Billet invité.
Mariano Rajoy ne pouvait pas trouver un meilleur symbole pour attiser la crise politique espagnole que de faire saisir des urnes par la police dans un pays qui a subi la dictature franquiste. Il ne pouvait pas non plus y avoir de meilleure illustration au nouveau cours démocratique de l’Europe revendiqué par un Emmanuel Macron qui se tait.
Selon le gouvernement catalan, 2,6 millions d’électeurs auraient voté, soit un taux de participation de 42,%, le « oui » l’aurait emporté à 90%, et 712 des 948 municipalités auraient participé au scrutin. Le déploiement de 15.000 policiers de la Guardia Civil n’aura abouti qu’à la fermeture de 300 bureaux de vote, deux milliers étant restés ouverts. Les faits sont là, l’État espagnol n’est pas parvenu à exercer son contrôle sur tout son territoire, et l’autorité de la Cour constitutionnelle a été bafouée par plus de deux millions de votants.
Les rebondissements de la dynamique qui a été enclenchée sont imprévisibles. La proclamation unilatérale de l’indépendance à Barcelone avec comme réponse l’activation de l’article 155 de la Constitution permettant à Madrid de prendre le contrôle du gouvernement catalan ne peuvent être écartés. Le gouvernement central pourrait aussi choisir de dissoudre ce dernier pour organiser des élections anticipées. En attendant, 44 syndicats et associations catalanes appellent à la grève générale mardi.
Carles Puigdemont, le président de la Catalogne, a affirmé que les Catalans avaient gagné « le droit d’avoir un État indépendant qui prenne la forme d’une République » et appelé les autorités européennes « à ne plus regarder ailleurs ». Mais on voit mal celles-ci intervenir pour proposer une médiation dans ce qu’elles ont qualifié « d’affaire intérieure » afin de s’en laver les mains. Celle-ci a été trop loin.
Mariano Rajoy rejette toute responsabilité dans les évènements, mais la voie qu’il a choisie va avoir de très fortes conséquences. Dans l’immédiat, le parti nationaliste basque dont le soutien était indispensable aux Cortes va lui faire défaut, empêchant l’adoption du budget 2018. Et, le PSOE refusant de déposer une motion de défiance comme lui demande Podemos – qui réclame avec la maire de Barcelone Ada Colau la démission de Mariano Rajoy – ce dernier pourrait être tenté de convoquer les électeurs pour jouer son va-tout en accentuant la polarisation d’une société espagnole qui n’a jamais totalement évacué les miasmes de la dictature.
Dans le cadre de son nouveau cours, l’Espagne a certes accordé de larges prérogatives à ses « communautés historiques », Catalogne, Pays Basque, Andalousie et Galice, mais elle ne parvient pas à franchir l’étape suivante. En annulant le « statut » qui a en 2003 élargi les compétences de la Catalogne, la Cour constitutionnelle porte une lourde responsabilité dans la suite des évènements.
Les dirigeants européens s’étant prudemment réfugiés dans le silence, seule la première ministre écossaise Nicola Sturgeon n’a pas manqué de rappeler au respect du droit à l’autodétermination des peuples. Mais les conflits larvés pouvant entrer en résonance avec la Catalogne ne manquent pas en Europe, que ce soit en Belgique ou en Italie pour commencer. Et, d’une manière plus générale, l’Union européenne est marquée par la poursuite d’une grande instabilité politique, en dépit des défaites enregistrées par Marine Le Pen et Geert Wilders aux Pays-Bas qui ont fait à tort croire qu’un coup d’arrêt lui avait été porté. Dans l’immédiat, si le Parti de la Liberté d’extrême droite ne devient pas le premier parti autrichien lors des élections qui vont se tenir dans quinze jours, c’est parce que l’ÖVP de centre-droit a repris à son compte une large part de son programme.
La crise politique multiforme qui traverse l’Europe appelle sa profonde reconfiguration. Ce qui est en cause, c’est d’imaginer et de promouvoir l’Europe des solidarités. Entre pays en premier lieu, mais aussi entre leurs régions afin qu’elles puissent s’émanciper. Ainsi qu’avec les peuples qui l’entourent.
Partage est ce mot-clé qui est tant honni et que seuls pratiquent les plus démunis.
Berceau de l’anarchisme, la Catalogne est le dernier bastion de la République espagnole. Une histoire pareille justifie un autre traitement que policier, comme les Catalans viennent de le démontrer.
Grâce à la médiation numérique, les petits métiers restent une source de revenus (livreurs urbains, etc.) et peuvent, du fait…