Le Monde – L’Écho, L’exception chinoise, le 17 octobre 2017

Le Monde : Qu’est-ce qui met les Chinois de si bonne humeur ?
L’Écho : L’exception chinoise

(In English here).

Difficile sans doute d’imaginer qu’il existerait au monde aujourd’hui une population sans état d’âme quant à la politique menée par son gouvernement ou la situation économique de la nation. Nous sommes alors surpris d’apprendre que depuis 2010, plus de 80% des Chinois se déclarent satisfaits de la direction prise par leur pays. Et il ne s’agit pas là d’une affirmation plus ou moins teintée de propagande émanant du gouvernement, il s’agit du résultat d’enquêtes menées par le bureau d’études américain Pew Research Center.

Qu’est-ce qui met les Chinois de si bonne humeur ? L’enrichissement global de la population, accompagné d’une campagne contre la pauvreté prenant la forme d’un revenu minimal, et l’éradication, couronnée de succès, de la corruption. Quelques chiffres : plus d’un million de fonctionnaires punis, dont 13.000 militaires et 648.000 agents municipaux.

Les Chinois sont friands d’objectifs numérotés, comme les « quatre confiances en soi » définis par Xi Jinping, le président chinois, lequel sera reconduit dans ses fonctions pour un nouveau quinquennat à l’issue du 19e Congrès national du Parti communiste de Chine, dont les travaux débutent le 18 octobre. Les « quatre confiances en soi » sont la confiance dans la voie chinoise vers le socialisme, la confiance sur le plan de la théorie, la confiance dans la spécificité du système chinois, la confiance enfin dans la culture chinoise.

Jiang Zemin, qui fut président de 1993 à 2003, invoquait lui les « trois mots d’ordre » : que la nation se relève, qu’elle prospère, qu’elle devienne forte. Mao Zedong (« Mao Tsé-Toung ») fit en sorte que la Chine se relève, Deng Xiaoping (« Teng Hsiao-Ping ») l’enrichit – dans un désordre certain qui rendit nécessaire la campagne récente contre la corruption, tandis que le président actuel s’occupe de la rendre forte – tâche qu’il poursuivra répète-t-on au delà de son second quinquennat s’achevant en 2022, ce qui mettra un terme à une tradition bien établie, faisant alors de lui un nouveau « Grand Timonier », l’équivalent communiste d’un empereur.

Le centième anniversaire de la République populaire de Chine sera fêté en 2049, il devrait marquer « la grande renaissance de la nation chinoise ». Qu’entendre par là ? La Chine comme première puissance mondiale, la synthèse ayant alors été opérée entre le fonds national et culturel chinois et les apports de la pensée occidentale parvenus un siècle plutôt sous la forme du marxisme-léninisme.

On attend du projet « Nouvelle route de la soie » qu’il joue un rôle majeur dans cette ambition. Encore que des doutes soient émis, même en Chine, quant aux images les plus mirifiques des bienfaits qui en découleraient. Avoir désenclavé par le TGV et les autoroutes les villes les plus reculées de l’Ouest chinois, et avoir ouvert à la Chine l’hinterland que constitue l’immense Kazakhstan, suffit déjà en soi à justifier l’entreprise.

Quant à la démocratie et aux Droits de l’Homme, la Chine a là, on le sait, des vues bien à elle, dont elle admet qu’elles ne soient pas au goût de tous. En décembre 2015, à Johannesburg, Xi Jinping déclara devant un parterre de chefs d’État : « La Chine soutient le règlement des questions africaines par les Africains, selon les habitudes africaines », illuminant ainsi les visages. Un autre langage donc que les prêts américains, toujours « assortis de conditions ». Dans le même esprit, la Chine ne s’attribue pas de minorité de blocage s’apparentant à un droit de veto dans les organismes de coopération qu’elle met en place, comme le firent les États-Unis pour le FMI ou la Banque mondiale. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont d’ailleurs membres fondateurs enthousiastes de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.

En mettant en évidence que la planification et l’interventionnisme d’État ont parfois des vertus dont la concurrence pure et parfaite est privée, la Chine ne plaide-t-elle pas en faveur des valeurs désuètes qui firent autrefois que les « 30 glorieuses », furent effectivement glorieuses ? La question mérite en tout cas d’être posée.

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