Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Bonjour Paul Jorion,
Merci beaucoup pour votre interview très intéressant de l’Actu Echo du 4 octobre dernier. Il porte sur un sujet hautement important et crucial – l’Europe. Vous sembliez très à l’offensive. Et pour cause, c’est le sujet qui veut ça…. À la fois complexe, clivant et contradictoire. Car on pourrait dire qu’aujourd’hui l’Europe est devenue à la fois le problème et la solution.
Depuis quelques années, la « construction européenne » apporte de plus en plus de contrariétés. D’abord 2005 (c’est devenu trivial de le dire), puis les multiples contradictions mises en évidence depuis la crise de 2008. J’ai revu dernièrement une vidéo télévisée d’Emmanuel Todd en 2013. Déjà ! Et on en est toujours au même point. Pire, il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. À quand la prochaine catastrophe ? Dernièrement, l’envolée lyrique d’Emmanuel Macron et sa posture volontariste ne masquent pas une situation très compromise. Le diagnostic probable est que le modèle néolibéral de l’Europe est mort à plus ou moins brève échéance. Le fédéralisme (insidieusement engagé, notamment avec la mise en œuvre de l’euro) pensé comme le propose Daniel Cohn-Bendit (un inspirateur direct d’Emmanuel Macron) est très probablement mort, car malheureusement complètement incarcéré dans un cadre idéologique néolibéral.
Comme vous l’avez bien titré dans le dernier numéro des (P)ièces (J)ointes, nous sommes écartelés entre deux options extrêmes, « l’ultralibéralisme ou le populisme » ; pour le second terme, on pourrait presque le remplacer par « nationalisme ». Ces deux voies sont mortifères – inutile de développer.
Je me permets un petit détour « philosophique ». J’ai le sentiment que la vision « néolibérale » porte en elle-même l’idée, pour dire simple, qu’il faut être affranchi (libéré, dirons certains) de la réalité historique et géographique. D’où une aversion des frontières, la négation d’un certain héritage historique et culturel, le mythe de la table rase, et celui de l’individu « neutre » (par exemple, dans la nov’langue, on ne dit plus immigré ou émigré, on dit « migrant » (peu importe d’où l’on vient et où l’on va – et nous serions tous des migrants). À l’inverse, le « nationalisme » est dans une vision opposée d’une fixité historique et géographique. D’où le discours identitaire (dans la racine du mot, il y a bien celle d’identique). Ces deux voies paraissent erronées. Pour moi, tout le « travail » consisterait plutôt à reconnaître les différents legs de l’histoire et de la géographie, et de les placer dans un processus évolutif, guidés par des choix conscients (vous y verrez certainement un parallèle avec la psychanalyse). En ce sens, j’apprécie le travail d’Emmanuel Todd, qui a mon avis procèderait bien de cette démarche.
Pour revenir à l’Europe, on voit bien que la voie actuelle est vouée à l’échec. Par exemple, cette idéologie « néolibérale » n’arrive pas à intégrer le concept de « peuple », donc de souveraineté, et donc de démocratie. Cela ne pourra pas tenir longtemps.
Notons au passage, que ce modèle néolibéral européen, porteur du libre-échange absolu, est un facteur très aggravant de chômage de masse et de dégradation des conditions sociales (on le voit à l’œuvre) – (au passage, ce point a été parfaitement bien exposé aux Etats-Unis par Bernie Sanders dans son dernier livre, « Notre révolution »). Notons également que l’automatisation va certainement avoir un effet d’accélération du phénomène.
Dans votre interview, il me semble que vous nous mettiez encore une fois en garde contre cette orientation. Depuis le Brexit, et dans la poursuite de la tendance actuelle, une accentuation de la polarisation autour de l’Allemagne semble inéluctable, et définitivement mortifère pour l’idéal européen. On y tend (Alstom en est un symptôme évident…).
Pour éviter un nouveau « collapse », il serait urgent de dégager une autre voie, si ce n’est pas trop tard… !
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