Billet invité.
Les élections municipales portugaises du week-end dernier sont passées largement inaperçues dans l’actualité européenne, et ce n’est pas leur faire justice. Car, avec la victoire enregistrée par les socialistes au pouvoir – minoritaires au gouvernement mais soutenus par le Bloc de gauche et le Parti communiste au Parlement – le pays poursuit une trajectoire qui tranche à tous égards en Europe, de même qu’au sein de la social-démocratie européenne.
Ces deux dernières années, le gouvernement d’Antonio Costa est parvenu à rompre avec la politique d’austérité imposée par les autorités de Bruxelles et appliquée par la coalition gouvernementale du PSD et du CDS. Au prix d’une sévère réduction des investissements, il a été possible de réduire le déficit budgétaire tout en engageant une revalorisation des salaires, des retraites et des aides sociales. Les sondages, puis le résultat de ces élections municipales, ont montré que les électeurs lui en sont reconnaissants. À l’opposé, le PSD a dû céder beaucoup de terrain et l’ancien premier ministre Pedro Passos Coelho resté à sa tête devrait passer la main.
La conquête de nouvelles municipalités par le parti socialiste s’étant souvent faite au détriment du parti communiste qui a perdu certains de ses bastions, son durcissement vis-à-vis du gouvernement a été craint, mais Jerónimo de Sousa, son secrétaire général, l’a repoussé en distinguant l’échelon national et municipal dans ses commentaires. De fait, ni ce parti ni le Bloc de gauche ne peuvent prendre la responsabilité d’une rupture des accords passés en 2015 avec les socialistes, au risque de rencontrer la grande incompréhension de leurs électeurs. Francisco Louçã, l’ancien leader du Bloc de gauche qui conserve une grande influence en son sein, a clairement fait savoir que « c’était bien comme cela ».
La position du gouvernement portugais n’en est pas moins fragile dans le contexte européen. Le poids de la dette portugaise est élevé et les marges de manœuvres budgétaires très réduites. Leur élargissement était escompté, mais le chemin y conduisant n’est pas tout tracé dans le contexte européen qui se profile. Il aurait pu provenir d’un assouplissement des contraintes de réduction du déficit, mais les circonstances n’y sont pas vraiment favorables. Reste l’hypothèse d’une reconfiguration de la dette, dans la foulée de celle que la Grèce attend depuis longtemps. Le Portugal a reçu 78 milliards d’euros et il peut être joué sur son échéancier et ses taux pour adoucir son remboursement. C’est maigre, à condition encore que ce soit obtenu !
Le gouvernement socialiste n’est pas menacé, mais il ne peut pas aller bien au-delà dans la démonstration qu’il a engagée et réussie. D’autant que la situation des banques portugaises reste délicate et va empirer si les intentions de la BCE se confirment. Le Mécanisme unique de supervision (SSM) qu’elle abrite lance une consultation au terme de laquelle, en décembre prochain, les banques pourraient être dans l’obligation de couvrir à 100% la valeur de leurs prêts non performants (NPL)*. La question est de savoir si la règle sera valable uniquement pour les nouveaux prêts ou pour le stock existant, auquel cas les banques italiennes, grecques et portugaises seront très atteintes. On mesure la fragilité du système bancaire européen, qui n’est pas résorbée, et la responsabilité des régulateurs pris dans des impératifs contradictoires.
Le Portugal se retrouve placé dans une situation similaire à celle qu’il a connue aux lendemains de la Révolution des œillets de 1974. Il se retrouve isolé et à la recherche d’alliés confortant son avancée. Mais que peut-il espérer ? Un autre gouvernement minoritaire, celui de Madrid, a bien commencé à ruer dans les brancards, mais il est désormais confronté à plus urgent. Reste la fragile hypothèse d’un gouvernement italien issu des prochaines législatives du printemps prochain, à condition qu’il ne fasse pas cavalier seul comme il en est coutumier.
Faisant référence à la situation française, mais c’est tout autant valable pour le Portugal, le commissaire Pierre Moscovici rappelle que les gouvernements ne sont pas quitte, une fois le seuil du déficit des 3% du PIB atteint. Sa réduction doit être ensuite poursuivie au rythme annuel de 0,6%, afin d’atteindre l’équilibre budgétaire. Il souligne également que le montant de la dette cumulée doit être plafonné à 60% du PIB. On n’en a pas fini avec les règles, quand bien même le commissaire préconise que leur application soit « souple » et « intelligente ». Il relève qu’une réduction de 0,1% du PIB serait « acceptable » en 2018, car il est prévu un écart possible de 0,5% par rapport à la norme sur deux années consécutives. Mais il n’est pas du tout certain que le MES investi des nouveaux pouvoirs que les autorités allemandes proposent d’instituer, adopte demain la même attitude.
Les gouvernements européens se sont installés dans l’instabilité. Combien de temps cela peut-il durer ?
PS : Le stock existant des NPL ne serait pas concerné par la nouvelle règle, car cela déstabiliserait totalement les banques italiennes, grecques et portugaises. Pour celles-ci, de nouvelles mesures sont en préparation.
Très visuel en effet N’est-ce pas !