Billet invité. Ouvert aux commentaires.
« C’est techniquement, économiquement et socialement inepte, irresponsable ! » (Frédéric Paul, Délégué Général de l’USH, Union Sociale pour l’Habitat, Le Monde, 22/09/2017)
« (…) la mort du logement social est programmée avec une rigueur de métronome. » (Norbert Fanchon, Président du Directoire du Groupe Gambetta, Le Monde, 20/09/2017)
« Le modèle économique et culturel du logement social est mis à mal . » (Romain Biessy, Secrétaire confédéral de la Confédération syndicale des familles) ; « ; « le gouvernement nous présente ces mesures comme une stratégie pour le logement, mais c’est une stratégie purement économique, au détriment des locataires. » (Jean-Luc Mano, Président de la CLCV), La Gazette des communes, 19/09/2017.
« Un coup de massue portée au logement social. » (Alain Cacheux, Président de la Fédération des offices publics de l’habitat, Localtis, 21/09/2017)
Vent debout, c’est le moins que l’on puisse dire des bailleurs sociaux, face à la réforme que le gouvernement entend mettre en œuvre par sa loi logement, dont la partie emblématique porte sur la baisse des APL de plusieurs dizaines d’euros par mois, uniquement dans le parc social1.
Estimé par certains à 1,4 milliards d’euros (sur la base d’une baisse de 50€/mois), sans doute plus dans le cadre du projet de loi (sur la base d’une baisse de 70€/mois), le fond comme la forme du projet sont unanimement dénoncés par les bailleurs sociaux, mais aussi, par des associations de consommateurs ou de locataires.
On pourrait voir dans cette levée de boucliers unanimiste un réflexe corporatiste d’acteurs qui souhaiteraient se prémunir d’interventions par trop envahissantes de l’État dans un champ que pourtant celui-ci réglemente, afin de protéger leurs solides réserves (estimées à 8 milliards d’euros) des visées financières court-termistes. On pourrait rappeler les critiques récurrentes quant à ces bailleurs sociaux sur leur gestion opaque, leurs coûts élevés de gestion, les modalités d’attribution des logements et même les multiples affaires politico-financière qui ont émaillé ces dernières décennies, afin de mettre en perspective ces réactions.
Il reste cependant que par-delà le jeu des acteurs concernés, il y a analyser les tenants et aboutissants d’une telle ‘réforme globale’.
Sur la forme en premier lieu, tous s’attachent à dénoncer les méthodes du gouvernement sur ce projet de réduction des APL, certains parlant même d’avoir été dupés pendant des mois. Brutale, descendante, autoritaire, sans réelle concertation avec les corps intermédiaires : devant être présentée le 13 septembre, puis reportée au 22 septembre, le Plan logement avait commencé à être dévoilé quant à cette diminution des APL le 07 septembre par le Ministre de la Cohésion des territoires à la Fédération des OPH (Offices Publics de l’Habitat), après que le Président de la République eut annoncé une demande de baisse de loyer de 5€ par mois pour compenser la baisse annoncée des APL du même montant. La CNAF par ailleurs n’avait pas non plus été consultée lorsque le gouvernement avait annoncé son projet de ‘réforme globale‘ fin juillet …
Dans la plus pure tradition jacobine donc, de manière très technocratique aussi, cette réforme qui aura des impacts majeurs sur un des pans (majeur) de la politique du logement en France se retrouve ainsi exposée aux acteurs du logement social, et des acteurs du logement tout court, sans réelle négociation, par petits bouts, puis avec grand fracas.
Sur le fond ensuite, cette réforme est pour le moins révélatrice d’une philosophie dans l’air du temps, celle du ‘faire plus avec moins’ et du ‘en même temps’, chères au Président de la République, à son gouvernement et à son mouvement politique ‘En marche !’. Construire plus de logements sociaux (‘faire plus’) en obérant les capacités d’investissements des bailleurs sociaux (‘avec moins’), en partant du principe que les bailleurs ne doivent pas être déficitaires mais pas non plus par trop excédentaires, tout en mettant la pression pour que l’investissement des bailleurs sociaux soit à la hauteur des attentes du gouvernement : le fameux ‘et en même temps’. Dans cette philosophie là, il n’y a en apparence de prix à payer par personne et le double bind ‘capacité d’investissement ponctionnée’ vs ‘nécessité d’investir’ n’est jamais assumé.
Ce ‘productivisme financier’ n’intégrant pas ses externalités aura pourtant bien des conséquences réelles, et un prix à payer, par l’un ou l’autre des multiples acteurs du logement : réduction de l’investissement et/ou de l’entretien du parc immobilier, détérioration des bilans des bailleurs sociaux (au risque de les mettre en faillite pour certains), notamment de l’actif (entretien) et/ou du passif (dette), impact sur le secteur du BTP dont la logement social est un des (bons) clients de par sa stabilité, …
Cette ‘rationalisation faible’, ne portant que sur un part du bilan comptable des bailleurs sociaux (porteurs par ailleurs d’une dette globale de 160 milliards d’euros à très long terme auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations), faisant fi de la capacité d’investissement mais aussi des effets induits au bénéfice unique de la vision budgétaire court termiste du gouvernement, trouve d’ailleurs une illustration à front renversé de la position pour le moins schizophrène de celui-ci sur les aides fiscales au logement social.
La Cour des Comptes a en effet ‘opportunément’ attendu le débat actuel sur la baisse des APL pour rendre public le 18 septembre en référé une partie de son audit de Juin 2017 sur les comptes publics, analyse portant sur les aides fiscales consenties aux bailleurs sociaux, critiquant clairement des effets d’aubaine … pourtant défendus par le Ministre de la Cohésion des territoires dans sa réponse à la Cour le 07 septembre, de par les missions de ‘service public’ des dits bailleurs sociaux (logement social, investissement) mais aussi de par la nécessité de reconstituer leurs fonds propres plus rapidement, quand ‘en même temps’, le même gouvernement ponctionne les réserves des dits bailleurs par la baisse des APL !
Par-delà l’évidente nécessité budgétaire à laquelle ce gouvernement s’est astreint afin de répondre à l’objectif de ‘tenir les engagements’ de réduction des déficits budgétaires de l’État (3% du PIB), pour lesquels les 2 milliards d’euros que pourraient procurer cette baisse des APL dans le logement social pourrait contribuer, il fallait bien pourtant masquer l’ensemble vacillant par un semblant d’argumentation logique, s’appuyant si possible sur des études démontrant l’implacable lien entre versement d’APL et augmentation des loyers, permettant de justifier, donc, la réduction des APL, pour réduire les loyers. On vit alors, tel un mantra, se répandre dans les médias le Ministre de la Cohésion des territoires sur le fait que « Quand on met un euro de plus sur l’APL, ça fait 78 centimes de hausse des loyers », et de s’appuyer sur une étude, sans jamais la citer.
Or, l’étude existe bel et bien mais date de … 20052, et ne portait que sur une période bien précise, celle dite du ‘bouclage’ du début des années 90 où les allocations logements ont été étendues à l’ensemble des logements. Dans une longue et minutieuse analyse en 2012 portant sur les aides personnelles au logement, suite à une mission confiée par l’IGAS notamment,, Jacques Friggit du CGED (Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable) souligne que cette étude est par trop spécifique pour pouvoir être généralisée. Pire, une note interne du même CGED dénie récemment cet effet inflationniste des aides personnelles au logement sur laquelle se base le gouvernement pour justifier la baisse des APL.
Une étude de 2014 de l’INSEE concluait tout au plus qu’un effet inflationniste pouvait être identifié comme étant de 5,3%.
Le bel édifice logique et ‘pragmatique’ du gouvernement pour justifier cette baisse unilatérale des APL s’effondre donc, du moins dans son aspect le plus massif.
Certains en viennent alors à invoquer la loi de l’offre et de la demande, comme ultime recours pour sauver l’argumentation : « Mais la thèse du CGEDD est-elle pour autant exacte ? Elle semble méconnaître le mécanisme de formation des prix sur le marché locatif libre (…). », lequel marché ‘libre’ (hors logement social) fonctionnerait en zones tendues (demande > offre) avec des prix à la hausse, que les aides personnelles viendraient alimenter. Las, les études de l’INSEE et du CGED réfutent le lien entre aide personnelle au logement et volume de l’offre.
Surtout, ce type de ‘logique’ méconnaît justement les principes de formation des prix, lesquels sont basés sur les rapports de forces entre les parties et en l’occurrence, celui-ci est largement favorable aux bailleurs.
En effet, un bailleur peut tout à fait s’assurer contre les impayés et les vacances de loyers, sa position n’étant pas aussi dépendante qu’un locataire quant au logement (besoin de se loger vs rentabilisation).
Qui plus est, s’il était un tant soit peu nécessaire de prouver qu’un choc d’offre, uniquement quantitatif, était suffisant pour modifier les prix du marché du logement, il suffirait d’examiner les multiples dispositifs d’investissements locatifs dont l’objet était justement de produire ce surplus d’offres (y compris de manière ‘ciblée’, dans les ‘zones en tension’) pour se rendre compte de leurs échecs, réitérés : l’offre, surcotée en prix (cette fois-ci du fait des aides fiscales), ne trouvait pas en bonne partie ou difficilement sa demande, mais participait bel et bien à la spéculation immobilière et foncière.
Étrangement, de cet inflationnisme là, celle des dispositifs d’aides fiscales pour l’investissement locatif, qui sévit depuis 30 ans en France et qui coûte 2 milliards d’euros par an pour les seuls dispositifs encore existants, on ne parle pas, ou presque.
Le plus étrange, finalement, est que le gouvernement, pourtant autorité de tutelle en tant qu’État des bailleurs sociaux, fait mine de ne pas savoir que les loyers sont réglementés dans le parc social, à l’envers du parc privé … sur lequel les études sur l’inflationnisme des aides au logement se sont portées : « Dans le secteur locatif, en 2010, presque la moitié des bénéficiaires des aides personnelles au logement (2,4 millions sur 5,5 millions), sont bénéficiaires de l’APL, versée uniquement pour les locataires de logements conventionnés, dont le loyer est maîtrisé par l’État notamment à travers la politique de construction du logement social. La fixation du loyer de ces logements dans le secteur social n’obéit donc pas au jeu naturel de l’offre et de la demande, et les aides personnelles ne peuvent donc pas avoir d’effet inflationniste sauf négligence ou volonté explicite du régulateur des loyers. » (p.34, CGED 2012).
L’État fait aussi mine de ne pas savoir que si le taux de reste à charge a progressé effectivement dans le parc social, il a néanmoins nettement moins progressé que dans le parc privé, malgré la paupérisation croissante de la population logée en parc social comparativement au parc privé (moyenne des salaires moins élevée, cf. CGED 2012), sans oublier évidemment les impayés à des niveaux élevés (proche de 8%) et les effacements de dettes croissants dus au surendettement.
L’État, enfin, fait mine de ne pas savoir que 55% des aides personnelles au logement sont versées … dans le parc privé et que face à l’accroissement des besoins et à défaut de vouloir intervenir sur les loyers qui ont fortement progressé, notamment dans le parc privé (par-delà l’effet qualitatif de l’amélioration de la qualité du logement), l’État a choisi de laisser augmenter le taux de reste à charge des ménages plutôt que de continuer à aligner le coût de la politique du logement sur le PIB, et ce depuis de nombreuses années déjà.
De fait, s’il y avait un effet inflationniste à rechercher, ce serait bien non pas dans le parc social du logement mais bien dans le parc privé qu’il faudrait s’en aller chercher.
A l’évidence, non content de ponctionner dans les réserves des bailleurs sociaux l’argent dont il a besoin pour d’évidentes raisons budgétaires urgentissimes, le gouvernement a clairement, pour des raisons idéologiques (libéralisme, marché) et politiques (classes moyennes et supérieures concernées) opté pour cibler le logement social (réglementé, investissement), en lieu et place que de cibler le parc privé (niches fiscales, loyers, prix).
Mais, ‘en même temps’, si le choix politique s’avère des plus mauvais par ses causes et ses conséquences, la méthode ne serait-elle pas celle à suivre pour effectuer une véritable ‘réforme globale’ du logement, et si Macron avait d’avoir tort, en basant sa politique du logement sur la suppression des effets inflationnistes créés par les différentes aides, à la différence près qu’il faudrait tout bonnement faire l’inverse de son choix politique et des aides visées par la réduction ?
Par-delà la nécessité de vérifier et surtout de mieux identifier les effets inflationnistes des aides personnelles … sur le secteur privé, il y aurait alors là de quoi mettre en œuvre une véritable « réforme globale » du logement et ce de manière massive, et progressive :
-
évaluation de toutes les niches fiscales et de leurs effets inflationnistes sur le logement (y compris celles du logement social),
-
suppression des niches fiscales à rendement faible ou nul en termes sociaux et/ou écologiques (comme le préconise d’ailleurs la Cour des comptes),
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diminution puis disparition, étalée dans le temps, des aides personnelles au logement dans le parc privé (ALS, ALF), lesquelles représentent près de 11 milliards d’euros par an ;
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fiscalisation dissuasive des ‘sur-loyers’ constatés avec la diminution des aides au logement du parc privé, afin d’inciter les bailleurs à diminuer leurs loyers en proportion ;
-
création d’un fond national alimenté par le transfert des sources de financements (niches fiscales, ALS-ALF) permettant de financer la création d’un risque ‘logement’ au sein de la sécurité collective (et non pas uniquement la maigre cotisation du 1% actuelle, basée sur le travail seulement) ;
-
investissement dans du ‘logement solidaire‘ où les loyers seraient nuls ou quasi.
Une part croissante de ménages fait en effet face à des difficultés telles que les impayés et les suppressions de créances augmentent, rendant inefficaces les politiques publiques du logement, au coût croissant. Le sur-investissement public ne permet plus aux ménages les plus fragiles de faire face, même avec du logement très social, aux loyers exigés, même avec des APL (lesquels sont d’ailleurs maintenus depuis juillet 2016 en cas d’impayés).
Une rupture ‘systémique’ s’impose donc, qui devrait permettre à tous ceux qui pourraient être exposés à un ‘risque logement’ dans leurs parcours de vie (au même titre que le chômage ou la santé) de pouvoir accéder, selon des conditions d’usages à définir collectivement (durée, accessibilité, mobilité résidentielle, …) à un logement solidaire.
Une telle refonte de la politique du logement permettrait à ceux qui ne peuvent déjà pas ou difficilement de payer les loyers en logement social d’être accompagné socialement comme ils le devraient, tout en libérant des logements sociaux à des travailleurs pauvres qui ne trouvent pas de logements disponibles et qui faute de logement, dorment dans la rue ou dans leur voiture (mais aussi aux femmes victimes de violences conjugales, aux fonctionnaires, …). La logique du ‘Logement d’abord’ (USA, Finlande, …) de lutte contre le ‘sans-abrisme’ pourrait s’y implémenter ainsi aisément. La suppression progressive des coûts liés aux hébergements d’urgence (y compris en hôtels) viendrait alimenter le financement du ‘logement solidaire’. Les modalités de gestion d’un tel fond pourrait aussi innover par rapport à la gestion ‘paritaire’ (syndicats, patronat) actuelle des branches de la sécurité sociale (acteurs du logement : locataires, bailleurs, État, associations, …).
Trois ‘parcs’ de logement, in fine, coexisteraient à terme : privé (hors aides personnelles et fiscales, sauf exceptions), social (sur critères, aides personnelles) et solidaire (gratuit, sécurité collective, règles d’usage socialement définies), permettant une mobilité et une sécurité sociale quant au logement.
Cette ‘réforme globale’ du logement ne ferait pas non plus l’impasse sur la nécessité de réformer le parc social, notamment sur les modalités d’attribution des logements, parfois fortement décriées à juste titre, les plafonds sociaux d’accessibilité (revenus) ou les loyers réglementés. Une taxation progressive en fonction de la durée des capitaux propres pourraient être mise en place pour inciter les bailleurs sociaux à investir plus et plus rapidement dans la construction des logements sociaux.
Mais il est évident qu’une telle refonte de la politique du logement serait aux antipodes de la politique actuellement en cours et menée par un gouvernement dont le principal souci budgétaire est de pouvoir ponctionner les milliards nécessaires pour répondre à son objectif immédiat d’endettement public, sans se soucier des impacts qu’une telle politique aura, à l’envers de son ‘en même temps’ qui laisse accroire que cette philosophie n’induit pas un prix à payer pour quiconque, sans fondements rationnels de surcroît, afin que sa clientèle sociale et politique n’ait pas à payer le prix … que paieront tôt ou tard ceux qui se logent ou qui gèrent le parc social.
Une bêtise sans nom, mais qui fonctionne, dans le vide patent de propositions d’une opposition au gouvernement sur un champ, le logement, où elle était déjà aux abonnés absents avant même que ce gouvernement n’ait été en marche.
C’est dire si la ‘réforme globale’ du logement ne peut être actuellement que celle portée par un certain libéralisme, budgétaire ‘et en même temps’ inégalitaire, tant que ses opposants en resteront à lui abandonner le champ, libre d’opposition politique, ou à refuser de renouveler le cadre dans lequel ils doivent le penser.
1 Les ALF et ALS, allocations versées dans le parc privé, ne sont pas concernées.
2 G. Fack « Pourquoi les ménages à bas revenu paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? L’incidence des aides au logement en France (1973-2002) » (INSEE, Economie et Statistique, n°381-382, 2005)
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