Billet invité.
Lors de son appel à refonder l’Europe le 26 septembre dernier, Emmanuel Macron avait listé un nombre impressionnant de chantiers à ouvrir ou rouvrir, qui doivent permettre selon lui de relancer le projet européen.
Il avait notamment cité le projet de Taxe sur les transactions financières, véritable serpent de mer européen, comme un des chantiers possibles pour son « Initiative pour l’Europe », en la reliant avec l’aide au développement pour l’Afrique :
« Mais cette aide publique au développement, elle doit aussi être européenne, avec une ambition refondée et je suis prêt à ce titre, je souhaite à ce titre relancer sur de nouvelles bases le projet de taxe sur les transactions financières européennes afin de financer cette politique. ».
Pour autant, que ce soit pour généraliser à l’Europe la taxe ‘française’ ou pour prendre comme exemple celle de la Grande-Bretagne (afin dit-il de ne pas prêter le flanc à une ‘distorsion de concurrence’ entre le Royaume-Uni et l’UE), il reste que le principe même de cette taxe réside sur une taxation des flux financiers des plus restreinte (pour ne pas « briser votre capacité même à créer de l’activité économique »), de 0,1% sur les actions ou de 0,01% même sur les produits dérivés.
Surtout, la volonté même du Président se trouve à être à minima remise en question quand dans l’entre-temps de l’été, la France a annulé la réunion entre les ministres européens de l’Économie et des Finances censée finaliser le principe de cette taxe au sein d’un groupe restreint de pays portant cette taxe, après le blocage, notamment du Royaume-Uni, au sein de l’UE de cette proposition.
Il serait donc pour le moins paradoxal que le projet de taxe sur les transactions financières européenne reprenne le modèle de taxe du pays qui s’y est le plus fortement opposé (y compris d’ailleurs en s’opposant auprès de la Cour de Justice Européenne en 2013 au principe même de la coopération renforcée, la jugeant illégale, sous prétexte que le ‘principe de la contrepartie’ proposé par la Commission Européenne nierait leurs droits fondamentaux du fait de son extraterritorialité[1]), ce même pays qui vient de sortir de l’Union Européenne par référendum et avec lequel les négociations sont pour l’instant au point mort.
A ce compte là donc, s’il fallait s’adosser aux pratiques financières anglaises sous prétexte de pouvoir récolter quelques miettes bancaires du Brexit, autant prononcer de suite un nouveau discours, celui d’une « Initiative européenne pour le respect de l’industrie financière de la City » …
Plus fondamentalement, et puisque Emmanuel Macron connaît bien le processus de formation des prix comme il vient de le démontrer récemment lors des Etats Généraux de l’alimentation, c’est bien le principe et la possibilité politique même de créer cette taxe qui doivent être analysés.
Sur le champ politique, les positionnements sont complexes, car nombre d’acteurs parties prenantes de la coopération renforcée (11 pays de l’UE), notamment la Belgique mais aussi la France, attendent surtout de connaître la résultante du Brexit avant que de se positionner sur ce projet de taxe financière européenne. La coopération, qui doit comporter un nombre minimal de pays (9), est ainsi sujette à des tensions permanentes, parce que certains pays craignent que cette taxe ne vienne concurrencer leurs propres industries financières et fiscales.
Plus récemment, c’est surtout le résultat des élections allemandes, forçant la CDU à une coalition ‘jamaïcaine’ avec notamment les libéraux du FDP qui risque d’être un véritable écueil pour cette taxe. Le FDP, en libéral pur jus, ne veut en effet absolument pas en entendre parler, pour une double raison : parce que cela vient percuter son idéologie libérale (taxe généraliste vs marché libre) et parce que cette taxe pourrait venir alimenter un potentiel budget européen à venir, contre lequel le FDP est vent debout (mutualisation des ressources européennes vs ‘fainéants du sud européen’).
Le Président français a commencé à répondre à cette impasse politique majeure, en proposant que cette taxe puisse alimenter l’aide au développement de l’Afrique, contre lequel il est pour le moins très difficile de s’opposer politiquement, y compris pour le FDP.
Mais le blocage idéologique libéral sur ce projet de taxation reste entier, venant s’appuyer sur le procès en concurrence ‘déloyale’ que la taxe sur les transactions financières viendrait instaurer entre les pays européens composant cette coopération renforcée et les autres pays de l’Union Européenne, voire des pays tiers, bien évidemment en tête d’entre eux, le Royaume-Uni.
Pour ce qui est des autres pays de l’UE, la proposition d’étendre le projet de taxe à l’ensemble des pays de l’UE répondrait à ce type d’argumentation. Quant à l’argument de la concurrence, le principe même de l’extraterritorialité de la taxe permettrait de relativiser cette crainte, puisque tous les instruments, tous les pays, tous les acteurs y seraient assujettis.
Plus, le projet porté par la Commission de relocaliser toutes les transactions en euro dans l’UE via des chambres de compensations basées en Europe viendrait plus encore restreindre cette crainte de la concurrence de la City : 75% des transactions libellées en euro étant réalisées à la City, une telle relocalisation, sinon un renforcement du contrôle prudentiel sur les transactions émises en euro viendrait faciliter la mise en œuvre d’une telle taxation des transactions, puisqu’une grande majorité de pays participant à la coopération renforcée sont membres de la zone euro[2].
Il existe donc un ensemble de paramètres politiques et techniques qui devraient faciliter cette mise en œuvre, malgré les craintes des uns et des autres : Brexit, impasse des négociations avec le Royaume-Uni, projet de relocaliser la compensation en euro, extraterritorialité, contournement politique du ‘blocage’ FDP, …
Mais il reste que le principe même du projet, tel que positionné, ne serait pas de nature à répondre aux objectifs définis pour cette taxe sur les transactions financières.
En effet, la taxe a pour vocation prioritaire de permettre d’éviter des situations de double imposition et d’alimenter en ressources financières les pays participant à ce projet. Si sur le premier aspect, la taxe permet bien d’améliorer une situation complexe, il reste que sur le second élément l’aspect contributif de la taxe est plus que sujet à caution, étant donné son poids (0,1% ou 0,01%), malgré son assiette la plus large qui soit et son extraterritorialité. Au plus, cette taxe ne produirait ainsi ‘que’ quelques dizaines de milliards d’euros annuels, certes très bien venus pour l’aide au développement en Afrique, mais largement insuffisants.
Insuffisants, en premier lieu, au regard des enjeux réels de l’aide au développement africain : si l’on souhaite réellement que l’UE porte une réelle politique de développement, cette enveloppe seule est très loin de pourvoir aux besoins, étant donné les enjeux (démographie, sécurité, solidarité, …) que l’Afrique représente pour l’Europe.
Insuffisants, ensuite, pour pouvoir jouer un rôle quelconque de ‘régulation’ de la spéculation financière.
Or, c’est bien ici que réside la défaillance majeure de ce projet puisque cet aspect de ‘régulation’ de la spéculation n’est présenté que comme secondaire par la Commission, quand dans les faits, c’est bien d’abord cette problématique qui doit pouvoir être traitée par une telle taxe sur des transactions financières, eu égards aux risques systémiques que la spéculation financière fait peser sur l’Europe et les marchés financiers.
Il y aurait tout lieu au contraire, y compris politiquement, d’inverser le sens des priorités : prioritairement, la stabilité systémique, en second lieu, l’alimentation financière des comptes publique.
De ce fait, un projet de taxe devrait alors non plus concerner toutes les transactions financières, projet auquel s’opposent les libéraux, mais bien au contraire de cibler les outils financiers concernés prioritairement par les objectifs de la taxe, à savoir la stabilité systémique.
Les ventes ‘à découvert’ ou ventes ‘à nu’, qui furent à l’origine de la crise de la dette grecque et qui furent ensuite interdites (très tardivement) pour les titres de dettes publiques européennes, devraient ainsi être taxés, et taxés bien plus fortement : de 1% pour les produits dérivés les mieux ‘contrôlés’ (en chambres de compensation, relocalisés en Europe par exemple) à 10% pour les instruments les moins identifiés ou ‘stabilisés’ en termes de risque systémique (en OTC, ou gré à gré)[3].
Plus profondément, Emmanuel Macron devrait aussi savoir que sur un marché, lorsque des contreparties à des transactions ne sont pas ou peu identifiables comme peuvent l’être les acteurs intervenant avec des produits ‘à découvert’ ou ‘à nu’, par delà le risque systémique même, c’est bien la formation des prix sur un tel marché qui est, sinon impossible (a fortiori avec les possibilités actuelles du HFT, High Frequency Trading), sinon faussée, transmettant ainsi un ‘signal prix’ à l’ensemble des acteurs d’un marché financier qui ne peut être celui d’une réalité, puisqu’une part importante de celui-ci n’existe tout simplement pas, parce que la contrepartie à une transaction nécessite que celle-ci soit partie prenante du risque lié à cette transaction.
En bonne logique libérale, que devrait comprendre le FDP allemand, de tels outils n’apportent non seulement rien d’autre qu’une liquidité déjà surabondante sur les marchés financiers (notamment du fait du Quantitative Easing de la BCE et de la Fed), mais qu’ils portent en eux le dysfonctionnement et le risque systémique qu’un contrôle prudentiel seul et a posteriori n’est pas à même de réguler, quand une taxe, conséquente, peut inciter (fortement et ex-ante) à modifier les comportements des agents sur un marché financier, et cerise sur le gâteau, venir abonder bien plus largement qu’une (très faible) taxe généraliste sur toutes les transactions l’enjeu stratégique pour l’Europe d’un développement de l’Afrique.
Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser qu’une telle taxation serait tout à fait cohérente avec cet objectif stratégique européen quant à l’Afrique puisque les produits dérivés ont, justement, été accusés d’entretenir l’instabilité économique, politique et sociale des pays africains en entretenant la spéculation sur les produits agricoles, spéculation qui finit invariablement par détruire la stabilité des structures sociales et productives africaines et par provoquer des chaos politiques et sécuritaires que l’on peut observer (à commencer par le Sahel), qu’in fine l’Union Européenne se doit de gérer, mal ou bien, le plus souvent en urgence d’ailleurs, avec les coûts (financiers, politiques, …) que l’on connaît : faramineux. Tout est lié.
Tous les paramètres, les enjeux et le contexte politique et réglementaire poussent donc à proposer un reformatage de ce projet de taxe sur les transactions financières sur un ciblage de cette taxe sur certains produits financiers, au bénéfice de tous.
Paradoxalement, c’est sans doute de la France qu’une opposition à un tel reformatage pourrait surgir le plus violemment, puisque la place française est la mieux placée en Europe sur les produits dérivés.
Il faudra donc à un moment donné qu’Emmanuel Macron fasse un choix, entre son initiative européenne et les intérêts, nationaux, des lobbys bancaires et financiers, un choix que sur d’autres domaines on impose aux citoyens.
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[1] L’absence d’exemples de dispositifs légaux d’extraterritorialité financiers est évidemment faux, ne serait-ce qu’en citant l’exemple du dollar, où les transactions doivent être compensées dans des chambres de compensation américaines, ou le FATCA américain pour la transmission automatique de données bancaires.
[2] La Commission européenne note d’ailleurs dans sa présentation du projet de taxe que le poids même des pays inscrits dans la coopération renforcée (Allemagne, France, Italie, …) ne permettrait pas au niveau financier de générer des stratégies ‘d’évitement’ des acteurs financiers, a fortiori si le projet de relocalisation des transactions en euro en Europe voit le jour.
[3] Bien que depuis la directive EMIR en 2012, l’ESMA, l’organisme de contrôle prudentiel européen, a vocation à contrôler et imposer aux produits dérivés et aux titres à être compensés ou à être supervisés par des organismes tiers.
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