Billet invité. P.J. : la conclusion ne me semble pas découler de l’exposé, mais nous pouvons en discuter. Ouvert aux commentaires.
À Douglas, pour la vie
(À propos de « Marc Defant, géochimiste : notre existence d’animal technologique tient du miracle »)
La mousse au chocolat
Il n’est pas facile de réussir une mousse au chocolat. C’est une recette qui semble pourtant relativement simple : il n’y a pas des dizaines d’ingrédients à gérer, pas de double ou triple cuisson, pas d’assemblage, etc.
Disons que la mousse au chocolat peut être réalisée avec une succession d’environ 5 étapes, et qu’il y a, lors de chacune d’entre elles, une condition à respecter parmi 5 possibilités (ex. : gamme de température, choix et proportions des matières premières, durée d’agitation, ordre dans lesquels les ingrédients sont introduits, etc.). Ce qui fait quand même 55 possibilités, c’est-à-dire une chance sur 3125 de réussir pleinement.
On commence à comprendre pourquoi faire une bonne mousse au chocolat n’est finalement pas si simple que cela.
L’univers
Prenons un univers quelconque, par exemple le nôtre. Il est né il y a 14 milliards d’année. Disons, pour nous simplifier un peu la vie, qu’il se déploie dans toutes les directions à partir de son point de départ, l’étincelle du big bang, au mieux à la vitesse de la lumière. Sa taille maximale sera donc comprise dans un cube de 28 milliards d’années-lumière de côté (14 de chaque côté du point de départ). Ce qui nous fait un volume d’environ 2,2 1031 années-lumière3.
Franchement, c’est très grand. Ce n’est pas encore l’infini, mais quand on se penche par-dessus la balustrade, ça donne déjà le tournis.
Prenons à l’intérieur de cet univers, un système planétaire quelconque, par exemple le nôtre, le système solaire. Le prochain système planétaire est celui d’Alpha du Centaure, situé à 4,37 années-lumière. Cela veut dire qu’un système planétaire occupe un volume compris dans un cube de 4,4 années-lumière de côté (2,2 de chaque côté du Soleil, puisque l’autre moitié appartient à Alpha du Centaure, même dans l’espace la propriété privée est un tabou). Ce qui nous fait un volume d’environ 85,2 années-lumière3. Par rapport à l’univers, c’est vraiment tout petit. Si on range bien ces cubes les uns à côté des autres, on peut en mettre environ 2,6 1029 dans l’univers.
C’est long à faire, mais on est content du résultat.
Comme il y a 8 planètes dans notre système solaire, on a environ 2,4 1030 planètes dans l’univers.
Le reste (la vie)
La vie est apparue sur Terre. C’est facile à prouver, vous êtes en train de me lire.
Bon, disons que pour fabriquer la vie à partir de la soupe infâme, mais savoureuse, créée par le Big bang, il faut une succession d’environ 100 étapes et qu’il y a à chaque étape une condition à respecter parmi 100 possibilités (gamme de température, mélange particulier d’atomes et/ou de molécules, concentrations de chacun d’entre eux, temps de réactions, mélange de solvants, etc.) : faire apparaître la vie à partir de molécule mortes, simplement en agitant la soupe, c’est pas simple et, intuitivement, on sent bien que ça va être plus compliqué que pour la mousse au chocolat. Ce qui fait quand même 100100 possibilités, c’est-à-dire une chance sur 10200 de réussir.
Donc, pour avoir une planète qui se retrouve avec de l’herbe qui pousse, des vaches pour la brouter et des gens qui prennent son lait pour rater (sauf exception) de la mousse au chocolat, il faut 4,85 10169 univers, qui contiennent chacun 2,1 1030 planètes.
Et vu que vous êtes en train de me lire, bravo, je vous félicite ! Même si vous ne savez pas faire une mousse au chocolat, cela force le respect : vous êtes sur la seule planète du seul univers qui contient la vie, parmi 4,85 10169 autres qui ne contiennent que la mort. Chapeau !
Pour se rendre compte de ce que cela représente, on peut par exemple remarquer que 4,85 10169, c’est bien beaucoup plus très grand que le volume de notre univers, qui nous semble déjà infini.
Certains diront que tout cela prouve l’existence de Dieu.
C’est une hypothèse qui semble effectivement plus probable que d’avoir gagné à ce méga-loto inter-univers. Une fois dit ça, on peut bien sûr poursuivre la discussion : Dieu le père ? Pastafarisme ?, etc. Il y a débat, mais on a le temps. Si l’univers est franchement grand, le temps lui aussi semble tendre vers l’infini, et même au-delà.
Mais, comme dit Ockham le bien rasé, ne pourrions-nous pas trouver quelque chose de plus simple ? Une de nos hypothèses pourrait être vraiment fausse.
Pour les calculs sur l’univers, on peut bien sûr changer des trucs ça ou là, mais cela ne suffit pas, la différence avec l’apparition de la vie est bien trop grande.
Pour le calcul de l’apparition de la vie, 100 étapes et 100 conditions par étapes ne semblent pas de trop, c’est même donné. Si la vie est vraiment apparue par hasard (et pas par une action divine), on ne voit pas comment cela pourrait être plus simple.
Il doit y avoir une autre hypothèse.
Une autre hypothèse
« Notre univers matériel (…) a des lois qui s’expriment en particulier en fonction des nécessités, des contraintes que subissent des grandeurs comme l’énergie. (…)
Dans une structure matérielle isolée, l’énergie reste constante en quantité (…) quant à la qualité elle ne peut que décroître. C’est le fameux principe de l’entropie : peu à peu tout s’abime. Nous avons une vision très 19e siècle d’un univers (…) dans lequel la fatalité est que tout s’abime, tout s’use. Et quand une structure apparaît, un beau jour elle s’abîme tellement qu’elle disparaît. (…)
Mais c’est vu d’une façon totalement irréaliste car les fameuses structures isolées qui sont soumises à cette loi de l’affadissement, le seul malheur c’est qu’elles n’existent pas.
Une structure n’est jamais isolée. Toutes les structures que nous connaissons que ce soit telle planète ou tel être vivant est une structure qui est traversée par des flux. Quand une structure est traversée par des flux, elle échappe totalement à cette fatalité de l’usure.
Étudions donc les structures qui sont traversées par des flux.
Elles ne sont plus isolées, elles sont comme le dit Prigogine, qui a eu le prix Nobel à ce propos (…) des structures dissipatives. (…)
Prenons une structure matérielle. Elle a un certain équilibre, je lui donne un choc : je lui apporte quelque chose de l’extérieur. Ça la met hors d’équilibre, elle va revenir à un équilibre, tout naturellement en fonction des lois auxquelles elle est soumise. Mais l’équilibre final va être différent, le plus souvent, de l’équilibre initial mais peut être plus riche de structure, plus organisé que l’équilibre initial.
Il peut y avoir non pas usure mais structuration, enrichissement.
Et la probabilité de cet enrichissement est d’autant plus grande que la structure est plus complexe. Et puis surtout, la transformation que va connaître cette structure va être fonction de ce qui va lui être apporté de l’extérieur mais va être fonction aussi de ce qu’elle est. Le même apport à telle structure ou telle autre va avoir des conséquences différentes en fonction de ce qu’elles sont toutes les deux. Autrement dit sa transformation dépendra d’elle-même, non seulement elle va s’enrichir mais elle va s’auto-enrichir, elle va s’auto-structurer. Et cette capacité à s’autostructurer est d’autant plus grande quelle est plus complexe.
Autrement dit on est en présence d’une toute autre vision du monde matériel (…). Ce qui est important quand on étudie le comportement d’une structure matérielle, c’est sa complexité. Plus elle est complexe, plus elle est capable de s’autofabriquer. »
« La loi centrale de l’univers c’est que la complexité nourrit la complexification. »
Merci Albert Jacquard. C’est toujours un plaisir de t’entendre ou de te lire.
Donc la vie n’apparaîtrait pas par hasard, par le mélange de matière en aveugle, mais par auto-organisation et la génération de systèmes toujours plus complexes.
Dans cette hypothèse, la création de la vie est une propriété de la matière traversée par de l’énergie.
Il y a dans chaque univers de la matière traversée par de l’énergie.
Il y a donc probablement de la vie un peu partout, sous des formes diverses et variées selon les conditions initiales et les étapes franchies.
Et parmi toutes ces formes de vie, il y a bien quelques-unes qui sont devenues intelligentes.
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