Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Un discours, historique, et politique d’Emmanuel Macron à la Sorbonne sur l’Europe a été prononcé. Historique parce qu’il y avait bien longtemps, presque 25 ans en fait, depuis le fameux débat entre Mitterrand et Seguin à cette même Sorbonne d’avant le référendum de Maastricht, qu’un dirigeant français n’avait pas donné une vision précise et globale de l’Europe, effaçant ainsi la perplexité chiraquienne face aux réactions des citoyens de son débat avec les Français d’avant l’autre référendum, celui de 2005, renvoyant le désir impuissant et plus que tardif hollandien d’une Europe plus démocratique face à ses propres faiblesses.
Par-delà l’emphase, le ton enflammé et le volontarisme à tout crin, c’est surtout une vision politique que ce Président de la République français a livré sur l’Europe, celle d’un pragmatisme assumant la fin d’une méthode communautaire épuisée par une quasi décennie de crises ininterrompue, les rendez-vous manqués entre la France et l’Allemagne et la fin annoncée du règne sans partage d’une reine européenne affaiblie par l’irruption d’une extrême-droite jusqu’au Bundestag, rompant ainsi le particularisme allemand qui faisait de ce pays le seul en Europe (ou quasi) à ne pas avoir été confronté à l’émergence politique de la xénophobie et du racisme.
La liste des chantiers ainsi ouverts est impressionnante : taxe carbone ‘importé’, révision de la PAC, universités européennes, listes transnationales à l’élection européenne, force d’intervention européenne, taxe financière pour financer le développement en Afrique, parquet européen, budget européen financé par des taxes nouvelles ou un reversement partiel de l’IS une fois ajustée au niveau européen, parlement de la zone euro ‘intra-européen’, véhicules propres, ouverture vers les Balkans une fois la refondation effectuée, … Regis Debray avait pu dire que l’Europe était plus européenne au Moyen-Age qu’aujourd’hui : ce sont les universités qui ont effectivement fait l’Europe, pour laquelle Emmanuel Macron ambitionne de créer 20 universités européennes, de développer le multilinguisme et la résidence pendant 6 mois dans un autre pays pendant un cursus scolaire (là où il aurait fallu proposer a minima d’ailleurs 1 an pour les seules études supérieures).
Si certaines propositions relèvent à l’évidence de la tarte à la crème (intégration de militaires dans l’armée française, …) ou existent déjà sous une autre forme (Agence de l’Union européenne pour l’asile vs Office européen), il y a là à l’évidence une rupture que ce discours français sur la méthode européenne définit clairement : le temps de la méthode communautaire est passé, sans toutefois y renoncer, pour laisser place à une méthode inter-gouvernementale tous azimuts, en se basant essentiellement sur les compétences partagées et la coopération. La présidence française prend ainsi acte de l’effondrement politique en cours européen, après un sur-investissement dans le champ institutionnel qui n’a pu aboutir au mieux qu’à la stabilisation de la situation monétaire et financière, et au pire au pourrissement social et politique.
L’Europe est donc au bout de ce chemin où les réticences et les oppositions multiples et variées des différents acteurs nationaux l’ont conduite, malgré les postures de refondation démocratique au moment même où ce sont bien les désaffections nationales envers leurs propres institutions qui interrogent sur le vide entre institutions et citoyens, un vide qu’à l’évidence l’Europe ne peut remplir.
Le positionnement politique de cette orientation se veut ainsi adapté à la situation actuelle et habile, en démultipliant des relations bilatérales auprès des 27 quant celles-ci étaient phagocytées par la relation d’un couple franco-allemand qui tenait lieu de maison commune européenne. Emmanuel Macron a ainsi rencontré la quasi totalité des dirigeants européens dans l’entre-temps des deux élections française et allemande, contournant ainsi par avance à la fois la centralisation mais aussi l’éventuelle faiblesse à venir de sa future partenaire Angela Merkel. De même, en proposant l’abandon du poste de commissaire européen de la France au profit d’un recentrage sur 15 commissaires, le message envoyé à l’ensemble des acteurs européens est bien celui d’un multilatéralisme de retour sur une scène européenne encombrée par l’imposante figure de style franco-allemande, tout en ciblant également certains acteurs tentés de sortir du jeu européen (mais pas de la scène comme le Royaume-Uni), comme la Pologne, en susurrant que les fonds structurels européens n’étaient pas là pour servir les intérêts de ceux qui refusent de se plier à la règle commune. À bon entendeur … L’objectif est donc de pouvoir incrémenter un maximum de dossiers de coopération inter-gouvernementale pour mieux alimenter le rapport de force entre les opposants et les tenants d’un budget et d’un parlement (même réduit) européen, sachant que de toutes façons la question monétaire et financière est hors de portée politiquement, du moins à court terme.
Cette ‘nouvelle’ politique, pour habile tactiquement et claire stratégiquement qu’elle soit, est pourtant un pari.
Emmanuel Macron sait fort bien qu’elle arrive fort tard sinon trop tard, même pour des institutions ou des gouvernements (et sans même parler des citoyens). Au niveau européen, malgré l’échec patent de l’extrême-droite à advenir au pouvoir (France, Autriche, Pays-Bas, …), il reste que le niveau de risque politique demeure élevé. En France, le Président a pu bénéficier de l’inanité politique de Marine Le Pen, notamment lors du débat d’avant le second tour de l’élection présidentielle, qui tente de faire accroire qu’elle survit encore, mais il n’est pas dit que cette chance se renouvellera une seconde fois. Les droites extrêmes et les extrêmes-droites se recomposent, devant l’échec de leur stratégie de captation de la colère sociale vers une droite identitaire, réactionnaire, ultralibérale. La crise monétaire et financière n’a pu être stabilisée que par la position de la BCE et le chômage de masse ou les inégalités croissantes sont toujours structurels dans de nombreux pays européens, sinon la plupart. Politiquement, la désaffection politique s’exprime de manière croissante dans l’abstention, remettant en cause le lien entre citoyen et institutions, parfois même jusque dans leur légitimité. L’Europe, par-delà sa crise existentielle, est aussi confrontée à des risques d’ampleur jusqu’alors inégalée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, entre risques sécuritaires (terrorisme, guerre au Sahel, Ukraine), migrations massives et changement climatique, sans oublier l’instable Trump.
Conscient de ces différentes failles, la ‘nouvelle politique’ européenne de la France reprend alors les accents de l’Europe des coopérations inter-étatiques, en mythifiant une époque, celle des Ariane Espace et des Airbus pourtant révolue : l’Europe d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a 40 ans, le monde non plus.
Et c’est bien là toute la limite de la méthode, que de donner l’impression d’un éparpillement foisonnant au risque d’une absence de lisibilité, mais aussi, à trop vouloir contourner l’obstacle allemand, elle ne vienne à finir par renforcer un tropisme germano-allemand latent et qui ne demande qu’à s’exprimer avec l’arrivée dans la coalition allemande des libéraux du FDP et des critiques de plus en plus fortes de la CSU.
Surtout, cette méthode demande du temps, qui n’existe plus, du moins plus autant que du temps où ces coopérations pouvaient s’incrémenter, le temps que la construction européenne suive son cours plus ou moins chaotique. Les élections européennes se tiendront en effet au printemps 2019, soit dans un peu plus d’un an, bien avant que de telles coopérations puissent à la fois se finaliser et à la fois donner des effets a minima, en termes visibles pour les citoyens.
Enfin, une telle méthode implique de la confiance entre les gouvernements européens, afin que puissent se nouer ces partenariats mais aussi de la confiance des mandants. Il paraît ainsi difficile politiquement de devoir faire face à la fois à une contestation sociale interne en France et de tenter de résoudre les multiples positionnements qu’un tel multilatéralisme européen impose. Ou le dialogue avec ses voisins et la main de fer chez soi.
Ainsi, pour avoir confiance, encore faudrait-il que les politiques, nationales et européennes, puissent être cohérentes : on ne peut pas d’un côté promouvoir l’accueil des réfugiés et des migrants quand de l’autre il a fallu que le pouvoir judiciaire rappelle à l’État français le devoir d’humanité minimum quand à l’accueil de ceux-ci (eau, WC) ou quand on sait que la France est très loin des quotas de migrants à accueillir sur son sol sur lequel elle s’était engagé envers l’Europe …
Par-delà même cette schizophrénie, on ne peut aussi mettre à distance la personnalité même d’Emmanuel Macron, dont la figure christique de sauveur de l’Europe doit agacer bien des gouvernements européens, l’humilité n’étant pas vraiment une qualité chrétienne reconnue pour ce président français.
Le pari est donc pour le moins des plus élevés, et même bien mal engagé. Il reste que des éléments favorables ne se sont que rarement aussi bien alignés pour qu’il puisse, au moins, se dérouler : Brexit et départ du Royaume-Uni de l’UE finalisé début 2019 (qui avait même voté une loi interdisant l’application de la clause passerelle, permettant de faire passer certaines compétences de l’unanimité à la majorité, comme la fiscalité), dont les effets commencent à se rendre visibles notamment à tous ceux qui souhaitaient sortir de la zone euro et/ou de l’UE (les fameux accords commerciaux bilatéraux …), option politique de la sortie de l’euro rendue caduque politiquement en France (avec l’expulsion de Florian Philippot du FN et la réorientation identitaire en cours du parti), fragilisation d’Angela Merkel et départ de Wolfgang Schaüble pour la Présidence du Bundestag, marginalisation de l’orientation politique pour une refonte des traités (y compris si nécessaire avec une sortie de l’UE in fine), mandat de Mario Draghi s’achevant le 1er novembre 2019, …
De fait, le pari européen tel que formaté par Emmanuel Macron est sans doute le seul à être tactiquement et stratégiquement conséquent, sinon pertinent, du moins existant dans le champ politique actuel.
C’est un pari à quitte ou double, où les joueurs misent tout ce qu’ils ont et font tapis, y compris dans le cas français, leur avenir politique.
Et pour que la méthode puisse être mise en œuvre, il faudra de la confiance pour donner une peu plus de temps au temps, et surtout, obtenir ce que l’on appelle un ‘butin de guerre’ sur lequel bâtir.
Il faudra ainsi impérativement un gain ‘intermédiaire’ dans ce pari pour permettre d’acheter du temps et de la confiance, un gain qui soit véritablement significatif aux yeux des citoyens, concret, progressiste et protecteur, le tout à très court terme (moins d’un an).
À ce titre, il n’apparaît, outre les dossiers de coopération déjà acté ou en voie de l’être avant même ce discours de la Sorbonne, qu’un seul axe qui pourrait correspondre à ces critères : la taxe au carbone ‘importé‘.
Une telle taxe a l’immense avantage de ne pas venir s’incrémenter sur les espaces nationaux et a pour objet de taxer les produits issus de pays tiers et produits dans des conditions non ou peu respectueuses de l’environnement. La protection de l’environnement est d’ailleurs une compétence de l’UE et puisque l’urgence est d’abord climatique (y compris même parmi l’opposition à Emmanuel Macron), une telle taxe capitaliserait pour elle le fait de correspondre aux objectifs de la COP21, d’être une mesure pouvant être perçue comme protectrice pour tous les citoyens européens sans toutefois obérer la concurrence (ligne rouge de la Pologne) et de permettre d’alimenter en tout ou partie un budget européen pour justement financer la transition écologique, tout en réduisant le niveau de concurrence commercial entre produits identiques au sein de l’union commerciale. La mesure serait plus équitable qu’une simple mesure à visée protectionniste si une partie de cette taxe était reversée à un fonds de financement pour l’investissement écologique pour les pays tiers concernés. Une telle taxe pourrait sans doute se négocier avec la Chine qui est en train d’implémenter une réglementation sur la pollution dans ses industries, et pourrait se voir appliquer un taux forfaitaire pour les pays réfractaires (comme sans doute les États-Unis) à conventionner sur un tel principe, les pays mettant en place une législation de contrôle d’émissions de CO2 bénéficiant alors d’un taux réduit.
Enfin, il y aurait lieu de faire en sorte que les fumeuses conventions européennes dont l’objet serait d’être saisies par les citoyens européens, de leur donner corps et consistance, sous peine qu’elles ne tournent soit à la foire d’empoigne, soit à la sempiternelle messe hagiographique européenne, soit même à la désertion citoyenne. Si l’on souhaite faire en sorte qu’une telle politique européenne ‘nouvelle’ puisse intéresser concrètement les citoyens européens, il faudra bien un de ces jours que l’on mette la parole en accord avec la pratique et que l’on donne au moins un peu de pouvoir à ces citoyens quant à la définition des politiques européennes, mais aussi de leur gestion.
Or, quoi de plus concret pour ces citoyens que les fonds structurels européens, dont le rôle est d’avoir un impact sur les zones les plus défavorisés de l’Europe sur tous les aspects de la vie quotidienne de leurs habitants ? Il pourrait alors être opportun de proposer une méthode ‘bottom up’ plutôt que la sempiternelle méthode ‘top down’ appliquée à ces fonds structurels, depuis la définition par la Commission en passant par les états, puis les collectivités locales et la ‘participation’ des habitants pour permettre que ces fonds soient stratégiquement définis, localement par les citoyens en conventions européennes justement, puis par les états avant que d’être voté par le Parlement européen. Cela tombe bien, justement, la programmation pluriannuelle des fonds structurels 201-2020 se terminera et celle suivante devra être engagée dès 2018 !
Une telle méthode pourrait ainsi être incrémentée dans les institutions européennes, pour chaque renouvellement de la programmation des fonds structurels avec des conventions citoyennes, en réservant par ailleurs une part de ces fonds en gestion directes à ces mêmes citoyens.
Le pari n’est donc pas complètement perdu pour cette ‘nouvelle politique européenne’ mais celui-ci est bien périlleux, avec en ligne de mire, la fin de l’Europe telle qu’elle existe actuellement, ou au contraire sa refondation. L’avenir dira, très rapidement, si une telle partie peut être engagée et sur quelles bases, en attendant d’en percevoir les gains, ou les pertes.
Ce qui est par contre certain, c’est que la partie qui était actuellement lancée était en passe d’être perdue politiquement parce qu’elle ne menait nulle part, où des joueurs commençaient à quitter la table et où tous les autres jouaient dans leur coin.
Emmanuel Macron en a donc pris acte et a relancé la mise. Tapis !
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