La gratuité pour l’indispensable
L’instruction obligatoire et gratuite entendait faire reculer l’ignorance et faisait en sorte que la pauvreté n’y fasse pas obstacle. La gratuité des frais de santé visait à assurer l’égalité de tous devant les assauts de la maladie et le drame de l’invalidité. Il s’agissait là de combattre les inégalités d’une société où le hasard de la naissance vous situe dès l’origine parmi les fortunés ou les infortunés.
La gratuité de l’instruction et de la santé est aujourd’hui menacée. Le combat contre les inégalités se poursuit cependant. Au point qu’il soit envisagé désormais de vaincre aussi les inégalités naturelles : des thèses mélioristes prônent de contrer le hasard dû à la naissance, non plus seulement social mais également naturel, par le biais du génie génétique : éliminons au stade de l’embryon, nous dit-on, les défauts dont nous savons au vu des parents qu’ils seront présents chez l’enfant.
Alors que même les études les plus conservatrices voient près de la moitié des emplois disparaître à l’horizon 2030, pas tant en raison des progrès de l’Intelligence Artificielle que de ceux de l’informatique classique, certains voient dans le revenu universel de base un moyen d’en contrer au moins partiellement les effets. Il nous protégerait contre les effets de la perte d’emploi, éliminerait la stigmatisation ainsi que les pressions résultant du soupçon pesant sur tout chômeur d’être un resquilleur en puissance.
Ceci dit, augmentant les revenus de chacun du même montant, le revenu universel de base ne combat pas les inégalités. Certains, dont moi-même, ont déjà critiqué son coût exorbitant, l’absence de protection de la somme allouée contre son mauvais usage et contre la prédation dont elle pourrait faire l’objet, ainsi que l’incitation au consumérisme pour ses bénéficiaires qui pourraient s’en passer.
Dans mon récent livre à l’initiative de Solidaris, Vers un nouveau monde *, je propose une alternative au revenu universel de base : l’extension du principe de la gratuité, par-delà l’instruction et la santé, pour comprendre également le logement, l’alimentation, les transports, la connectivité. Une telle gratuité pour l’indispensable répond à l’ensemble des critiques adressées au revenu universel de base : son coût est bien moindre, elle est à l’abri de tout détournement, elle n’encourage pas au consumérisme puisque l’indispensable, même s’il évolue avec les époques, peut être défini avec précision.
Or une proposition dans le même sens a été faite le 11 octobre par une équipe de University College à Londres, intitulée : « Services universels de base » et visant spécifiquement à contrer les implications de la « montée en puissance des robots ». Elle a reçu l’accueil enthousiaste de John McDonnell, le « Shadow Chancellor », le ministre des finances du cabinet fantôme travailliste. Un calcul précis compare le coût annuel de cette approche fondée sur la gratuité avec celui du revenu universel de base : 42 milliards de livres contre 250, soit un sixième de la somme. Les services universels de base représenteraient 2,2% du PIB britannique, un montant gérable, contre 13% pour le revenu universel de base, un montant lui irréaliste. Les auteurs du rapport soulignent d’ailleurs que la somme peut être réunie par un simple abaissement du seuil de l’exonération de l’impôt sur le revenu.
Le rapport de University College London recommande la construction, en sus du parc existant, de 1,5 millions de logements sociaux dont le loyer serait nul et complété d’une réserve pour les charges. Il propose aussi la distribution de bons alimentaires (sur le modèle des food stamps américains) couvrant un tiers des repas des 2,2 millions de Britanniques en danger sur ce plan, également l’extension à tous du Freedom Pass permettant l’accès gratuit aux transports publics, déjà accordé aux handicapés et aux Londoniens de plus de 60 ans, ainsi que l’abonnement gratuit au téléphone, à la télévision et à l’accès à l’Internet.
La disparition de l’emploi due à l’automation et à l’informatisation représente une menace pour l’emploi et du coup pour la demande économique des ménages. Elle doit être prise au sérieux dans un cadre de remèdes réalistes. La gratuité pour l’indispensable apparaît comme la réponse idéale. Le débat à son sujet peut commencer.
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