup (à l’exception des bateliers du Grand Canal en chômage technique !) tout le monde en Chine a vaqué à ses occupations et poursuivi son bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Les hommes d’affaires ont fait leurs affaires, les enfants sont allés à l’école, les retraités ont joué aux cartes et aux échecs comme tous les jours. Le week-end, les jeunes gens sont allés en boîte : les garçons ont longuement miré dans la glace leur coupe de cheveux à faire pâlir d’envie nos footballeurs et les filles se sont juchées sur de vertigineux talons et ont orné leur coiffure de diadèmes lumineux clignotants. Pendant ces quelques jours, de très nombreux mariages ont été célébrés : peut-être convoler en épousailles pendant le 19ème Congrès pouvait-il être envisagé comme bénéfique (par des membres des Jeunesses Communistes par exemple), mais c’est surtout la présence au milieu de la session du Congrès d’un dimanche 22 (Double Deux ! Quels meilleurs auspices pour une noce ?) qui a engendré cette frénésie nuptiale !
Faute de véritables échanges sur les enjeux politiques avec nos plus proches interlocuteurs (nous devons avouer à notre grande confusion qu’il a été quasi impossible durant notre séjour de les arracher à leurs deux sujets de prédilection que sont les prix de l’immobilier et le souci que leur causent au quotidien les monstrueux embouteillages qui engorgent et asphyxient toutes les villes !), ce que nous avons pu constater, c’est l’ampleur exceptionnelle du mouvement de propagande qui a accompagné ce Congrès. Sous la forme de slogans, d’affiches et de panneaux muraux de toute taille et de toute espèce (textes ou dessins), mots d’ordre et directives ont été répercutés en tout lieu. Chaque route, place, rue et ruelle de la partie du Shandong que nous avons traversée (mais tout nous laisse penser que ce que nous disons du Shandong peut et doit s’étendre à la totalité du territoire chinois) a été en la circonstance littéralement jalonnée d’exhortations à adopter la conduite adéquate de la « Nouvelle ère » en gestation sous l’égide des gigantesques Faucille et Marteau veillant sur les travaux de l’auguste Assemblée ! Dans cette vaste orchestration à l’échelle nationale des buts que se fixe Xi Jinping pour ce nouveau mandat, reviennent avec particulièrement d’insistance les notions de « gouvernance sous le règne de la loi », d’ « amour de la patrie » et, plus encore, de « civilisation ». Ce binôme « wen ming » que ressasse, sans crainte de la redondance, la majorité des slogans doit s’entendre à la fois, en faisant jouer toutes les facettes de sa polysémie, comme « haut niveau de culture« , comportement d’une « grande civilité » et fierté de pouvoir revendiquer une « ancienne et prestigieuse civilisation« . C’est le cas du panneau mural ci-dessous répété à l’infini avec quelques variantes dans la ville de Jinan (capitale du Shandong) et sans doute dans bien d’autres villes de Chine.
Xi Jinping a donc été confirmé le 24 octobre dans son rôle de « noyau » (« hexin« ), surplombant de son autorité incontestée l’ensemble du Comité Central. Les 6 autres membres élus du Bureau Politique sont des hommes (toujours pas de femmes dans cette instance !) dont la nomination n’a pas surpris étant donné leurs attributions de premier plan sous le mandat précédent. La « feuille de route » proposée par Xi dans son rapport de clôture définit la ligne à suivre jusqu’en 2050 : deux étapes s’y dessinent, la première (2020-2035) devant réaliser l’objectif de faire accéder l’ensemble de la société chinoise à un niveau de « moyenne prospérité », la seconde (2035-2050) devant mener une Chine ayant réalisé sa modernisation dans tous les domaines au stade de « grand pays socialiste prospère, fort, démocratique, culturellement développé, harmonieux et beau« . La tâche à assurer doit répondre en priorité aux aspirations légitimes du peuple à une vie toujours meilleure et, une fois cet objectif atteint par l’éradication progressive de la pauvreté (à l’horizon 2035), la Chine a clairement comme mission, selon Xi, d’assurer la supériorité du socialisme sur toute autre forme de gouvernance. La « nouvelle ère » dont le 19ème Congrès a frappé les trois coups suppose un Parti régénéré et fort : Xi Jinping annonce vouloir le tenir dans une main de fer. C’est sur le Parti que repose tout l’édifice à bâtir et Xi promet un renforcement de la discipline interne et de l’impitoyable chasse à la corruption qui le gangrène encore. La bataille pour l’avènement d’une Chine meilleure, condition de celui d’un monde meilleur, doit se mener sur tous les fronts : l’accès pour tous à une vie matérielle satisfaisante, l’assurance de la sécurité grâce à l’application d’un système de gouvernement fondé sur la loi, le respect de l’environnement et l’harmonieuse coexistence de l’humanité avec la nature. L’ère d’une Chine fermée au reste du monde est révolue : la Chine doit jouer sa partition dans le concert des nations, faciliter l’accès à son marché et multiplier ses liens et ses échanges avec la totalité de la planète. Le concept « a belt and a road« , visant à l’établissement et à la multiplication des « nouvelles routes de la soie », a été réaffirmé avec force, mais, comme il ne faut pas pécher par naïveté et qu’il convient de pouvoir montrer ses muscles à l’occasion, la « nouvelle ère » doit aussi se doter d’une armée rénovée et modernisée d’ici 2035. Xi Jinping l’a souligné dans son rapport : il ne sous-estime pas les obstacles tels que les inégalités sociales, les déséquilibres industriels, les risques du système financier et l’endémique pollution, c’est pourquoi la tâche à entreprendre ne sera pas « une promenade d’agrément dans un parc » et, avertit-il, « il faudra faire plus que battre le tambour et taper sur le gong » ! Pour obtenir la mobilisation de tous vers le même but, il compte sur le glorieux passé de la civilisation chinoise et fait appel à la fibre patriotique : « Notre engagement et notre détermination s’enracinent dans votre patriotisme et votre fierté. »
Le principal apport de ce 19ème Congrès du PCC, en dehors de cette feuille de route très déterminée, réside dans la réaffirmation d’une filiation totalement assumée par rapport aux deux principales figures tutélaires de la Chine socialiste : Mao, l’artisan de la mise en chantier d’une société égalitaire de type socialiste, et Deng, le moteur de l’arrachement de la Chine au sous-développement. Xi Jinping s’inscrit orgueilleusement dans cette continuité : avec lui commence l’ère n° 3, celle du déploiement de toutes les potentialités d’une société socialiste modernisée et harmonieuse. Cela portera un nom dans l’Histoire ce sera « la Pensée Xi Jinping » (le xijinpinguisme pour le mettre à notre sauce), celle du « Socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère » dont le panneau ci-dessous résume en 12 binômes les consignes s’appliquant à chacun (les « 12 Commandements » du xijinpinguisme en quelque sorte) :
Nous savons ce qu’en penseront chez nous les grognons, les éternels tenants du « péril jaune » et de la « peur du rouge » comme tous ceux qui crieront à l’insupportable dictature, mais avons-nous en main les cartes qui nous permettraient de ne pas être contraints d’espérer que la Chine réussisse dans l’accomplissement de son projet ?
Et si on parlait de la part d’identification de Poutine vis à vis de Trump et de Trump vis à…