Le Monde : Pourquoi nous ne savons pas gérer le risque financier
L’Écho : Comment gérer le risque financier ?
Le risque financier n’est pas maîtrisable ; la science économique qui affirme que oui se leurre et nous trompe ; Non, aucun cadre réglementaire ne permettra jamais de maîtriser entièrement le risque financier.
Les occasions sont nombreuses en ce moment d’évoquer les dix ans de la crise des subprimes. Depuis la mi-février qui vit le 10e anniversaire de la chute brutale du prix des titres adossés à des prêts subprimes, en passant par le début du mois d’août quand la BNP annonça en 2007 qu’il n’y avait plus de prix pour ces titres, ce qui voulait dire que l’écart s’était à ce point creusé entre le prix demandé par leurs vendeurs et celui offert par leurs acheteurs éventuels qu’il leur était devenu impossible de se rencontrer, pour aboutir à la mi-septembre 2008, quand la chute de la quatrième banque d’investissement américaine, Lehman Brothers, provoqua une crise systémique d’une ampleur inégalée.
Une question est souvent posée aux commentateurs de l’actualité financière : les bonnes mesures ont-elles été prises depuis pour maîtriser le risque? Et il est attendu d’eux qu’ils répondent par oui ou par non.
Trois fois « Non »
La question devrait être en réalité décomposée en ses trois éléments: 1) le risque financier est-il maîtrisable? 2) la science économique en offre-t-elle une représentation correcte? 3) un nouveau cadre réglementaire a-t-il permis de le maîtriser?
Il faut alors répondre « Non » à chacune des trois: 1) le risque financier n’est pas maîtrisable; 2) la science économique qui affirme que oui se leurre et nous trompe; 3) Non, aucun cadre réglementaire ne permettra jamais de maîtriser entièrement le risque financier.
Que le risque financier ne soit pas maîtrisable a été établi par Keynes avant même qu’il ne devienne économiste, dans sa thèse sur la théorie des probabilités, rédigée de 1906 à 1914.
Il résumera dans un article de 1937 intitulé « The General Theory of Employment », le point de vue dont il ne s’est jamais départi : « par connaissance incertaine, […] je n’entends pas distinguer simplement ce que nous savons avec certitude de ce qui est seulement probable […] Le sens dans lequel j’utilise le terme est celui dans lequel l’issue de la guerre en Europe est incertaine, ou le sont le prix du cuivre et le taux d’intérêt à vingt ans d’ici […] Sur ces questions, il n’existe aucune base scientifique à partir de laquelle formuler une probabilité calculable quelle qu’elle soit. Le fait est tout simplement que nous ne savons pas« .
La science économique suppose le contraire. C’est même le fondement d’un de ses piliers, la théorie des anticipations rationnelles, qui suppose qu’une connaissance parfaite du présent permet une connaissance parfaite de l’avenir, une conception laplacienne du monde démentie au début du XXe siècle par la mécanique quantique et par la théorie du chaos ensuite.
D’autres piliers de la science économique ont également été démentis par la physique. Ainsi la possibilité même d’un système économique à l’équilibre, impossible à réaliser du fait que l’économie est un système dissipatif captant de l’énergie de l’extérieur et soumis à l’entropie, à la déstructuration inéluctable.
Ainsi aussi la théorie des marchés efficients : non, les marchés ne sont pas symétriques car le vendeur en sait toujours davantage sur le risque que l’acheteur, et l’emprunteur que le prêteur, de plus, les marchés ont bien une mémoire, dont tirent parti les traders.
Le caractère fallacieux d’un autre pilier, l’individualisme méthodologique, a été amplement mis en évidence par les sciences de l’homme, de l’anthropologie à la science politique, en passant par la sociologie: les sociétés humaines sont davantage que la somme de comportements individuels, les institutions déterminent par leur forme nos comportements, oui, elles ont véritablement un « poids ».
Une conclusion s’impose : l’évaluation correcte du risque financier ne sera possible que lorsque nous aurons appris à penser les théories économiques, financières, politiques et sociales comme un seul et même ensemble.
Alors seulement pourrons-nous gérer la part de risque maîtrisable, et mettre en quarantaine celle qui découle d’un monde incertain, qui mettra toujours en échec notre capacité à anticiper.
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