Billet invité. Ouvert aux commentaires.
C’est fait. Les trains des gouvernements madrilène et catalan lancés à pleine vitesse sur la même voie viennent de se percuter ! Et s’il est possible de disserter à l’infini sur les responsabilités des uns et des autres dans ce non-dialogue, ce matin un fait est clair : Madrid a perdu la bataille des images. Voir la Guardia Civil, dans un pays encore fortement marqué par la mémoire de la dictature franquiste, charger violemment des manifestants pacifiques levant les mains et la regarder s’emparer des urnes par la force, est proprement désastreux.
Manifestement M. Rajoy méconnait le poids des symboles et ses conseillers auraient été bien inspirés de lui rappeler certains précédents célèbres, comme cette photo de la petite Kim Phuc courant nue après avoir été brulée au napalm, et qui a bien plus fait pour la victoire du Viêt-Cong que toutes ses offensives militaires.
De 1997 à 2007, années où l’Espagne construit à elle seule plus de logements que la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie réunis, la mono-industrie du bétonnage a élevé au rang des beaux-arts la corruption et la prévarication. En alimentant généreusement les caisses noires du PSOE et du PP et en enrichissant les élus, tous partis confondus, y compris ceux du PDeCAT catalan qui demandent aujourd’hui l’indépendance.
Rajoutez à cela une dette publique stratosphérique, une situation sociale désastreuse dans les communautés autonomes du ‘Sud’, une hémorragie de la jeunesse diplômée fuyant le pays, et bien sûr, les indispensables fonds vautours qui s’en donnent à cœur-joie sur fond d’autoroutes et d’aéroport fantômes, ou d’octogénaire mourant carbonisée dans l’incendie d’un appartement non chauffé et éclairé à la bougie…
Vous obtenez ainsi le miracle d’une union pour l’indépendance, constituée de partis qui sont aux antipodes les uns des autres. Pour visualiser tout ce qui sépare le PDeCAT de la CUP, imaginez chez nous une alliance entre Alain Madelin et Olivier Besancenot !
Bref, gloire éternelle au néolibéralisme et à ses critères de convergence pifométriques écrits sur un coin de nappe après un bon repas que l’on imagine bien arrosé, d’avoir su permettre la naissance de cette OPGM (Objet Politique Génétiquement Modifié)…
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, si aidés par les fautes politiques de Rajoy, les Catalans obtiennent finalement leur indépendance, il est fort possible que malgré une majorité d’habitants désormais allophones, la Communauté autonome du Pays basque suivra le même chemin. Non par souci d’indépendance – comme en Catalogne, les indépendantistes ne sont (n’étaient ?) pas majoritaires -, mais par souci de leur intérêt bien compris : celui de ne pas payer seuls pour les pauvres du sud de l’Espagne !
Et naturellement, les traités européens qui ne connaissent que la marche en avant, et encore, uniquement en ligne droite, n’ont jamais envisagé ces cas de figure. Quid de l’appartenance ou non de ces nouveaux pays à l’UE, quid de la répartition de la dette espagnole ?
De quoi faire passer les affres des négociations sur le Brexit pour une aimable discussion entre gentlemen, si jamais la Catalogne accède à son indépendance…
Le plus (dramatiquement) drôle, étant que ceux des indépendantistes catalans qui sont motivés par d’égoïstes et mortifères raisons économiques appliquent à la lettre la doxa néolibérale. Traduit en novlangue macronienne, la version catalane du « mort aux pauvres » pourrait se traduire ainsi : « il faut libérer les talents catalans du poids des parasites en tee-shirts d’Andalousie et d’ailleurs, afin que dans un monde ouvert et fluide ils deviennent suffisamment agiles pour gagner la bataille de la compétitivité ».
Nihil novi sub sole, le capitalisme porte toujours en lui la guerre, comme la nuée porte l’orage. Car dans sa dernière resucée, la délirante pensée néolibérale, les sans-dents sont priés d’être en guerre permanente les uns contre les autres pour le plus grand profit du 0,1%.
Le seul petit bémol est que la domestication a trop bien fonctionné…
Dans un monde où les lois de la prédation capitaliste sont devenues lois de la nature et ne peuvent plus être interrogées – alors qu’une infime minorité de Français sont concernés, ne donne-t-on par les cours de la Bourse avant la météo, qui elle concerne tout le monde ? -, l’explosion des inégalités et l’implosion du vivre-ensemble ne peuvent avoir pour origine que « l’Autre » : l’immigré, le musulman, les feignasses du club méd., etc.
Et s’il est toujours de bon ton, à Paris ou à Bruxelles, de critiquer avec condescendance les pays du groupe de ViÅ¡egrad qui sous un fin verni démocratique sont enclins à retrouver rapidement de vieux réflexes autoritaires, les évènements en Catalogne nous obligent à constater que nous avons le même problème ici, à l’Ouest.
C’est absolument dramatique, mais contrairement à nos pères, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
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