Billet invité.
L’avenir auquel l’Europe peut prétendre n’attend pas la tenue des élections allemandes et les propositions françaises pour être l’objet d’intenses et discrètes négociations. À une condition : ne pas franchir une ligne rouge en touchant aux traités et aux dispositions régissant les déficits publics. Ce qui par avance limite singulièrement la portée des négociations ardues qui s’annoncent.
Les autorités allemandes ayant laissé un peu de mou lors des préliminaires, que peut-il en résulter ? La presse espagnole croit connaître les propositions de réforme de l’Eurozone que Jean-Claude Juncker va présenter demain mercredi dans son discours sur l’état de l’Union. La transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en une sorte de FMI européen semble être acquise, dans son principe si ce n’est dans ses modalités de fonctionnement. Restera en effet à préciser un petit détail, l’usage de ses fonds : pourront-ils ou non être utilisés à d’autres propos que l’aide aux pays en crise ?
La création d’un actif européen, dont Jean-Claude Juncker relancerait le projet, ira-t-il jusqu’au lancement de véritables euro-obligations, ou au mieux de produits type European Safe Bonds (ESB), débattus depuis des années dans des cercles restreints d’experts (1). Là, on touche à l’essentiel, c’est à dire aux moyens de la relance économique salvatrice qui permettrait de sortir du piège actuel.
Le président de la Commission proposerait également de conclure l’Union bancaire en créant son troisième volet, le mécanisme de garantie communautaire des dépôts bancaires, ainsi qu’un mécanisme de réduction de la détention par les banques de la dette de leur gouvernement. En fin de mandat et ne briguant pas à son renouvellement, Jean-Claude Juncker met tout sur le tapis.
Côté allemand, il se confirmerait que l’on recherche à placer des hommes aux postes-clés à pourvoir, avant tout à la BCE, où Jens Weidmann pourrait succéder à Mario Draghi et l’Espagnol Luis de Guindos à Vitor Constâncio son adjoint. Afin de rendre acceptable le transfert au MES de la surveillance budgétaire des États, au détriment de la Commission, un droit de veto pourrait être accordé à l’Allemagne, la France et l’Italie sur ce seul chapitre. Il sera comme on s’en doute d’une activation délicate.
Les gouvernements italien et français vont devoir, avec l’espagnol, trouver leur compte dans la reconfiguration qui se présente pour que les apparences d’une Europe unie soient préservées. Sans attendre que les compromis nécessaires soient passés, il va falloir en octobre prochain franchir le cap de la surveillance préventive des budgets annuels – encore exercée cette année par la Commission, en tout état de cause – et de l’effort de réduction du déficit structurel destiné à garantir la pérennité du respect du plafonnement du déficit à 3% du PIB. Mais cet objectif est considéré comme inatteignable par l’Espagne, l’Italie et le Portugal, et difficile à respecter pour la France…
À moins que, le nez devant l’obstacle, la réunion de l’Eurogroupe de Tallinn de cette semaine accorde opportunément de nouvelles marges de flexibilité au pacte de stabilité et de croissance, comme l’Italie n’a cessé d’en bénéficier de la part de la Commission, avant d’en épuiser les possibilités. Son ordre du jour prévoit « un échange de vues sur la notion de résilience économique dans l’Union économique et monétaire ». Mais derrière le propos savant se cachent des préoccupations immédiates plus terre-à-terre, selon Pierre Moscovici. Dévoilant que le véritable sujet de la discussion sera « le bras préventif du pacte », il utilise le mode précautionneux de l’interrogation pour affirmer sa thèse : « ne doit-on pas aller vers des règles plus simples ou se contenter de les appliquer de manière stricte au risque de freiner la croissance » ? Le débat est posé, mais il est significatif qu’il ne peut être formulé que masqué. Dans l’esprit du renouveau démocratique dont se réclame Emmanuel Macron, il va se dérouler à guichets fermés.
Tout cela reste donc très fragile, et sous un contrôle sourcilleux des autorités allemandes qui va en ressortir renforcé.
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(1) Le MES pourrait par exemple acheter la dette des gouvernements de la zone euro. Les titres seraient reconditionnés dans de nouveaux actifs financiers mélangeant selon des tranches les titres de risques divers, avant d’être vendus sur le marché. Avec ce système, les investisseurs achèteraient des titres européens et non plus ceux d’un pays donné. On n’assisterait plus, en théorie, à la ruée vers les titres les plus sûrs en cas de crise, au détriment des autres, et ce mécanisme permettrait, toujours en théorie, de rompre le lien entre la politique budgétaire des gouvernements et la solidité de leurs banques nationales.
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