Billet invité. Ouvert aux commentaires.
À soixante-trois ans d’intervalle, deux fêtes de la Toussaint auront marqué au fer rouge l’histoire de France : celle en 1954 de la « Toussaint sanglante » marquant le début de ce qui allait devenir la guerre d’Algérie, et aujourd’hui 1er novembre 2017, celle qui voit la banalisation de l’état d’urgence par son entrée dans la loi ordinaire.
Car aussi incroyable que cela aurait pu paraître aux yeux d’un Malraux et de tous ceux ayant vécu l’occupation nazie et la suppression des libertés, le Journal officiel du jour grave dans le marbre de la loi le régime d’exception et le recul de l’état de droit.
Bien entendu, cela se fait en respectant les règles de la novlangue. Non seulement nos libertés sont rabotées au nom de leur sauvegarde, mais qui plus est le législateur s’autorise-t-il un magnifique et cynique doigt d’honneur, en remplaçant la trop brutale « perquisition administrative » par la très civile et inoffensive « visite domiciliaire », ou bien encore en renommant le contrôle au faciès sous le rassurant terme de « zone de sécurité » au prétexte de lutte contre le terrorisme.
Prétexte, il s’agit bien de cela. Car si ces lois liberticides n’ont qu’une efficacité marginale dans la lutte contre le terrorisme, elles offrent deux avantages à un état gangréné par l’idéologie néolibérale :
– voter ces lois coûte infiniment moins cher que d’investir dans des moyens humains et matériels pour la justice et les services en charge de la lutte antiterroriste,
– ces lois permettent insidieusement, peu à peu, d’imposer la peur à tous. De faire accepter sous couvert de protection la surveillance et le fichage généralisés, seuls moyens de contrôler in fine la multiplication des nouvelles classes dangereuses : celles des sans-dents et autres fainéants réduits à l’état de survie quotidienne par la libre compétition et la libre concurrence du tous-contre-tous.
Les djihadistes proclament « nous aimons la mort, plus que vous n’aimez la vie » ? Il n’est pas évident qu’ils aient raison. Bien au contraire ! Même si par simple compassion le citoyen atterré est enclin à voir plus de courtermisme, de suivisme, et pour tout dire d’idiotie, dans le travail de nos gouvernants, il n’en reste pas moins évident que la trajectoire suivie est proprement suicidaire. Et pas que pour la démocratie ! Le dernier rapport de l’ONU pointe l’écart entre les effets d’annonce des différentes COP et la réalité, qui mène la planète sur une trajectoire de plus de 3° en 2100. Et qui au vu de l’histoire des hommes, pour penser que ce basculement climatique ne se traduira pas par un égoïsme décuplé, un sauve-qui-peut généralisé, et par la seule chose que nous soyons capables de faire quand nous ne savons plus quoi faire, la guerre ?
Djihadisme et néolibéralisme, deux frères-ennemis, deux croyances dévoyées qui s’alimentent et se renforcent l’une, l’autre en s’affrontant. Au détriment de nos vies – quelles que soient nos nationalités -, et au détriment de la vie tout court.
Ce n’est pas à un choc des civilisations auquel nous assistons, mais à celui de deux nihilismes.
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